Des chaines s’enroulèrent autour des bras et des jambes des adolescents.
Sam n’en revenait pas : ce n’était pas possible, ça ne pouvait pas être son ami en face de lui. Pas avec ce regard tranchant, teinté de mépris. Quand il tenta d’avancer vers Siegfried, il prit conscience de ses entraves qui l’immobilisaient.
C’était sérieux. Ils étaient en danger.
— Inutile d’invoquer vos pouvoirs avec la Terre, et tout ça, lâcha le viking en face d’eux. Il m’a fallu un petit moment pour m’assurer que plus rien de vit sous vos pieds. Enfin, rien que vous ne pourriez commander, bien sûr.
Sam avait envie de hurler, mais sa voix mourrait au fond de sa gorge, empêtré dans l’incompréhension, la surprise et la colère qui se débattaient en lui. Près de lui, Sirius gardait un sang-froid exemplaire, soutenant d’un regard incendiaire l’ennemi en face de lui.
— Qui es-tu ? lança-t-il d’une voix glaciale que Sam ne lui connaissait pas.
— Siegfried, répondit le géant avec mécanisme.
— Ne me prends pas pour un imbécile, réponds !
— C’est le nom que je porte sur cette Terre, comme toi tu te nommes Sirius Millenium, déclara-t-il. L’enfant qui me suit désespérément en voulant ouvrir les yeux de son cousin. Pourtant, tu ne peux rien contre moi. Tu n’es rien. Vous êtes coupés de votre source de pouvoir. Je peux donc faire ce que je veux sans craindre les représailles d’un vilain garnement dans ton genre.
Siegfried posa un genou à terre, puis fit quelques traits dans la poussière du bout de ses doigts. Une lueur orangée s’échappa sous ses mains lorsqu’il psalmodia des mots inaudibles. Il se redressa d’un coup et saisit, entre les rayons de lumière, une immense double hache. Celle-ci était brute : aucun ornement sur le manche ou les lames. Cet instrument servait à tuer et rien d’autre. Elle paraissait trop énorme pour être manipulée.
— C’était donc ça ! s’écria Sirius ans un éclair de lucidité. L’hérétique qui cherchait à tuer Sam, depuis le début, c’était toi !
— Ne dis pas de bêtises, mon garçon. Ai-je vraiment l’air d’un hérétique ? sourit diaboliquement Siegfried, son arme démesurée posée sur l’épaule.
Sans leur prêter plus d’attention, Siegfried fit quelques pas avant de planter le manche au sol. Un faisceau de lumière safranée s’échappa du point d’impact. Le viking lui-même rayonnait de la même couleur. Il fit quelques pas de plus en répétant son geste. Il perçait des trous dans le sol craquelé sous les yeux des adolescents sans comprendre.
Sam, affolé, regardait de part et d’autre autour de lui, avant de discerner quelque chose de plus autour d’eux. Soudain, il comprit. Les craquelures n’étaient pas aléatoires : c’étaient des symboles !
— Il dessine un pentacle ! s’écria-t-il à l’attention de son cousin. Pourquoi il dessine un pentacle ?
Sirius plissa les yeux, cherchant à reconnaître les formes qui envahissaient le terrain pour comprendre ce qu’il était en train de faire. L’art des pentacles lui était trop obscur pour qu’il sache ce que cela signifiait.
— Sam ! Toi, tu étudies les pentacles, non ? se rappela-t-il. Est-ce que tu comprends ce qu’il fait ?
— Le pentacle est immense, ce n’est pas facile, maugréa le jeune homme. On dirait que ça parle de passage et de porte…
Les cousins échangèrent un regard de lucidité. Ça ne pouvait être que pour cela.
— Il tente d’ouvrir la Porte aux Démons ! argua Sirius. Sam, ce n’est pas un hérétique… c’est un Démon !
— Ce n’est pas possible ! paniqua-t-il. Il est humain ! Les Démons ne peuvent pas nous ressembler, non ?
— Il faut l’arrêter ! On ne peut pas laisser faire ça !
Malheureusement, le Thanatoneptus avait conscience que son cousin ne pouvait strictement rien faire. Sans Charlotte et sans Terre Vivante sous ses pieds, il était bien trop inexpérimenté pour affronter un démon. Lui-même redoutait de ne pas être assez compétent.
Pourtant, il devait agir.
Le jeune homme blond n’était pas totalement démuni. L’orage lourd avait drastiquement assombrit le ciel, et les nuages noirs étaient gorgés d’eau. Lui qui n’avait aucune aide du sol, pouvait compter sur la voûte céleste. Une grande bouffée d’air gonfla sa poitrine.
Il était prêt.
Les yeux de Sirius devinrent entièrement blancs. Une lumière bleutée, presque noire, s’échappa de son corps qui commençait à vibrer malgré ses entraves.
— Moi, Sirius Octavius Millenium, je dénonce Siegfried comme Démon cherchant à ouvrir la Porte et porter atteinte à la sécurité de la Terre et de la Vie. J’en appelle au Pacte par lequel je suis lié, donnez-moi la puissance pour le terrasser !
Un vent puissant balaya la poussière autour de l’adolescent. Sam, ébahi, l’observait sans un mot. C’était la première qu’il voyait un Nécromancien Millenium à l’œuvre. Chaque seconde qui s’écoulait rendait Sirius plus sombre et menaçant, comme s’il s’harmonisait avec le temps.
— Siegfried a détruit la Terre qu’il a foulée. Ô Puissance du Ciel, déchaîne ta fureur et donne-moi la force que tu contiens en toi !
Un éclair pourfendit le ciel La pluie se déversa ensuite, frappant les gens de ses lames glacées. Les gouttes tombaient de plus en plus violemment, ce qui surprit le géant dans ses mouvements. Il dévisagea Sirius, dont le sourire mauvais déplut fortement au Démon. A l’évidence, les couper de la Terre Vivante ne suffisait pas à arrêter un Millenium.
Sirius saisit l’eau qui trempaient ses entraves avec son pouvoir, et les cisailla d’un coup, se libérant les membres. Il se saisit à nouveau de l’eau de pluie pour la lancer, comme des centaines d’aiguilles, vers Siegfried. Les nuages se concentraient, guidés par ses mains baignés de pouvoir, alors que l’adolescent projetait sur le démon toute la puissance de l’orage qui recouvrait la ville.
Le géant se retrouva englouti dans ce concentré d’eau violente et d’éclairs qui le tétanisait avant de disparaître sous la lumière sombre et la brume qui l’avait touché de plein fouet. Un cri de douleur déchira l’espace, avant de laisser place à un silence assourdissant.
Les deux adolescents respiraient à peine. Sirius avait-il réussi à arrêter un Démon à lui tout seul ? Le doute était permis, mais le jeune Nécromancien ne baissait pas sa garde pour autant. Il espérait l’avoir au moins gravement blessé.
Pourtant, le pentacle au sol ne disparaissait pas. La lumière qui s’en échappait n’avait même pas faibli. La brume se dissipa, percée d’une aura orangée, presque rouge.
Blessé ? Quelques égratignures tout au plus, mais Siegfried se tenait bel et bien debout devant eux, et clairement contrarié. Il essuya du pouce un peu de sang qui coulait au coin de sa bouche, son regard haineux fixé sur le Thanatoneptus.
Sans prévenir il lança un coup de hache au sol en direction de Sirius. Une lumière écarlate pourfendit le sol à une vitesse si folle que l’adolescent ne put l’esquiver, et fut projeté dans les airs avant de retomber lourdement, une longue estafilade dessinée au travers de son torse jusqu’à son épaule gauche.
Sam était pétrifié d’horreur. Est-ce que son cousin était encore en vie ? Il hurlait son prénom, sans recevoir aucune réponse. Ce n’était pas possible. C’était un cauchemar ! La pluie se mêlaient à ses larmes qui lui déchiraient le cœur. Il se retourna vers celui qui, la veille encore, était son ami.
— Pourquoi lui as-tu fait ça ? Qu’est-ce que tu fous, Siegfried ? s’égosillait le jeune homme. Je croyais que nous étions amis, pourquoi chercher à nous tuer ?
— Tu es vraiment un bon garçon, Sam, tu sais, soupirait le Démon d’un air contrit. Franchement, te tuer n’est pas vraiment ce que j’ai le plus envie de faire, là, tout de suite.
— Alors arrête de faire tout ça ! Il n’est pas trop tard pour tout arrêter, non ? Et il faut soigner Sirius…
— Tu es gentil, mais tu es vraiment bête, Sam, le coupa le viking. Ton cousin était plus futé que toi.
Puis il reprit sa tâche, déterminé à achever le pentacle. La pluie cessa, rappelant que la nuit était déjà là.
Une nuit sans espoir où les Démons risquaient de revenir.
— Tu ne peux pas laisser les Démons venir sur Terre ! paniqua Sam. Tu ne le peux pas ! Tu ne sais donc pas qu’ils vont tous nous détruire ? Toi, moi, et tous les gens que nous aimons ? Tu m’avais dit que quelqu’un t’attendait, une fois. Que va-t-il arriver à cette personne ? Arrête ça, Siegfried.
— Tu ne l’admets toujours pas, n’est-ce pas ? déplora Siegfried en créant un nouveau trou. Tu n’arrives pas à admettre que je suis un Démon. Oh, un bien faible et assez humain en apparence pour franchir la barrière si on m’invoque, mais j’en suis un, Sam.
Ainsi donc, il l’admettait. C’était vraiment un Démon. Qui avait réussi à passer grâce à l’aide de quelqu’un.
— On t’a… invoqué ? répéta Sam, encore sous le choc.
— Bien sûr ! affirma-t-il. Pourquoi crois-tu que je sois ici ? J’ai une mission très précise, et je suis en train de l’accomplir, mon jeune et incompétent ami Nécromancien. Ou plutôt… Lien inutile qui ne pourra jamais accomplir sa propre mission.
L’air cruel qu’arborait Siegfried à son encontre déchirait l’adolescent. C’était impossible qu’il n’ait pas pu voir plus tôt la nature si diabolique de son ami. Il aurait dû le sentir comme Sirius. Avait-il raison ? N’était-il qu’un Nécromancien incompétent ? Jusqu’à présent, c’était toujours Charlotte qui l’aidait, mais elle n’était pas là. A cause de lui, elle ne pouvait pas le rejoindre. Il était seul.
Incroyablement seul.
Une chose lui tiqua à l’esprit. Comment pouvait-il être au courant pour le Lien ? Que savait-il ? Hormis ses parents et Mye, personne ne savait. A cette pensée, Sam retrouva son sang-froid, laissant ses émotions loin au fond de lui.
— Comment es-tu au courant ? articula-t-il mécaniquement.
Siegfried cessa à nouveau ses mouvements, un sourire étrange laissant apparaître toutes ses dents, pointues et acérées.
— Qu’est-ce que tu croyais ? Empêcher cette prophétie de se réaliser, c’est nous céder la Porte, imbécile !
Sam comprit enfin.
Il avait été manipulé de bout en bout. Siegfried n’avait jamais été son ami. Quel idiot de croire une chose pareille ! Le géant l’avait approché en sachant avant tout le monde qui il était, pour savoir où il en était dans sa recherche des Puissances. Il avait découvert, indirectement, qu’il ne les avait pas réunis, et qu’il était aussi démuni et insouciant qu’un nouveau-né. Par conséquent, il s’est contenté d’être assez proche de lui pour que l’adolescent ne puisse pas se défendre contre lui.
Il avait dû préparer ces barrières depuis un moment pour l’emprisonner et certainement l’utiliser comme sacrifice. Il n’avait qu’à attendre le bon moment pour ouvrir la Porte. Et là, quel meilleur moment que celui où le Maître Millenium s’était absenté, laissant son fils, clé d’une prophétie, sans surveillance ?
Il était une proie facile. Une victime évidente. Voilà tout ce qu’il représentait pour cet ersatz d’humain démoniaque qui s’était joué de lui.
Une haine profonde d’une puissance incommensurable s’empara du jeune Nécromancien. Son corps entier irradia une lumière bleue, presque blanche, aussi glaciale que l’envie de meurtre qui était en train de l’envahir. Une seule pensée régnait en maître dans son esprit.
Eradiquer l’ennemi.
— Mademoiselle Mye, c’est mauvais, ça ! s’écria Charlotte.
La Chuchoteuse et l’enfant se trouvaient sur le perchoir le plus proche possible pour observer toute la scène, soit un immeuble près du mur d’enceinte qui donnait une vue imprenable sur le stade.
Charlotte pouvait sentir l’évolution des émotions de son Maître, et sentait toute la noirceur qui montait dans son cœur. Une noirceur qui n’existait pas en lui. Elle craignait pour la vie de Sam, mais surtout pour son âme. S’il tuait, cela le détruirait à jamais.
— C’est ainsi que cela doit se passer, ma petite. Ton Maître apprend. Et ça risque de devenir plus intéressant.
— Comment ça ?
Mye montra du doigt une personne qui courait depuis l’autre bout de la rue. Comme échappée d’un gala, la tenue légère d’or et d’ivoire alors qu’elle courait du haut de ses escarpins, et les cheveux trempés qui perdaient leur teinture dans la lueur blanche qui émanait de la petite silhouette d’albâtre, Charlotte vit la Lune sous forme humaine qui, paniquée, cherchait son chemin.
Alice des Cendres avait couru sans penser à ôter ses escarpins pour aller plus vite, et sans veste. Quelque chose d’étrange se passait. Elle ne ressentait ni le froid, ni la pluie ou le vent. Elle savait juste que Sam était en danger, et qu’elle devait absolument le rejoindre. C’était un désir impérieux, sans autre choix que de répondre à l’appel. Sans même savoir où il était, ni quel chemin prendre pour le retrouver.
Elle frémit tant l’atmosphère était chargée et lourde. Quelque chose de violent était en train d’éclater. Elle devait se dépêcher, ou quelque chose de grave se produirait.
Samirelius brisa ses chaînes comme si elles n’étaient faites que poussière. La lumière froide et blanche qui l’entourait était si menaçante que Siegfried ne pût plus faire un geste.
Curieusement, le Démon sourit. Un sourire plus franc et doux que tout ce qu’avait pu voir Sam. Cependant il était hors de question qu’il se laisse avoir de nouveau.
Trop de colère, et trop de mensonges. Il ne pouvait pas le tolérer, encore moins de la part de Siegfried.
Reprenant alors la maîtrise de ses gestes, le géant asséna un grand coup de hache dans le sol projetant la même décharge qui avait pourfendu Sirius un peu plus tôt. Au lieu de blesser le jeune Nécromancien, la lumière se nicha dans ses mains, ses couleurs mordorées devenant soudain blanches avant que Sam ne le retourne à l’envoyeur.
Siegfried la reçut de plein fouet. Blessé, ses doigts s’écartèrent, faisant tomber lourdement son arme à ses pieds.
— Où puises-tu un pouvoir que tu n’as pas ? s’enquit le Démon qui n’était pas hors combat pour autant.
— Quel besoin que tu le saches ?
La voix de l’adolescent était incroyablement froide, méconnaissable. Le géant se rendit compte que quelque chose avait changé chez lui. C’était quelque chose de si radicalement différent que Siegfried se demandait si c’était vraiment bon ou mauvais. En tout cas, c’était suffisamment puissant pour que, sans Terre ni Vie à ramener, il puisse lui tenir tête.
Un véritable combat à mains nues s’engagea alors. Siegfried, irradiant de lumière rouge, se jeta sur Sam pour le frapper à coups de poings. L’adolescent, dans une vitesse surprenante, esquiva les coups avant de donner un uppercut dans le ventre du géant. Son poing blanc traversa la chair du viking dans une image d’horreur, avant de voir celui-ci reculer.
Au travers du trou fait par Sam, il n’y avait ni organe ni rien. De la matière noire recouverte d’une enveloppe de peau au sang rouge, voilà de quoi était fait ce Démon.
La preuve irréfutable que Siegfried n’avait strictement rien d’humain depuis le début.
Le viking souffrait. C’était indéniable. Il posa une de ses mains sur le trou béant de son corps, tremblant. Sam retrouva un instant ses esprits, se rappelant que Siegfried avait quand même été un ami. Peut-être que ce n’était pas entièrement un mensonge ?
— Arrêtons-là, d’accord ? proposa le jeune homme. Tu n’es pas aussi mauvais que tu veux me le faire croire.
— Utopiste, cracha Siegfried.
A ses pieds, le pouvoir orangé glissait du pentacle pour remonter jusqu’à lui. Le Démon était en train de faire refermer ses blessures avec le sceau inachevé. Il comptait réellement tuer Sam et ouvrir cette satanée Porte.
Il n’avait plus le choix.
Samirelius plongea ses mains dans le sol mort. Un Nécromancien ramène ce qui est mort à la vie. C’était son rôle, il le savait bien. Mais personne n’avait dit que ce devait être forcément des gens ou des animaux. Il infusa son pouvoir sans mesure. La Terre vibra sous lui, avant d’onduler comme une mer en furie. Siegfried en perdit l’équilibre, n’arrivant plus à continuer sa guérison, et brisant les symboles au sol.
Le pentacle était inutilisable, et l’énergie qu’avait mis Siegfried, perdue.
Sous eux, le terrain reprenait vie, sans aucun doute. Plus de traces de brûlures, mais la Terre devenait riche jusqu’à faire repousser l’herbe sous leurs pieds. Le sol ondula encore avant de piéger sous de la végétation épaisse le Démon qui s’agita sans résultat pour se libérer.
— Un Nécromancien rend la Vie, Siegfried, dit Sam, sincèrement désolé. Mais il a le pouvoir de la prendre à ses ennemis. Tu aurais dû t’arrêter.
— Tu n’auras pas le cran, le défia le géant. Tu n’as pas les tripes pour ça !
La lumière blanche se fit plus éclatante lorsque Sam posa ses mains sur le visage du Démon. Il le vit sourire, ce qui surprit l’adolescent, avant qu’il ne devienne plus qu’une statue de calcaire. Sam n’avait même pas senti de vie disparaître entre ses doigts. La preuve qu’il n’avait rien à voir avec la vie ce monde.
La lueur blanche s’éteignit, laissant Sam seul dans le noir. Des larmes fendaient ses joues en silence. Il venait de tuer un ami. Et comme pour le punir, il avait osé mourir avec un tel visage !
— Non ! Sam, non !
Le Nécromancien sursauta. Alice des Cendres, belle comme jamais, courait vers lui. Son visage était autant embué de larmes que le sien. Elle s’approcha de la statue sans même prendre garde à lui. Du bout des doigts, elle frôla le visage radieux figé dans le calcaire. Elle éclata en sanglots, ses jambes se dérobant sous elle.
— Pourquoi tu as fait ça ! Pourquoi tu l’as tué, Sam ? Pourquoi ! s’écriait-elle avec rage. Tu m’avais pourtant juré, Sam… tu avais dit que tu empêcherais les autres de me faire du mal… mais c’est toi qui m’en as fait !
— Attends… est-ce que c’est… comprit soudain l’adolescent horrifié.
— C’est Siegfried ! C’est lui que je cherchais ! Et tu l’as tué ! l’accusa-t-elle. Tu l’as tué, Samirelius Justus Millenium ! Tu l’as assassiné, je t’ai vu !
Elle se releva et le cogna de toutes ses forces sur son torse. Il la laissa déversa sa peine et sa rage sur lui, sans même songer à se protéger. Elle ne pourrait pas lui faire aussi mal que ce que lui souffrait dans son cœur.
— Il était mon ami, murmura-t-il, tête baissée. Il a voulu me tuer.
— Tu mens ! frappa-t-elle encore. Il n’aurait jamais pu faire ça, tu mens !
— Il a voulu me tuer avec mon cousin… Sirius ! cria-t-il en se rappelant qu’il était gravement blessé.
Il se rua vers lui, le voyant toujours inconscient. Il respirait à peine. L’estafilade était profonde, et, entre l’eau de pluie et le sang, il était difficile de voir les organes touchés. Les pompiers n’arriveraient peut-être pas à le sauver.
Il hésita un instant, puis posa ses mains au-dessus de la blessure. Quand il s’était occupé de Bulle, il avait retiré la vie avant de la remettre. Il ne voulait pas tenter de faire ça à Sirius, c’était beaucoup trop dangereux. Cependant, il pouvait essayer de guérir sa plaie, comme il l’avait fait pour le rat.
Il canalisa son énergie dans ses doigts qui bleuirent instantanément. La lueur bleue s’infiltra dans chacun des tissus ravagés pour les reconstituer un à un. Sam avait l’impression de faire du tricot, tirant les tissus pour qu’ils se raccordent correctement. Sirius grimaçait de douleur au fur et à mesure, avant de reprendre conscience, en criant de douleur. Pourtant, quand Sam ôta ses mains, son cousin était guéri. Sa blessure ne se voyait que par la longue marque rose aux tissus neufs qui barrait son torse de part en part.
Sirius se redressa délicatement, étonné de voir sa plaie refermée, dévisageant son cousin Derrière lui, une jeune fille aussi belle que la Lune le regardait avec stupeur, ses magnifiques yeux gris embués de larmes.
— Sam, tu l’as sauvé, lui, non ? s’exclama-t-elle d’une voix tremblante. Alors sauve Siegfried, maintenant ! Tu es Nécromancien, non ? Alors ressuscite-le ! Je t’en prie, fais-le !
— Je ne le peux pas, s’excusa le jeune homme. Siegfried était un Démon, il n’avait pas de vie comme la nôtre. Je ne peux rien faire.
— Tu mens ! s’emporta-t-elle. Tu n’as même pas essayé ! Vas-y et fais-le !
Elle s’accrocha à ses épaules, plantant son regard humide dans le sien avec une détermination farouche.
— S’il te plaît, murmura-t-elle le cœur serré. Je dois au moins lui dire… je t’en supplie, même si ce n’est qu’un instant, laisse-moi lui parler !
Il n’y avait aucune chance qu’il réussisse. Les Millenium ont reçu leurs dons pour combattre les Démons, non pour les ressusciter. Pourtant, comme si son être résonnait avec celui d’Alice des Cendres, il savait qu’elle n’abandonnerait pas.
Il finit par hocher la tête et se laissa emporter par la jeune fille vers Siegfried.
Mais la statue n’était plus là. Il n’y avait que de la poussière blanche qui salissait l’herbe verdoyante. A la place se trouvait Mye. Charlotte, plus discrète, contournait les restes du Viking pour se précipiter vers son Maître.
La Chuchoteuse applaudit avec un étrange sourire que n’aimait pas du tout les jeunes gens.
— Félicitations, Sam ! s’exclama-t-elle avec un enthousiasme déplacé. Tu as accompli ta mission à merveille. En plus, voici notre première Puissance a enfin fait son apparition ! Enchantée, Alice des Cendres Paloma, si mes sources sont exactes.
Immédiatement, Alice se mit sur ses gardes. Sam s’interposa entre les deux jeunes femmes. Se sentant déjà beaucoup plus rassurée, la Puissance reprit du poil de la bête.
— Comment tu sais ça, toi ? Ma mère t’a envoyé me chercher, c’est ça ? cracha-t-elle avec mépris.
— Oh non ! Tu l’as terrorisée, balaya la Chuchoteuse d’un revers de main. Actuellement, elle espère que te voir assassinée quelque part ou que tu reviennes obéir à ses quatre volontés. Enfin, pas besoin de te faire un dessin, tu connais la bestiole. Au nom des Chuchoteurs, je viens pour te mettre en sécurité.
— Elle sera en sécurité chez moi, Mye, la défendit Sam. Laisse-la.
— Sam. Tu connais cette personne ? articula froidement Alice.
Chaque syllabe sortant de ses lèvres était si tranchante que le jeune homme s’était presque de ne pas être poignardé. Il se tourna vers elle, choisissant soigneusement ses mots.
— Elle s’appelle Camilla Cruz, dit-il. C’est une Chuchoteuse qui va dans mon lycée. Elle a tenté de m’apprendre la Nécromancie quand j’ai découvert mes pouvoirs.
— Tu veux dire que tu es en bons termes avec elle ? articula-t-elle.
— Où veux-tu en venir ? s’enquit Sam, déconcerté.
— Cette guenon vient d’assassiner Siegfried et tu n’es même pas fâché ? hurla-t-elle avant de reprendre d’une voix polaire. Dis-moi, Sam, est-ce que tu ne tues que tes amis ?
— Alice, s’il te plaît, calme-toi, et laisse-moi t’expliquer !
— Je ne veux plus rien entendre de toi, Samirelius. Tu n’es qu’un traître. Je ne veux plus jamais avoir affaire à toi. Je ne te pardonnerai jamais.
La voix cristalline d’Alice se brisa, déchiquetant le cœur et l’âme du jeune Nécromancien abattu. Les deux échangèrent un regard, chacun scrutant la profondeur de la tristesse de l’autre. Un abîme si semblable qui les liait à jamais.
La jeune fille s’arracha aux yeux d’émeraude de Sam pour déverser sa haine sur la Chuchoteuse.
— Camilla Cruz, croise encore une seule fois mon chemin, et je te jure que je te tue ! Tu m’entends ? Je te tuerai !
Sans un mot de plus, elle repartit dans la nuit. Sam voulut aller à sa poursuite, mais Mye le retint en secouant la tête.
— Laisse-moi aller la retrouver ! Elle est toute seule ! s’écria-t-il en tentant de se dégager.
— Pas la peine, Roméo, soupira-t-elle. D’abord, parce qu’elle ne t’écoutera pas, quoi que tu dises. Ensuite, à ton avis, d’où venait ta puissance blanche, tout à l’heure ? Tu sais très bien que ton pouvoir a une lueur bleue. Dis-moi, de quelle couleur brille Alice des Cendres ?
La silhouette de la jeune fille avait disparu de sa vue, mais il connaissait la réponse par cœur.
— Elle est venue à toi en sachant que tu étais en danger. Inconsciemment, elle t’a cédé son pouvoir pour que tu puisses te défendre. Elle ne pouvait pas savoir contre qui tu te battait. Indirectement, c’est plutôt elle qui l’a tué. Tu penses qu’elle peut entendre une chose pareille ?
Non, elle ne pourrait pas.
Au fait, ajouta-t-elle. Je n’ai pas détruit la statue. J’ai vu une silhouette s’envoler en arrivant, mais je n’ai pas pu voir qui c’était.