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20. Les Hauts Protecteurs

Le voyage de Justus Augustus Millenium n’était pas tout à fait un voyage d’affaires. Les yeux rivés sur sa tablette dont il gérait les dossiers, il préférait détourner son regard du hublot de l’avion. S’éloigner autant de Sandra l’avait toujours rendu nerveux. Cela faisait des années qu’il n’avait pas du partir aussi loin sans elle.

Mais les choses devenaient trop sérieuses pour rester inactif. En tant que Millenium, c’était purement et simplement inacceptable. En tant que père, cela défiait l’imagination.

Par deux fois déjà, son fils avait été attaqué. Les traces qu’il avait pu retrouver montrait clairement la magie d’un Hérétique à l’œuvre. De plus, les prophéties annonçait à Sam un destin à la fois trop grand et trop flou, menaçant sa vie à chaque seconde.

Après tout, faire partie d’une prédiction qui achèverait le combat contre les Démons faisait de l’adolescent une cible privilégiée pour les forces maléfiques de ce monde.

Cela avait pris un peu de temps, mais les Chuchoteurs, à sa demande, avaient à convoquer une assemblée extraordinaire avec ses congénères, les Hauts Protecteurs. Ils étaient neuf, lui inclus, parmi les êtres les plus puissants de la Planète.

Il avait fallu chercher un lieu et le protéger de toutes les forces mystiques indésirables, afin qu’ils puissent se réunir dans le plus grand secret. Puis, chacun avait reçu, en toute discrétion, la visite d’un émissaire pour le convier.

Ainsi, ils avaient donné rendez-vous au Maître Millenium loin de son pays d’origine, quittant l’Europe pour le Pérou, où il devrait repérer son accès dans les ruines du Machu Picchu.

Heureusement, le Machu Picchu étant un site touristique très connu, il ne tarda pas à trouver un vol pour l’aéroport Alejandro Velasco Astete et, après de longues heures qui n’en finissaient plus, Justus débarqua dans la ville de Cuzco au crépuscule.

Une fois qu’il avait atteint Aguas Calientes, il réfléchit à la façon dont il rejoindrait le site archéologique dès le lever du soleil. Il ne tenait pas à suivre un quelconque circuit touristique pour atteindre son but. A sa connaissance, on pouvait s’y rendre à pied depuis ce village. Cependant, il aurait préféré avoir un guide digne de confiance pour assurer le trajet. On aurait pensé que les Chuchoteurs lui auraient envoyé quelqu’un, mais cela était hors de question : la discrétion était de mise.

Après une nuit où il n’avait pas réussi à fermer l’œil à cause du le décalage horaire, Justus se décida à prendre la route dès le lever du soleil.

Dès l’aube, il se mit en quête d’un guide qui pourrait l’accompagner à pied. L’aube n’était guère une heure pour les touristes, mais les autochtones, eux, s’affairaient déjà pour gérer les étrangers. Alors qu’il cherchait des yeux quelqu’un qui pourrait convenir, un garçon, qui devait avoir à peu près l’âge de son fils, posa son regard sur lui. Le teint mat et le regard vif, bien ses yeux soient un peu trop grands pour son visage. Ou peut-être était-ce plutôt ses pupilles ? Vêtu d’un poncho rouge brodé et d’un bonnet péruvien multicolore, il avait une démarche décontractée, parfaitement à l’aise. Il s’approcha et s’adressa à l’adulte en anglais.

—    Bonjour, señor, vous voulez visiter la région ? Je vous emmène où vous le désirez, dit le jeune homme qui avait une voix curieusement grave et rauque pour son âge.

—    Je voudrais aller au Machu Picchu, tu penses pouvoir me guider jusque là-bas ? demanda Justus dans la même langue.

—    Bien sûr, je peux vous en faire la visite avec les explications historiques sans problème, señor.

—    Emmène-moi jusqu’au site, je me débrouillerai seul ensuite, affirma-t-il.

—    Comme vous voulez, señor.

Justus lui tendit la main pour la serrer en signe d’accord, quand il sentit un courant glacial au contact de leurs mains, surprenant les deux hommes.

Depuis le temps, le Maître savait exactement ce que cela signifiait. Cette jeune personne était un des leurs. D’ailleurs, le jeune homme arborait un sourire plus franc et malicieux.

—    Je suis Abedon Jaaziel De La Riga, et je viens de la branche Mexicaine, se présenta-t-il.

—    Je suis Justus Millenium, répondit le Haut Maître. De la Riga, tu dis ? Le Maître de ta famille est Esperanza De La Riga, si ma mémoire est bonne.

—    C’est exact. J’en reviens pas… le Maître des Millenium est en face de moi ! trépignait presque le jeune homme. Que faites-vous par ici ? Moi, il se trouve que je fais un voyage sur mes origines. Mon père est mexicain mais ma mère est péruvienne. Mais je suis né en Floride.

—    Je suis venu en pèlerinage, mais je ne veux pas y aller avec des wagons de touristes, s’expliqua-t-il.

—    Les touristes ne sont pas tous respectueux, alors que, dans notre histoire, ce lieu est particulier… enfin bon, je comprends, Maître. Je vous emmène.

Abedon Jaaziel avait quelque chose de décalé dans chacun de ses mouvements. Justus n’arrivait pas à comprendre quoi exactement. Le jeune homme avançait dans un curieux silence, sans jamais trébucher sur les routes cahotantes de la montagne verdoyante qui les menait sur le site historique du Machu Picchu. Ce qui n’était pas tout à fait le cas de Justus, qui manquait régulièrement de se tordre une cheville. Par un curieux hasard, l’adolescent n’était pas bavard, ce qui convenait parfaitement au Maître Millenium. A vrai dire, il attirait plutôt sa curiosité. Il ne manquerait pas de demander des renseignements à la Maîtresse Esperanza de la Riga.

Après un long trajet qui ajoutait plus de questions que de réponses dans son esprit, ils aperçurent enfin les pierres ancestrales du site immense qui s’éparpillaient sur des kilomètres sur le toit de la montagne.

Sans l’atteindre encore, Justus prit congé du jeune Nécromancien.

—    Voulez-vous que je vous attendre ou que je revienne vous chercher plus tard, Maître Millenium ? proposa Abedon qui n’était pas vraiment surpris.

—    Non, tu peux y aller, mon garçon, le congédia gentiment Justus. Je saurais me débrouiller à partir d’ici.

—    Comme vous voulez. Oh, Maître ? l’interpella-t-il alors qu’il rebroussait chemin. Le site est immense, mais il y a tellement de corps qui sont unis à la Terre ici que vous devriez sans peine retrouver votre chemin, si vous vous perdez !

—    Je me souviendrai de ton conseil, sourit-il. Allez, pars te trouver d’autres clients, sinon tu auras perdu ta journée par ma faute.

—    Ne vous inquiétez pas pour moi, Maître, je ne suis pas dans le besoin.

Ils échangèrent un dernier regard avant de se séparer. Justus en était certain : ses iris étaient trop larges et noires pour être normales. Ce garçon avait quelque chose d’étrange. Il devrait faire attention. Il risquait de le suivre. Par conséquent, il fallait qu’il soit sûr de le semer sans laisser de trace.

Il pénétra alors dans la nature luxuriante qui bordait les environs en direction de la cité, et prit le temps d’entendre les pas d’Abedon s’éloigner avant de s’enfoncer plus encore. Tous ses sens de Nécromancien étaient en éveil. Maître affilié à la Terre comme élément, il sentait vibrer sous ses pieds les corps des guerriers anciens qui se souvenaient du passé.

Même si le temps a oublié, eux savent que c’était ici qu’eurent lieu les premières batailles contre les Démons. Peut-être était-ce pour cela que les Millenium s’étaient expatriés en Europe depuis des centaines d’années. C’était insoutenable de sentir son sang bouillir d’envies belliqueuses de milliers de soldats qui veulent encore se battre pour défendre leur Terre et l’Humanité, qui portaient encore leur descendance en son sein jusqu’à nos jours.

Loin des regards et assuré d’être seul, le Maître Millenium psalmodia une incantation. L’air s’échappait à peine de ses lèvres, se mêlant au souffle du vent et aux feuilles bruissant mélodieusement autour des paroles anciennes d’une langue perdue. Le Nécromancien sentit la Terre vibrer sous ses pieds jusqu’au fond de son âme.

La vision de Justus changea. Sous ses yeux, cernés d’un bleu électrique, se dévoilaient des lumières plus éclatantes et des ombres plus profondes. C’étaient dans les noirceurs des profondeurs qu’il perçut des silhouettes indigènes extrêmement anciennes. Tous étaient prêts à répondre à son appel. A obéir.

Dans leur langue, qu’il connaissait depuis toujours, il prit la parole.

—    Que celui qui saura me guider là où le Chuchoteur m’a ouvert la voie s’approche.

Les murmures frémirent leur mécontentement de ne pas être choisi en s’évaporant avec fougue dans les airs, fouettant d’un souffle le visage du Maître des Morts.

—    Qui me guidera vers ma porte ? appela-t-il.

Les guerriers s’effaçaient, insatisfaits, jusqu’à ce qu’ils laissent place à une lumière qui n’avait pas d’ombre. De couleur rouge argileux, le dessin d’un homme au visage si marqué par le temps qu’il n’avait plus d’âge se dessinait devant Justus et le salua en inclinant la tête.

Le Nécromancien s’avança alors vers lui et s’agenouilla parmi les hautes herbes. Ses mains bleuirent et il les enfonça profondément dans la terre, cherchant à toucher le mort. Mais le cadavre était ancien, et le tombeau profond. Il finit par atteindre le vieil homme qui se releva, prenant à la Terre le corps qu’il lui manquait, s’agglomérant au fur et à mesure que le squelette remontait jusqu’à ce qu’apparaisse, pourfendant le sol, le guerrier ancien à la peau rouge de glaise.

—    Je n’ai plus de nom car le temps est trop passé. Je vous conduirai là où le Chuchoteur est allé, si telle est la volonté de mon Maître.

Justus hocha la tête en guise d’approbation et le vieux guerrier rouge se tourna, commençant à dessiner la route de ses pas. Fondu dans la terre et les feuillages, on ne se serait jamais douté qu’il soit si rapide à se mouvoir. Le vivant qui le suivait n’était pas en reste, harmonisant ses mouvements à ceux de la créature. C’était le marionnettiste qui se laissait guider par sa marionnette, rôdé à ses lieux qui n’avaient que peu changé depuis la période lointaine de son vivant.

Ils se faufilèrent à travers la forêt verdoyante avant d’atteindre les remparts dégagés du Machu Picchu. Ils étaient arrivés par le côté anciennement utilisé pour l’agriculture, caractérisé par les immenses terrasses qui servaient autrefois à cultiver le maïs, la pomme de terre et d’autres légumes nécessaires aux habitants. Le vieux guerrier s’y faufila comme si les récoltes allaient être faites avant de se diriger de façon plus stricte vers le quartier urbain.

Du quartier urbain, ils se dirigèrent vers le Torréon en traversant le quartier noble. En tant que Nécromancien, Justus ne pouvait que frémir en entrant dans le mausolée dédié au dieu du Soleil Inti, cette tour qui différait du reste de la cité. Le serviteur de Justus s’arrêta à l’entrée et le Nécromancien s’arrêta derrière lui, surpris.

—    C’est ici que j’ai vu mon enfant périr et reposer pour Inti, Maître. Entrez ici, et vous trouverez ce que vous cherchez. Je ne peux cependant pas vous accompagner là où vous allez.

—    Que désirez-vous, guerrier, que je puisse accomplir pour vous ? demanda humblement le Maître Millenium qui sentait le poids d’une volonté puissante chez ce revenant.

—    Quand l’heure viendra, je me lèverai de nouveau pour la bataille finale. Mon enfant aussi voudra se lever pour combattre. Je demanderai deux choses : ne la relevez pas, car je veux une mort paisible pour elle. Et libérez-moi ici, pour que je m’éparpille dans ma cité, pour veiller sur elle et rester à ses côtés jusqu’à ce jour.

Avant tout, un père qui voulait protéger son enfant, même au-delà de la mort. Voilà quelque chose que Justus pouvait parfaitement comprendre.

—    J’accepte. Soyez en paix jusqu’au moment venu, promit le vivant avec sincérité.

Le vieux guerrier, satisfait, mit son poing sur son cœur avant de s’agenouiller face à son Maître. Justus tendit ses mains vers lui qui, instantanément, bleuirent avant de parler.

-        Guerrier, je te libère de la Vie et te rend à la Terre. Merci de m’avoir choisi pour te relever, et puisses-tu reposer plus sereinement jusqu’à ton prochain réveil.

Sous les yeux du Nécromancien, le vieux guerrier tomba en poussière, un vent surnaturel dissipant son corps pour qu’il se niche dans chaque creux de la tour conique jusqu’à ce qu’il n’en reste rien. Sa tâche achevée, il pénétra dans le Torréon.

A l’intérieur, la salle paraissait avoir subi un incendie, cependant Justus n’eût pas le temps de s’extasier sur les détails. Il venait déjà de repérer la trace de l’accès que les Chuchoteurs lui avaient dédié, dans une petite cavité d’une grande roche. Il s’avança vers les marques de vagues qui symbolisait le pouvoir des Chuchoteurs. Trois bandes parallèles qui zigzaguaient dessinés dans une poussière grise. En posant sa main bleuie sur la marque, le dessin disparut.

Puis tout fût noir pour le haut Maître.

Immédiatement, Justus affûta sa vision pour voir des marches d’escaliers émerger des Ténèbres, qui s’enfonçaient profondément dans la terre. Il aurait été bien en peine de savoir combien de temps durerait sa descente.

Il finit par arriver dans une immense salle ronde illuminée de flambeaux puissants, ce qui soulagea la concentration du Nécromancien. Il retourna à sa vision normale, n’ayant besoin de rien pour voir la lourde table de marbre blanc et ronde. Neuf sièges l’ornaient par intervalles réguliers presque comme un cadran, faites d’un bois du même blanc que la table, et gravés de symboles différents pour signaler qui en était le destinataire. Cinq personnes avaient déjà pris place dans la salle de réunion, et Justus pris place à la sienne, le symbole des Nécromanciens Millenium étant représenté par la forme stylisée et épurée d’un crâne humain dans un cercle.

Il était d’usage que personne ne parle tant que tous les convoqués n’étaient pas présents. Les Neufs Hauts Protecteurs n’étaient pas que des Nécromanciens, car il s’agissait des Chefs de Clan qui ont voué, depuis toujours, leurs existences à la protection de la planète, et avait prouvé leur valeur au combat. Les Nécromanciens et les Enfants de Lumière étaient les Clans les plus anciens de l’Histoire, selon les données recueillies par les Chuchoteurs. Eux-mêmes, bien que présents, n’étaient pas admis comme Protecteurs mais comme observateur. Depuis toujours, ils étaient les archivistes de ce que le reste du monde ignorait.

La nature des autres clans n’était pas toujours évidente. Il n’en restait pas moins que neufs noms siégeaient ici depuis le Pacte Originel : les Millenium, les Tora et les De La Riga sont des Nécromanciens ; les Tailun, les Nephilim et les Gregoris sont des Enfants de Lumière. Mais les trois autres restaient obscures dans leurs natures : Les Omnigos, les Gawicca et les Cho.

Tous étaient des Protecteurs, car tel était leur devoir, octroyé lorsqu’ils avaient voulu sauver la Terre.

A ce propos, il manquait justement les Maîtresses Omnigos, Gawicca et Cho.

Justus se remémorait un par un le nom des présents : Maître Amir Tora, nécromancien affilié à l’eau, qui siégeait actuellement en Turquie, gardait ses yeux fermés et les doigts croisés devant lui, sa tenue noir se fondant dans l’ambiance tamisée de la pièce. Maîtresse Esperanza De la Riga, liée au feu, sulfureuse dans sa robe rouge au décolleté infiniment plongeant, ses cheveux sombres relevés en chignon, son teint olivâtre faisait ressortir ses yeux d’un vert translucide capable de transpercer les gens d’un seul regard. Puis, il y avait Maître Kun Tailun, qui était sans aucun doute le doyen de cette assemblée, et ressemblait en tout point à un bonze, tenue orange comprise.

Parmi les Nephilim présents se trouvait aussi le Maître Oscar Nephilim. Leur entente était très limitée. Physiquement, ils étaient des opposés complets, Oscar ayant la peau tannée et de grands yeux bleu clair aux cheveux blond platine plaqués en arrière. Il dégageait quelque chose d’extrêmement arrogant, du point de vue du Nécromancien Millenium. A côté, le Maître Bryan Gregoris paraissait plus austère malgré son jeune âge et sa carrure d’athlète, sa peau noire d’ébène tranchant avec un regard gris clair impressionnant.

Les trois absentes étaient aussi dans la mémoire de Justus : la Maîtresse Omnigos, une jeune fille sans âge pâle aux longs cheveux blancs et aux yeux noirs et n’avait que le nom de sa famille comme prénom. Cléophée Gawicca était une femme hindi d’une cinquantaine d’années à l’air sombre et mystérieux, sa longue natte striée de gris toujours posée sagement sur son épaule, tel un serpent exotique. La dernière absente était Kotoko Cho, qui se présentait toujours dans son kimono traditionnel blanc, son obi rouge nouée dans son dos tel un papillon alors que ses longs cheveux noirs encadraient son visage de porcelaine.

Heureusement, les trois absentes ne se firent pas trop attendre. Maîtresse Cléophée Gawicca arrivant la dernière, profondément plongée dans ses pensées.

Une fois que tous furent bien installés, un Chuchoteur, particulièrement discret, boucha la seule entrée de cette salle par sa simple présence. Un bouclier de protection scella les lieux. Il était difficile de savoir qui était le Chuchoteur présent dans la pièce, car en mission, les Chuchoteurs se cachaient tous le visage derrière un masque neutre de couleur blanche ou grise selon la nature de leurs missions. Ici, le masque était blanc, et c'est lui qui prit la parole.

—    En ces temps de doutes, le Haut Protecteur Maître Justus Augustus Millenium a sollicité une assemblée exceptionnelle des Hauts Protecteurs. Nous, les Chuchoteurs, archiveront cette rencontre à jamais. Nous déclarons la huit-cent-quarante-troisième réunion des Hauts Protecteurs ouverte. Maître Millenium, si vous voulez bien prendre la parole.

Justus se leva alors que les huit paires d’yeux des Protecteurs se rivaient sur lui. Il ferma les yeux un court instant, le temps de prendre son souffle, puis prit la parole avec fermeté.

—    Hauts Protecteurs et Hautes Protectrices, je vous remercie d’avoir répondu favorablement à ma requête. Je vous ai convié ici pour vous parler de plusieurs faits entourant Samirelius Justus Millenium, qui est aussi mon fils.

Des regards s’échangèrent. Jusque-là, la raison invoquée de la réunion était inconnu, et il serait particulièrement incongru qu’un Haut Protecteur se risque à des élucubrations sur son fils. Le Maître Millenium en avait parfaitement conscience, et il continua son discours avec prudence.

—    Il y a peu de temps, les pouvoirs des Nécromanciens Millenium se sont éveillés en lui. Depuis, plusieurs événements sont arrivés : le Pacte de la Terre et de la Vie a réclamé qu’il apprenne de tous les Hauts sans lui faire renouveler le Pacte originel. Il est donc sans entrave pour son apprentissage de la Nécromancie.

Quelques exclamations de surprise résonnèrent de part et d’autre de la pièce. Des regards s’échangèrent avec des questions muettes qui leurs brûlaient les lèvres.

—     Ensuite, continua Justus, il a été victime de deux attaques. Après enquête, il s’avère qu’elles aient été orchestrées par un seul et même hérétique. Nous soupçonnons la possibilité qu’un Démon ait pu réussir à franchir la barrière, et que cela a été réalisé par un sacrifice humain dû au séisme provoqué, qui a failli tuer Samirelius. De plus, les Chuchoteurs ont confirmé qu’il était le Lien de la Prophétie des Cinq Puissances. Par conséquent, cela dépasse le cadre d’une affaire classique ou familiale, et je me vois contraint de solliciter votre avis.

Le silence s’imposa autour de lui, chacun mesurant les mots de Justus avec attention.

—    Qu’attendez-vous de nous, Maître Millenium ? articula d’une voix traînante le Maître Bryan Gregoris.

—    Le Pacte m’a révélé que tous les Hauts devaient enseigner à Samirelius. Je ne pense pas qu’il s’agit uniquement des Hauts Nécromanciens, mais bien de tous les Hauts présents dans cette pièce. A côté, une collaboration entre nous est nécessaire pour trouver et entraver l’hérétique qui veut tuer mon fils aurait réussi à faire passer un Démon dans notre monde.

—    Vous voulez qu’on concentre notre attention sur un seul garçon en Europe alors que nous veillons sans cesse sur la terre entière ? s’exclama le Maître Oscar Nephilim. Ne vous trouvez-vous pas cette demande un peu trop présomptueuse, Justus ?

Le regard hautain du Maître Nephilim défiait ouvertement le Haut Nécromancien. Justus préféra faire l’impasse sur l’impolitesse de son confrère de Lumière. En n’utilisant ni son titre, ni son nom de famille, on frôlait l’outrage, ce qui n’échappa guère aux regards lourds de sens qui accusaient l’attitude de Bryan Gregoris. Le Haut Nécromancien continua donc son discours à l’assemblée.

—    Comme vous le savez, la prophétie des Cinq Puissances est conservée dans le plus grand secret par les Chuchoteurs, car les termes précis annoncent la fin des combats, la bataille finale qui décidera à jamais du sort de notre planète. Depuis que Sam a été reconnu comme le Lien, la prophétie est prête à s’accomplir. En réalité, elle a déjà commencé. Sam est entré en contact avec une des Puissances. En ce moment même, il pourrait déjà l’avoir rencontré. Ce qui met à la fois Samirelius et les Puissances en danger. En fait, il se peut que le démon invoqué cherche à corrompre les Puissances afin qu’elles ne s’unissent jamais.

—    Est-ce vraiment possible ? demanda Maîtresse Cléophée Gawicca.

—    Oui, Maîtresse Gawicca. Il faut protéger le Lien et les Puissances qu’il découvre pour anticiper les affrontements à venir et enfin, en terminer avec cette guerre.

—    C’est juste. Mais est-ce vrai que le Lien est un Nécromancien Millenium ? Et l’héritier de votre famille, comme par hasard ? intervint Amir Tora.

—    Les Chuchoteurs confirment que Samirelius Justus Millenium a été identifié comme le Lien de la Prophétie des Cinq Puissances, intervint le gardien d’une voix étrange qui en faisait entendre plusieurs autres.

Sa prise de parole surprit tous les participants de la réunion. Les Chuchoteurs ne participaient jamais. Leur rôle étaient des archivistes, des témoins, mais rarement des participants. Le simple fait que l’un d’eux prenne la parole en ce lieu était exceptionnelle.

Bryan Gregoris et Amir Tora se renfrognèrent. Si les Chuchoteurs confirment, c’était que ce fait était indéniable.

—    C’est donc vrai, soupira la Maîtresse Omnigo en fermant ses yeux charbonneux.

—    Nous devons agir alors, affirma la Maîtresse Esperanza De la Riga. Lorsqu’il finira son apprentissage auprès des Millenium, j’enverrai chercher l’enfant.

—    Pourquoi serait-ce à la Maîtresse De la Riga de commencer l’initiation du garçon ? s’ombragea Maître Kun Tailun. Il me semble que c’est aux Anciens d’apprendre la sagesse à celui qui sera responsable des Puissances Salvatrices.

—    Samirelius est encore innocent et incompétent. Il vient à peine de s’éveiller. Je pense que l’enseignement de la Nécromancie doit être privilégié car c’est sa nature première. Ensuite, si cela vous sait gré, il poursuivra son enseignement auprès de vous, Maître Tailun, une fois que Maîtresse De la Riga aura décidé qu’elle aura achevé sa formation.

—    Je pense que la sagesse prévaut sur les compétences, lança le doyen.

—    Je suis d’accord, mais avec deux assauts dont il a été victime, la priorité est qu’il sache se défendre. Déjà, j’ai donné des ordres parmi les miens pour qu’on sécurise la ville où il se trouve. Il faut que nous préparions un plan d’action pour s’occuper de la menace directe avant de s’attaquer à la suite.

—    De combien de temps disposons-nous avant que le Lien soit prêt ? Combien de temps avons-nous pour l’éduquer, l’assagir et qu’il soit assez expérimenté pour jouer son rôle avec les Puissances ? demanda le Maître Amir Tora.

—    Nous l’ignorons, répondit Justus en retenant un soupir. Mais ce qui est sûr, c’est que nous manquons de temps.

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