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Seocha
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7. Un matin gris de Novembre

La sonnerie d’une notification retentit. Sam fronça les sourcils et ouvrit les yeux. Le soleil était déjà haut. Jamais on n’aurait cru à un épisode cévenol le soir précédent.

C’était le dimanche, ses parents avaient dû le laisser dormir. D’habitude, ce jour-là, son père était absent, le plus souvent pour accompagner des familles pour le recueillement et les prières de ceux qui le désiraient. Sa mère, elle, prenait plutôt ce temps-là pour cuisiner des viennoiseries à n’en plus finir, qu’elle distribuait de bon cœur aux voisins. Quand il était petit, Sam l’accompagnait souvent pour emmener des paniers. Il aimait ces moments passés avec elle, même si elle discutait beaucoup trop longtemps, au goût de petit garçon qu’il était.

Il le comprenait maintenant : c’était certainement grâce à ses petits paquets de brioches et de croissants que les voisins les appréciaient sans se soucier de la réputation du métier de ses parents. Avec ou sans l’existence de la Nécromancie, il était évident que personne n’appréciait côtoyer la mort, et les gens du funéraire étaient toujours été vu bizarrement. Grâce à sa mère, ils échappaient aux clichés que pouvaient se faire la majorité des gens.

Mais à cet instant, il ne sentait ni l’odeur des brioches, ni celle des pains au chocolat. Il devait être vraiment tard dans la matinée ! Il n’entendait aucun bruit dans la maison. Seulement la présence près de son lit, de la petite Charlotte. Il n’entendait pas sa respiration ou autre. Juste ses petits pieds qui se balançaient sagement dans le vide, au bord de la chaise où elle s’était assise.

Charlotte… sa simple présence ramenait son esprit à Terry. Son ami et sa mort soudaine, choquante et absurde. Ils avaient le même âge, comment avait-il pu disparaître aussi subitement ? Il avait fallu que ça tombe sur lui, à ce moment-là. Le jeune homme frissonna de tout son corps : et si c’était lui qui avait été frappé par le bus, ce jour-là ? Si leurs places avaient été différentes de quelques mètres, la mort l’aurait pris, pas son ami. Il n’aurait jamais rien su du secret de sa famille. Et Terry aurait été en vie. Il aurait eu sa chance de vivre. Qu’est-ce qu’il en aurait fait ? Il voulait devenir dessinateur. Il publiait quelques billets d’humeur en bd, sur ses réseaux. Il était drôle. Il était décalé. Il était quelqu’un de bien. Il aurait adoré apprendre le secret de la famille Millenium. Il en aurait fait une grande et belle histoire épique.

Mais la voix de Terry, ses dessins, ses bulles, tout ça, c’était fini. Il n’y aurait jamais de suite. Jamais de nouveauté. Terry n’était plus.

Cette réalité frappa Sam de plein fouet. Une larme se mit à couler le long de sa joue, qu’il essuya rapidement.

—    Maître, vous sentez-vous bien ?

La petite voix de Charlotte était hésitante. Il n’avait pas pu cacher ses émotions. Il respira un grand coup pour refouler son chagrin, frotta ses yeux et se redressa pour faire face à la petite fille.

—    Tout va bien, rassure-toi, lui dit-il dans un léger sourire, et toi, as-tu dormi ?

—    Maître, je le sens, vous savez, insista-t-elle en le dévisageant. Pourquoi ce vague à l’âme dès l’éveil ?

Sam n’avait pas besoin de lui demander ce qu’elle percevait. Il redoutait cette réponse. Elle avait su qu’il reprenait conscience, avant même ses parents, la nuit où son pouvoir s’était éveillé. Ce n’était pas étonnant qu’elle puisse aussi ressentir ses émotions. Sam hésitait entre s’agacer d’une telle intrusion dans son intimité, et un certain soulagement de pouvoir parler de ce qui le tracassait à cœur ouvert, fût-ce à une enfant quelque peu… particulière.

—    J’ai perdu un ami qui m’était très cher, et le soir-même, tu te levais. Excuse-moi, j’ai encore du mal à accepter tout ça. Quand je me rends compte que tu es là, ça me rappelle que lui ne l’est plus. C’est difficile.

D’en parler à voix haute, comme ça, déclencha un torrent de larmes chez l’adolescent. Il avait l’impression de s’être retenu tout ce temps, comme s’il était en apnée, et qu’il s’en voulait au point de ne plus respirer. Il s’en voulait d’avoir survécu. Il en voulait au monde d’avoir vu Terry mourir. Il en voulait à Charlotte d’être là à sa place. Il en voulait à tout, mais il s’en voulait par-dessus tout de ressentir tout ça. Il avait beau savoir que ce n’était la faute de personne, son cœur n’arrivait pas à l’accepter.

Avec une infinie douceur, la petite fille brune prit la tête de Sam entre ses mains et l’enlaça. Ses doigts étaient glacés. Son petit corps ne dégageait aucune chaleur physique. Mais la bienveillance qui émanait d’elle réchauffa le cœur du garçon, redoublant de larmes.

—    Tout ira bien, Maître. Vous avez le droit de ressentir tout ça. Pleurez autant que votre cœur le désire. Je resterai à vos côtés aussi longtemps que vous aurez besoin de moi.

Ils restèrent ainsi un long moment. D’aucun aurait pu trouver ridicule qu’un garçon presque adulte fonde en larmes dans les bras d’une petite fille, mais à cet instant, Sam s’en fichait. Il déversa toute sa colère et sa peine auprès de Charlotte, douce et patiente.

Quand les larmes se tarirent enfin, le jeune homme, bien qu’un peu gêné d’avoir ainsi pleuré, se sentait beaucoup mieux. Il pouvait enfin respirer librement, comme il n’avait pas pu le faire ces derniers jours. Le sourire chaleureux, il s’adressa à l’enfant d’un ton plus apaisé.

—    Merci beaucoup, Charlotte. Je crois… que j’en avais vraiment besoin. Je suis désolé que tu m’aies vu ainsi.

—    Mère me répétait souvent que si les gens exprimaient clairement leurs émotions, le monde s’en porterait mieux. J’ignore si, aujourd’hui, il est de coutume de taire ou non ce que l’on ressent, mais sachez que vous n’avez pas à vous en priver en ma présence, Maître. Je vous suis liée. Je me suis levée pour vous. Je vous suis fidèle à chaque instant. Alors, je vous en prie, soyez libre d’être vous-même avec moi.

Comment cette enfant pouvait-elle être si mature ? Sam se souvenait vaguement avoir lu les Malheurs de Sophie de la Comtesse de Ségur, lorsqu’il était petit. Il se rappelait du choc de voir tout ce que faisait Sophie alors qu’elle n’avait que quatre ans, et qu’on la trouvait immature pour son âge. La façon de parler de Charlotte était ancienne, avait-elle vécue dans une époque où les petites filles de quatre ans doivent se comporter en petits adultes ? Il était curieux de la connaître un peu plus. Mais une fois encore, il n’osa rien lui demander. C’était déjà assez gênant d’avoir autant pleuré devant elle.

Se rappelant que son téléphone avait bipé, il saisit son portable et en déroula les notifications. Quelques-unes lui rappelaient de jouer à ses mini-jeux, d’autres lui suggéraient des petites vidéos sur différents réseaux. Il y avait aussi quelques messages de son club de rugby pour les prochains matchs et entraînements, et un mail venu du lycée : « Veillée pour Terry Brown ». Le jeune homme déglutit difficilement, respira un grand coup, et ouvrit le courrier électronique. Sans grande surprise, le message parlait du regretté Terry Brown, apprécié de tous, et qu’une veillée était proposée le lundi aux élèves qui le connaissaient pour lui rendre un dernier hommage avant de procéder à sa crémation le lendemain.

Le cœur de Sam se serra, et il referma vivement sa boite mail quand un autre sms arriva. Il s’agissait d’un message de Madame Brown. C’était une petite dame adorable et accueillante que Sam appréciait beaucoup. Il n’osait pas imaginer dans quel état elle se trouvait aujourd’hui. Il avait perdu un ami, mais elle avait perdu son fils unique. Même si la sensation de suffoquer lui revenait, il se devait de voir ce message et d’y répondre.

Bonjour Sam. Nous laissons les amis de Terry venir lui présenter leurs hommages avant la cérémonie. Si tu le souhaites, tu peux nous accompagner par la suite pour un dernier adieu. Tiens-moi au courant s’il te plaît. Fais attention à toi.

Sam lui en était extrêmement reconnaissant. Il ressentait le besoin irrépressible de faire un dernier adieu à Terry, de l’accompagner jusqu’au bout. Autant le métier de son père lui permettait d’en savoir plus sur les obsèques que la moyenne des gens, autant c’était la première fois qu’il voulait assister à une cérémonie funéraire et, s’il le pouvait, aider véritablement à soutenir les parents de Terry. Surtout sa mère, pour ce moment difficile. Il n’hésita pas une seule seconde et confirma sa présence à Madame Brown, lui proposant son soutien si elle avait besoin de quoi que ce soit.

Puis, Sam prit la direction de la salle de bain pour se doucher. Il était temps de faire disparaître, avec l’aide de l’eau bouillante et du savon, tout ce qui avait pu obscurcir son cœur et ses pensées.

*****

Le reste du dimanche se déroula presque normalement. Sam, après avoir partagé avec Charlotte son petit déjeuner tardif que lui avait laissé sa mère dans la cuisine, avança calmement ses devoirs, puis aida la petite fille à reconnaître les lettres d’imprimerie et à associer le son des lettres entre elles. Il devait bien l’avouer, la petite fille était très douée pour apprendre à lire. A cette vitesse, elle n’aurait plus besoin de lui d’ici la semaine prochaine. Il pourra alors lui apprendre à écrire, et ce serait une tout autre affaire.

Ça le rassurait de voir que ses efforts étaient payants : il aidait Charlotte à exaucer son souhait. Il ne savait pas quand elle partirait à son tour, et il n’avait pas vraiment envie d’y penser. Il s’en voulait encore un peu d’avoir pleuré ainsi, et de lui avoir avoué pour Terry. Toutefois, elle n’avait pas l’air de lui en vouloir du tout. Elle restait gaie et posée, telle une véritable image de petite fille dans les illustrations de livres d’enfants.

Il n’arrêtait pas de se poser mille questions sur elle, mais il craignait tellement de la blesser ! Le jeune homme préférait qu’elle s’ouvre à lui au moment où elle le déciderait. Toutefois, la curiosité se faisait vive dans son esprit, et il se faisait violence pour ne pas la déranger pendant qu’elle étudiait avec assiduité.

Heureusement, pour qu’il pense à autre chose, il y avait tous les messages qu’il recevait sur son téléphone portable. Il lui avait fallu un peu de temps avant de commencer à répondre aux échanges écrits de ses camarades, mais il avait fini par reprendre un comportement qui lui ressemblait plus, donnant des nouvelles à son équipe, avant d’hésiter à aller voir le profil d’Andrea sur ses différents réseaux. Elle avait parlé de l’accident de Terry dans une de ses stories, faisait du rappel des règles de la route, garantissait son soutien à la famille Brown et voyait pour proposer un projet de sécurisation des élèves avec le conseil des élèves du lycée, afin qu’un tel accident ne puisse plus se reproduire.

Elle était comme ça, Andrea. Elle pensait à tout et à tout le monde, toujours, même quand elle ne connaissait pas la personne. Tout le monde, à ses yeux, était important. C’était quelque chose qu’il aimait énormément chez elle. Elle était investie dans tout, et elle arrivait à motiver tout le monde à la suivre. Quand elle débutait quelque chose, cela aboutissait toujours, ou alors cela donnait quelque chose d’encore mieux. La sécurisation des élèves sera actée d’ici la fin de l’année, et rien ne l’en empêchera.

Il fallait dire aussi que la famille d’Andrea était bien placée. Elle en parlait librement dans ses posts et ses stories : son père était député, sa mère travaillait pour la gestion départementale, elle avait des oncles et tantes plutôt bien positionnés en politique, et il ne faisait aucun mystère que son père comptait évoluer en politique. On aurait pu croire qu’on pouvait trouver presque autant de Naphim dans les hautes sphères de l’Etat que de Millenium dans le funéraire.

Ce n’était donc pas une surprise qu’Andrea soit si douée avec les gens. C’était génétique. Elle serait sans doute politicienne à son tour quand elle aura fini ses études. Parce que, c’était de notoriété publique, elle était excellente dans toutes les matières et parlait couramment trois langues étrangères en plus du français. Sam soupira d’émerveillement devant son écran. Ne cesserait-elle donc jamais d’être aussi fabuleuse ?

Le lendemain, quand le réveil sonna, l’esprit de Sam était étrangement très léger. Sa vie avait été entièrement bouleversé en trois jours, et son cœur était toujours serré quand il pensait à Terry. Il sentait toujours parfaitement la présence de Charlotte à côté de son lit. Mais enfin, c’était lundi ! Ce qui était extrêmement réconfortant, avec ce début de semaine, c’était que cela allait marquer le début du retour à la normalité. Il allait aussi très certainement croiser Andrea à la veillée de Terry, et cela mêlait en lui un mélange d’émotions qu’il était incapable de définir. Il préférait ne pas trop y réfléchir et se préparer pour aller en cours. Il fredonnait presque en faisant son sac, sous le regard inquisiteur de Charlotte.

Celle-ci était en profond désaccord avec la situation. Son Maître allait devoir quitter le domicile encore une fois sans elle, et cette fois pour toute la journée ! Rien de ce qu’avait pu dire Sam n’avait réussi à adoucir son humeur, et elle ne comprenait pas en quoi cette situation pouvait le rendre plus joyeux que ce qu’il avait été ces derniers jours auprès d’elle.

—    Maître, l’école vous rend-elle donc toujours d’humeur aussi joviale ? questionna l’enfant sans cesser de le dévisager.

Sam, tout en préparant ses affaires pour la journée, prit le temps de choisir ses mots soigneusement pour ne pas froisser la petite fille.

—    C’est ordinaire pour moi d’aller en cours, tu sais. Et c’est la première fois que j’y retourne depuis… ton arrivée.

—    Il semblerait que les habitudes rassurent réellement, admettait-elle avec une certaine lassitude. Mais, Maître, je me dois de vous accompagner ! Je ne puis point être utile auprès de vous sans être à vos côtés !

Les grands yeux bleus sans éclats laissaient percevoir tout l’agacement de Charlotte. Ses longues boucles brunes retombaient sagement le long de son dos, nouées en couettes. Assise sur la chaise de bureau dans sa petite salopette en toile denim sombre et son grand pull rouge, elle ressemblait à une adorable poupée de porcelaine dont les joues roses soulignaient ses traits fâchés.

—    Tu pourrais utiliser le temps passé en mon absence pour t’entraîner à lire ? Tu avances très bien, tu sais ! Je pourrais aussi te donner quelques exercices d’écriture…

—    Mais en quoi le fait que je sache lire ou non puisse vous aider, Maître ? le coupa-t-elle en bondissant de son siège, ne tenant plus en place. Vous y arrivez déjà très bien par vous-même, je ne vous serais pas utile ainsi ! Je dois me tenir auprès de vous pour vous protéger.

Sam ne savait pas trop ce qu’il pouvait lui répondre. La petite fille était adorable et pleine de bonne volonté, mais il ne pouvait pas lui céder et l’emmener au lycée. Tout d’abord parce qu’elle n’y aurait pas sa place, ayant l’air trop jeune pour être une élève, mais aussi parce qu’il avait peur pour elle. L’extérieur pouvait être follement dangereux pour une enfant qui ne connaissait pas le monde d’aujourd’hui. Elle désirait le protéger des risques que pouvait encourir un nécromancien. Mais lui voulait lui épargner les périls de la vie citadine moderne. Elle ne connaissait rien des téléphones portables, des réseaux sociaux, ou même simplement des modes de transports d’aujourd’hui. A quoi pouvait bien ressembler notre société dans le regard mat de cet enfant ?

—    Je ne peux pas rester à tes côtés tout au long de la journée, Charlotte. Mais au moins, tu peux rester avec ma mère. Elle aura besoin d’aide, tu sais, et cela me rassurera énormément de savoir que vous êtes ensemble.

La petite fille croisa les bras, la mine boudeuse, mais rechigna moins à l’idée de passer la journée avec Sandra. Il était évident que Charlotte appréciait déjà énormément la mère de Sam, et celle-ci le lui rendait bien. En fait, dès que ces deux-là se retrouvaient ensemble, on jurerait voir une mère et sa fille très complice. Il y avait presque de quoi être jaloux, mais le jeune homme ne s’en souciait pas trop. Ce n’était pas si mal que sa mère puisse choyer quelqu’un d’autre, pour changer. Ça lui permettrait de respirer un peu de son côté.

D’un hochement de tête, Charlotte céda enfin. Sam la remercia dans un sourire qui finit d’apaiser l’enfant, avant de lui préparer quand même de quoi avancer dans la lecture et l’écriture. « Au cas où », avait-il précisé quand la petite fille tenta de lui faire renoncer. Elle faisait tout pour le dissimuler, mais elle avait clairement envie de les faire, ces exercices. Avant de quitter la maison, il en parlerait à sa mère.

*****

Devant son lycée, Sam eut enfin l’impression de respirer. Loin du regard intense de Charlotte constamment posé sur lui, et de ses parents sur le sujet de la nécromancie, il se trouvait pile dans ce qu’il avait décidé d’appeler « l’entre-deux ». Parce que tant qu’il n’avait parlé à personne, tant qu’il n’avait pas regardé son téléphone avant de l’éteindre et aller en cours, avant qu’il ne voie les mots sur la veillée en l’hommage de Terry, tant qu’il n’apercevait pas le lieu de l’accident, tout allait bien. Il n’y a rien de problématique, dans l’entre-deux. C’était agréable. Comme s’il n’y avait plus de noir ou de blanc. Rien que du gris. Comme le ciel de ce matin de novembre, où l’air frais lui piquait les joues et les oreilles. Il devrait penser à mettre un bonnet, le lendemain.

Il remonta son écharpe sur le bas de son visage quand un frisson parcourut le long de sa nuque. Il sursauta, interloqué par une telle sensation. Mye. Elle se tenait là, près de lui, arborant un grand sourire laissant paraître une dentition étincelante. Elle s’était vêtue de vêtements essentiellement orange et fuchsia, et avait remonté ses cheveux en deux chignons hauts assez lâches, qui lui donnaient un air très enfantin. A la voir ainsi, on ne croirait jamais qu’elle avait assisté à la mort d’un de ses camarades quelques jours plus tôt.

Comme s’ils se connaissaient depuis toujours, Mye agrippa le bras de Sam sans qu’il ne puisse se dégager, à son grand embarras.

—    Sam, Sam ! Mon très cher Sam, tu as passé un bon week-end ? dit-elle joyeusement.

Sam cacha difficilement le sentiment de colère qui montait en lui. Comment pouvait-elle poser une telle question ? Prenait-elle la mort de Terry comme une anecdote, un petit rien négligeable ? Il prit une longue inspiration, l’air froid apaisant son esprit bouillonnant. Elle venait d’arriver. Elle ne connaissait pas son ami. Et il n’appréciait clairement pas son comportement depuis le début. Il devait garder son calme.

—    Un ami à moi est mort, Mye. Alors non, cela ne pouvait pas être un bon week-end.

—    Oh ! C’est vrai ! s’exclama-t-elle.

A la voir ainsi, on croirait vraiment qu’elle ne savait pas que Terry et lui étaient amis. En tout cas, aux yeux de la jeune femme, ça n’était clairement pas un évènement dramatique, puisqu’elle enchaîna en toute nonchalance.

—    On va en cours ensemble ? Tu n’as pas l’air très motivé d’y aller tout seul, à rester planté là dans le froid !

—    Non, répondit sèchement le garçon en se dégageant fermement de l’étreinte de la jeune fille.

—    Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? l’interrogea-t-elle, curieuse.

—    Je n’en ai pas envie. Laisse-moi tranquille, s’il te plaît, Mye.

Il s’attendait à ce que la jeune fille insiste, mais elle n’en fit rien. Elle lui jeta simplement un regard un peu moins moqueur, et dans un sourire un peu plus tendre, elle s’en alla tout simplement vers le lycée, en sautillant comme une gamine. Sam n’avait rien compris à son comportement. C’était vraiment une fille très étrange.

Un instant plus tard, l’adolescent se décida à pénétrer à son tour dans le bâtiment. Sur le panneau d’informations de l’entrée, une affiche pour informer de la veillée pour Terry. Le cœur serré, il évita de regarder le portrait de son ami sur le papier. Il connaissait déjà tous les renseignements, alors il ne voulait pas le fixer comme ça plus longtemps. Il continua donc son chemin, ses pas entamant son parcours traditionnel pour apercevoir, au moins une fois de loin avant les cours, sa chère et merveilleuse Andrea.

Elle n’était pas devant son casier. Elle devait avoir été plus rapide que d’habitude, ce matin. Que pouvait-elle bien faire, dans une journée telle que celle-ci, investie dans la vie du lycée comme elle l’était ? Quel manque de chance ! Déçu, il poussa un profond soupir avant de se résigner à se diriger vers sa salle de cours. A ce moment-là, une légère odeur de vanille embauma l’air, quand Sam sentit qu’on lui tapotait l’épaule.

La journée ne commençait pas si mal : Andrea se trouvait là, juste devant lui. Belle comme jamais dans une tenue noire de la tête au pied. Le cœur du jeune homme accéléra soudain, l’empêchant de prononcer le moindre mot de salutation. Rien ne sortait de sa bouche. Comme si celle-ci devinait tout, elle engagea d’elle-même la conversation dans un sourire ravageur.

—    Bonjour, Sam, le salua-t-elle d’un air enchanteur qui lui ravissait le cœur, Comment vas-tu ?

—    On fait aller… bredouilla-t-il. Tu… tu… tu vas aller à la veillée pour Terry ?

—    Oui, affirma-t-elle en hochant la tête, Je ne le connaissais pas beaucoup, mais ce qui lui est arrivé est tellement injuste… et je sais qu’il était ton ami.

Sam sentit son cœur se pincer. Il refoula une larme qui lui montait tout à coup. Il ne voulait pas pleurer devant Andrea. Il n’avait pas envie que le lycée entier le voie pleurer comme un enfant. La jeune fille prit une expression plus tendre en le regardant.

—    Nous étions ensemble… articula-t-il difficilement.

—    Je comprends, murmura-t-elle en lui prenant doucement les mains. Le lycée a perdu un de ses élèves, mais toi, tu as perdu un être qui t’était cher… tu as envie d’en parler ?

—    Tout va bien, répondit-il en secouant la tête, je suis bien entouré.

Il n’allait pas lui raconter tout ce qui pouvait se passer chez lui non plus, mais il voulait qu’elle soit rassurée. Et surtout, il n’avait pas envie de faire pitié. Bon sang, c’était peut-être égoïste, mais tout ce qu’il désirait, c’était continuer de lui parler ! Il voulait juste que ce ne soit pas au sujet de Terry, c’était tout !

—    Dis, la veillée de Terry est à onze heures ce matin. Est-ce que…par la suite… tu voudrais qu’on déjeune ensemble ? demanda-t-elle soudain.

Elle avait le teint qui était devenu rouge pivoine. La voir légèrement hésiter avant de parler la rendait si craquante ! Si le cœur de Sam battait déjà vite, il se mit à frapper plus fort que des cloches de cathédrales. Il n’en arrivait presque plus à penser. Andrea avait envie de passer du temps avec lui ? Est-ce qu’il pouvait avoir un espoir de l’intéresser, lui aussi ?

—    Je… heu… bien sûr ! bafouilla-t-il en prenant le même teint écarlate que la jeune fille.

—    Je sais que je ne suis pas d’une compagnie super intéressante, mais j’aimerais bien qu’on passe un peu plus de temps ensemble… si tu le veux aussi, bien sûr ! continua-t-elle en repoussant une mèche de cheveux d’or derrière son oreille.

—    Je veux bien ! la coupa-t-il à la hâte. Ce serait avec plaisir !

—    Alors… on se retrouve ici pour aller à la veillée ensemble ? s’écria-t-elle tout enjouée.

Hochant la tête, Sam n’arrivait presque plus à respirer. Il n’aurait jamais cru qu’elle viendrait lui demander un rendez-vous d’elle-même. Il commençait à se faire à l’idée qu’il ne l’intéresserait jamais, et qu’il devait se contenter de l’observer de loin. Surtout depuis son échec avec la rose. Et aussi parce que perdre son ami lui avait complètement ôté cette idée de la tête. Mais Andrea était Andrea, on ne pouvait pas l’oublier, même en plein deuil. Encore moins quand elle est juste là, devant lui, avec ses magnifiques yeux étincelants dont le ciel en jalousait le bleu.

La jeune femme relâcha doucement la main de Sam, le salua et, dans un dernier sourire qui lui ravit le cœur, elle partit en sautillant presque, légère comme une fée. Le jeune homme reprit doucement son souffle. Il n’en revenait pas. Andrea, sa chère Andrea, allait manger avec lui ce midi ! Il en oubliait presque l’épreuve qu’il devrait passer avant : l’hommage de Terry.

Ses émotions étaient mitigées, entre la joie de manger avec Andrea, la peur de ce qu’il pouvait se passer durant la veillée, et la tristesse qu’il ressentait en songeant à son ami.

Pourtant, il imaginait bien ce que celui-ci aurait dit en le voyant dans une telle situation : qu’il fallait qu’il saisisse cette opportunité.

—    Tu te serais bien moqué de moi en passant, hein, Terry ? chuchota-t-il tout bas à l’adresse de son ami disparu.

—    Pour sûr qu’il se fend la poire, ton ami ! entendit-il derrière lui.

Mye. Encore elle. Mais pourquoi le poursuivait-elle comme ça ?

—    C’est extrêmement déplacé, Mye.

Sans dire un mot de plus, il lui tourna le dos et se dirigea vers sa salle de cours. Derrière lui, il entendit Mye l’adolescente continuer de lui parler.

—    Il ne te manque vraiment plus que le slip sur le pantalon, Superman ! s’écriait-elle.

Sam fit volte-face, outré. Qu’avait-elle osé dire ? Comment pouvait-elle dire un truc pareil ! C’était Terry qui parlait ainsi ! C’était l’une des dernières choses qu’il avait dites ! Pourquoi les répétaient-elles ? Mais celle qui avait prononcé ces mots avait complètement disparu dans la foule qui allait et venait dans le couloir. Avec sa tenue orange, comment arrivait-elle à se fondre parmi les élèves ?

Terry avait raison. Ils n’auraient jamais dû lui accorder la moindre attention. Il fallait absolument qu’il se tienne loin d’elle. Elle était de celles qui ne font qu’attirer des ennuis. En tout cas, c’était ce que lui dictait son instinct.

*****

Les cours de la matinée étaient pénibles pour Sam. Non pas pour les matières, mais parce qu’à chaque heure, on leur parlait de la mort de Terry. Un accident tragique, blablabla, la psychologue scolaire était là pour les écouter au besoin, blablabla. Un discours très pénible, trois fois ce matin-là, pendant la moitié de chaque heure, qui rappelait comme une gifle que Terry n’était plus là. Sam détestait ça. Il savait que c’était essentiellement aujourd’hui que tous les professeurs en parleraient, mais là, c’était extrêmement difficile de les entendre discuter de quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas vraiment.

La fin de la troisième heure de cours sonna, et Sam se leva pour sortir de la salle de classe. Il avait besoin de prendre l’air en vitesse, pour être certain d’être capable d’endurer ce moment qu’il avait redouté toute la journée : la veillée de Terry. Il avait serré la mâchoire tellement fort toute la matinée qu’il fallait qu’il la décrispe un peu s’il voulait saluer correctement Madame Brown. Il passa directement dans le couloir et vit Andrea qui attendait, vérifiant quelque chose sur son téléphone avant de le ranger négligemment dans la poche de son manteau. Son visage se tourna vers Sam, et le soleil perça enfin les nuages de cette journée morose. Elle lui sourit, et il marcha jusqu’à elle.

—    Comment s’est passé ta matinée ? lui demanda-t-elle en constatant le visage qui restait plus fermé que d’habitude de Sam.

—    Ce n’était pas facile, heureusement que c’est fini ! Même si le plus pénible reste à venir…

Andrea acquiesça d’un mouvement de tête, posant délicatement sa main sur l’épaule de l’adolescent. Il lui en était reconnaissant, cela lui faisait du bien. Il se sentait un peu plus serein à l’idée d’affronter l’heure qui venait.

Calmement, il posa sa main sur celle d’Andrea, qui rosit discrètement. Ensemble, perdu dans le chaos des élèves qui parcouraient les corridors sans les voir, ils se dirigèrent vers la salle polyvalente à l’extérieur du lycée, où la veillée avait lieu.

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