2 jours plus tard
Inspire. 1... 2... 3... Expire.
Inspire. Expire.
C'est tout ce que je peux faire.
Serrant le poing avant de le rouvrir, je comprime ce sentiment de terreur qui m'enveloppe, se manifestant par les tremblements incessant de mes membres. Je voulais me concentrer sur la tĂąche en face de moi, la terminer au plus vite pour me retrouver dans la seule piĂšce oĂč je me sentais encore en sĂ©curitĂ© dans cet endroit, mais ça fait dĂ©jĂ trente minutes que je suis accroupie, et je n'ai toujours pas bouger.
Seigneur, mais qu'est ce qui m'arrive ?
Suite Ă mon altercation avec le dĂ©nommĂ© Drale ( oui, je connais enfin le nom de ce Lord ), tout c'est enchainĂ© Ă une vitesse folle. J'Ă©tais tellement choquĂ© que je suis restĂ© cloĂźtrĂ© dans ma chambre sans en sortir pour le reste de la journĂ©e. Je n'ai daignĂ© ouvrir la porte qu'Ă Verra qui m'apportait mon repas du midi, ainsi que celui du soir. Non seulement parce que je n'Ă©tais pas en Ă©tat pour aller le chercher moi mĂȘme. Mais aussi parce que j'ai Ă©tĂ© banni des cuisines pour la deuxiĂšme fois de ma vie. Ăa ne pouvait pas ĂȘtre plus mal, je me suis dit. Elle en a profitĂ© aussi pour me rendre ma sacoche avec mes affaires, clamant que cela allait me faire du bien de retrouver quelque chose de familier. Je la soupçonne encore d'ĂȘtre allĂ© feuilleter mon carnet d'ailleurs. Mais bon, comme je l'ai mentionnĂ© prĂ©cĂ©demment: je ne suis pas en Ă©tat.
Le lendemain, malgrĂ© mes tremblements, j'ai appris qu'on m'avait confiĂ© une punition de taille: nettoyer les carreaux de chaque chambre du premiĂšre Ă©tage avec une brosse Ă dents. TĂąche pĂ©nible qui allait me prendre un temps assez fou pour me faire perdre la tĂȘte. Je comprends maintenant la cruautĂ© de cette corvĂ©e, prenant avec pitiĂ© les anciennes servantes de mon chĂąteau.
Ton chĂąteau ?
Tais-toi. Ah oui au faite, je me parle Ă moi mĂȘme maintenant.
Cela fait presque deux jours que je suis sur la mĂȘme piĂšce, et j'entame actuellement ma deuxiĂšme. J'avais par miracle fini quelques coins, mais vu la taille de la piĂšce principale, et le nombre de pas effrĂ©nĂ© que faisait chaque serviteurs, j'en conclus que j'en ai pour une bonne semaine. Tout ça pour une blague ? Ces gens n'ont pas d'humour !
Quand bien mĂȘme, je m'attarde Ă ma tĂąche sans broncher. De un, parce que ĂȘtre insolente ici va m'attirer encore plus d'ennuis. De deux, parce que j'ai besoin de rĂ©flĂ©chir. Pourquoi ?
Oui, pourquoi autant d'agitation pour une simple blague aussi insignifiante. Il n'a mĂȘme pas goĂ»tĂ© le beignet. Comment il a pu d'ailleurs se rendre compte que j'avais remplacĂ© le sucre par du sel ? MĂȘme si honnĂȘtement, j'ai eu beaucoup de mal Ă trouver ce gros sac. Il Ă©tait au fond du placard, fermĂ© Ă double tour avec un nĆud, remplis de poussiĂšres. Une technique pour le conserver je suppose. Ăa me turlupine l'esprit.
Le deuxiĂšme truc qui m'obsĂšde, c'est ma rĂ©action face Ă sa rage. Ce n'est pas la premiĂšre fois que je le vois aussi en colĂšre. A ce stade, son venin Ă©tait devenu une habitude. Alors, pourquoi j'avais l'impression qu'Ă tout moment, une main allait m'arrachĂ© le cĆur quand il me serrait contre cette commode. C'Ă©tait comme si j'Ă©tais gelĂ©, frigorifiĂ© sur place sans que je ne puisse rien y faire. Ses doigts transperçant les veines de mes poignets encore sensibles Ă la douleur. Pour la toute premiĂšre fois, j'ai vraiment eu l'impression que j'allais mourir sous son touchĂ©.
Secouant la tĂȘte, je la baisse, me remettant au travail, malgrĂ© les lĂ©gers picotements qui subsistent sur ma peau. Si je reste lĂ Ă rien faire, je ne vais jamais finir. Il faut que je pense Ă autre chose.
Concentrée sur ma tùche ( et mes pensées ), j'entends à peine le bruit de talons descendant les escaliers, avec une lenteur presque conventionnelle.
â Mmh...
Je m'arrĂȘte dans mes mouvements. Je croyais que c'Ă©tait Verra, mais malheureusement pour moi, cette lĂ©gĂšre onomatopĂ©e m'indique que ce n'est pas elle. Un sentiment gĂȘnant me traverse. Cette personne m'observe.
Un sourire crispĂ© flanquĂ© sur mon visage, je relĂšve doucement la tĂȘte, faisant face Ă l'inconnue qui est face Ă moi. Un soudain sentiment de nervositĂ© se fait ressentir.
Par Leibrum, sa beauté est à couper le souffle !
Sa peau claire, lisse et laiteuse est contrastĂ©e par la couleur framboise de ses lĂšvres. Ses cheveux noir, lisse, tombe en cascade derriĂšre son dos, atteignant facilement ses omoplates. Elle est habillĂ© d'une robe sirĂšne noir en velour qui Ă©pouse chacune de ses formes, un sapphire bleu venant se marier avec ses yeux, au centre de dĂ©colletĂ©. Elle allonge sa taille Ă©lancĂ© avec ses talons noir, claquant le sol avec dignitĂ© et Ă©lĂ©gance. Je remarque que ses yeux me scrutent de la tĂȘte au pied. Avec mes cheveux bouclĂ©s et mes vĂȘtements de servantes un peu dĂ©lavĂ©, je dois dire que je regrette mes robes au chĂąteau.
Continuant à descendre les marches, une des servantes s'empresse de venir à son chevet, lui donnant un boa en fourrure blanche tout en lui chuchotant quelque chose à son oreille. Celle-ci glousse légÚrement avant de reporter son attention vers moi.
â Vraiment ?
Je regarde ailleurs lĂ©gĂšrement gĂȘner. Je dois surement faire la une avec ce qui c'est passĂ© avec le Lord. Ses talons s'arrĂȘtent Ă mon niveau, ses bras toujours en dessous de sa poitrine. Â
â Je prĂ©sume que tu es la nouvelle dont tout le monde parle... Lily c'est bien ça ? me dit-elle.
Ne sachant pas trop quoi rĂ©pondre, j'hoche la tĂȘte doucement. Je sais trĂšs bien qu'elle me prend de haut, mais je n'ai pas vraiment le cĆur Ă tenir tĂȘte, encore, Ă qui que ce soit. Ni la force. Elle recommence Ă glousser.
â Comme c'est Ă©trange... Je ne m'attendais pas Ă ... ça.
Mon sourire hypocrite, toujours aux aguets, je ne montre pas que ces mots me touchent. Elle se moque ouvertement de moi et de mon apparence. Ăa ne devrais pas me toucher, la beautĂ© est subjective. Je suis toujours considĂ©rĂ©e comme la plus belle des femmes du royaume aprĂšs tout. Mais Ă©tant habituĂ© aux compliments, je ne cache rien que ce qu'elle dit m'atteins, rĂ©veillant inconsciemment mes complexes et mes insĂ©curitĂ©s. Pour toutes rĂ©ponses, je la regarde droit dans les yeux, mon sourire forcĂ© toujours placardĂ© sur ma face. Un rictus apparait sur ses lĂšvre.
â Enfin bon, ce n'est pas grave... On ne peut pas ĂȘtre tous bĂ©nis par les dieux.
Je suis la descendante d'un dieu connasse.
Je me pince les lĂšvres, frustrĂ©e. Elle m'agace. Si elle voulait me faire part de son mĂ©contentement vis Ă vis de ma prĂ©sence, elle peut ĂȘtre sĂ»r que je l'ai sentie. Et honnĂȘtement, elle commence Ă me taper sur le systĂšme.
â Pourquoi ? Tu te sens complexĂ©e ? je lĂąche piquĂ©e Ă vif, malgrĂ© le fait que je ne sois pas d'humeur.
Elle me regarde de haut en bas, avant d'Ă©clater de rire. Les servantes qui l'accompagnent font la mĂȘme chose avec un peu plus de discrĂ©tion. Ses prunelles sapphire se reconcentre vers moi.
â Entre toi et moi, je ne crois pas que j'ai quelque chose Ă m'en faire.
â Je te demande pardon ?
â Drale, ne choisirai jamais une pauvre criminelle comme toi.
Criminelle, criminelle, criminelle.
Le mot rĂ©sonne dans ma tĂȘte comme un carillon voulant Ă©veiller les consciences endormies. C'est comme ça qu'on me voit ? Une criminelle ? J'ai juste Ă©changĂ© du sel et du sucre bon sang !
Croisant les bras devant ma poitrine, je la regarde avant de sourire légÚrement. Je vais lui faire mordre la poussiÚre.
â C'est donc ça la place que tu convoites...
â Comment ? questionne-t-elle perplexe et agitĂ©e.
â Son lit... Comme la plupart des personnes ici prĂ©sentes d'ailleurs. N'est ce pas ? Rassure toi je ne fais pas partie de la compĂ©tition.
Je tourne ma tĂȘte vers une jeune servante, qui blĂȘmit tout Ă coup derriĂšre sa maĂźtresse. Celle-ci la regarde les yeux Ă©carquillĂ©s. Evidemment. En deux jours, j'ai pu remarquer comment la plupart du personnel dĂ©vorent des yeux leur Lord. Hommes comme femmes. Ils ne se gĂȘnent pas. Pratiquement tous ici espĂšrent passer une nuit dans ses bras.
La jeune brune retourne son attention sur moi, me lançant une oeillade plus que meurtriÚre. Elle lÚve la main, voulant surement me frapper.
â EspĂšce de...
â Tout va bien ici ?
Elle se fige, interrompue soudainement par la gouvernante de cette demeure. Roulant des yeux, un sourire carnassier sur son visage, celle-ci s'approche de nous la tĂȘte haute faisant face Ă mon interlocutrice. La jeune femme brune se ressaisit fixant ma sauveuse avec un sourire fourbe. Comme si elle n'avait pas essayĂ© de me frapper Ă l'instant. Elle grince des dents.
â Verra ! Quelle bonne surprise. Je ne vous avais pas vu.
â En effet Sierra. J'ai cru comprendre que votre pĂšre vous a autorisĂ© Ă venir un mois avant le festival des pixies.
â C'est exact. J'Ă©tais tout de mĂȘme surprise de ne pas vous voir Ă l'entrĂ©e.
â J'Ă©tais occupĂ©e... Je vois que vous avez fait connaissance avec la nouvelle protĂ©gĂ©e du Lord.
Ladite Sierra me dévisage alors j'ai l'impression qu'on est venue m'achever sur place. Protégée ? Je ne pense pas que cela ait été stipulé dans la proposition.
Vous n'avez jamais parlé en détail crétine.
Ta gueule.
â ProtĂ©gĂ©e ? murmure-t-elle, sa voix tournant lĂ©gĂšrement dans les aigus.
â Oui. Elle et Drale ont passĂ© un accord. Ce qui fait qu'elle est sous sa protection, renchĂ©rit Verra. Toute personne qui tenterait quoi que ce soit se verra sanctionner sĂ©vĂšrement.
Je manque de m'Ă©trangler face Ă cette annonce. ProtĂ©gĂ©e ? ProtĂ©gĂ©e ?! La seule personne dont je dois ĂȘtre protĂ©gĂ© c'est de ce type imprĂ©visiblement violent. Les gens oublie qu'il a essayĂ© de me tuer en faite. La femme brune serre des poings, ses ongles s'enfonçant dans sa chaire avant de les relacher. Je compris de suite qu'elle est en position d'infĂ©rioritĂ©. ComparĂ© Ă Verra qui travaille Ă temps plein ici Ă un rang Ă©levĂ©, elle n'est qu'une simple invitĂ©e. De plus, la jeune maman au cheveux Ă©meraude semble ĂȘtre assez proche dudit Lord. En d'autres termes, cette jeune femme dĂ©nommĂ©e "Sierra" n'a aucune authoritĂ© ici. Celle-ci grince des dents, ne voulant pas s'avouer vaincue.
â Je suis la fille de L'Elfe SuprĂȘme ! Je-
â Sierra.
DeuxiÚme interruption ! On dirait les rebondissements d'un récit.
Debout dans l'embrasure de la porte, Drale regarde la scĂšne les bras croisĂ©s, ses muscles saillants se tendant montrant qu'il commence Ă s'impatienter. Ses yeux argentĂ©s regardent Sierra, puis vire vers moi avant de secouer la tĂȘte, hĂ©bĂ©tĂ©. Je lĂšve les yeux au ciel. Si il a cru qu'aprĂšs tout ça je vais lui rendre la vie facile, il se met le doigt dans l'Ćil. Je ne m'avoue pas vaincue comme ça.
Prise encore au dĂ©pourvu, la jeune brune soupire, avant de me dĂ©passer pour rejoindre le Lord. En faisant cela, elle prend bien soin de, bien sĂ»r, renverser le seau d'eau sale sur les carreaux avec son pied, me trempant par la mĂȘme occasion. Je ferme les yeux lĂ©gĂšrement, recevant l'eau en pleine face. L'air faussement Ă©tonnĂ©, Sierra glousse avant de lĂącher un petit "Oups" et de s'en aller avec Drale Ă son bras. Verra grimace avant de secouer la tĂȘte exaspĂ©rĂ©. Quelle sale peste !
â DĂ©solĂ© pour...elle..., s'excuse-t-elle en relevant la tĂȘte vers moi.
â Pas besoin, dis-je sĂšchement en me relevant. De toute façon, je n'Ă©tais dĂ©jĂ pas trĂšs aimĂ©e ici.
J'allais me pencher pour ramasser mon seau, quand celle-ci m'arrĂȘte. Je me retourne vers elle.
â Laisse, commence-t-elle Ă dire. Je demanderai Ă quelqu'un d'autre de s'en charger.
â Et la puni-
â LevĂ©, me coupe-t-elle. Ăa t'aurait pris une Ă©ternitĂ© de toute façon. Suis-moi.
Sans broncher, je me relÚve, me laissant guider. A ce stade je suis juste fatiguée.
âââ
â Tiens, ça va te rĂ©chauffer un peu.
Prenant la tasse fumante entre mes mains, je souffle légÚrement dessus avant de boire le contenu légÚrement. Le liquide me brûle légÚrement la gorge, mais je sens qu'elle m'apaise, détendant mes muscles un à un.
Suite Ă cette altercation quelque peu explosive, Verra a dĂ©cidĂ© de s'Ă©loigner un peu de la demeure pour que je me sĂšche et me refasse un peu. On a fini par se retrouver dans une petite maison en bois construite juste Ă cĂŽtĂ© de celle-ci, entourĂ©s de verdure et d'arbres qui donnent le vertige. C'est la sienne. Sur le chemin, elle m'avait racontĂ© qu'elle avait toujours refusĂ© de dormir dans le domaine, bien que la plupart des gens trouvent ça Ă©trange encore aujourd'hui. Cela lui permet d'Ă©viter les rumeurs ainsi, sur elle comme sur sa fille. C'est une petite habitation faite de bois, avec le stricte nĂ©cessaire pour vivre : cuisine, salon, salle de bains, chambres, provisions... Ce n'est pas grand chose, mais c'est tout de mĂȘme assez pour elle. De plus, toute cette nature est apaisante.
Elle m'a aussi permis de me changer et de me refaire hors de toute cette commotion. Et j'en suis Ă©ternellement reconnaissante. MĂȘme si je ne comprends pas pourquoi elle est si gentille avec moi. Tout ce que j'ai fait c'est ĂȘtre dĂ©sagrĂ©able.
S'asseyant devant moi en allumant une bougie, une tasse tout aussi remplie que la mienne entre ses doigts, elle boit doucement la concoction. Ses prunelles lavandes rencontre les mien et elle me sourit.
â J'aime vraiment beaucoup tes cheveux. Ils ont l'air si soyeux... Comme un nuage.
Je sens que mes joues s'empourprent face au compliment. Je n'ai pas vraiment l'habitude qu'on les complimente directement comme ça honnĂȘtement. Aussi...SincĂšrement je veux dire. A part Nanny de temps qui me dit que si ils Ă©taient lisse, je ressemblerais Ă ma mĂšre et les sourires hypocrites de la plupart de mes servantes, je n'avait jamais rĂ©ellement considĂ©rĂ© ceux-ci comme un trait de beautĂ©. Il y avait toujours une certaine ressemblance avec un nid d'oiseau. En plus, le fait qu'ils soient longs n'arrange pas vraiment les choses, au contraire. Il est de plus en plus difficile de les coiffer. Je serre la jupe de ma robe, enfonçant mes ongles dans la chaire.
Non elle ne le pense pas...
â Merci...
Un silence mort fait rage, tendant l'atmosphĂšre comme si on tire sur une corde. J'aimerais bien faire un effort... AprĂšs tout ce qu'elle a fait pour moi. Elle m'a quand mĂȘme invitĂ©e chez elle... Mais ne serait-ce pas dĂ©placĂ© ?
Pinçant les lÚvres, je finis par céder, ne supportant ce calme plus longtemps.
â Pourquoi t'es gentille avec moi ?
Tournant la tĂȘte vers moi, je vois bien la stupĂ©faction sur son visage. Je regarde le sol. Peut-ĂȘtre n'aurais-je pas dĂ» ? AprĂšs tout, elle n'est pas obligĂ©e de me le dire non ? Peut-ĂȘtre le fait-elle par pitiĂ© ? Peut ĂȘtre...
â Parce que j'en ai envie.
Je relĂšve la tĂȘte, surprise par sa rĂ©ponse. Je m'attendais Ă tout sauf à ça.
â Envie ? je rĂ©pĂšte.
â Oui.
â Mais pourquoi ? Je veux dire... Ăa n'a aucun sens... J'ai Ă©tĂ©...
Je me tiens l'avant-bras gĂȘnĂ©e. Je ne comprends vraiment pas pourquoi elle m'aide. C'est juste tellement absurde.
AprÚs un petit moment, je sens sa main se poser sur la mienne gentiment, étirant ses lÚvres dans un sourire chaleureux dont je ne comprenais pas le sens.
â Tu n'es pas mĂ©chante Lily. Je le sais, commence-t-elle avec douceur.
Je la regarde dans le blanc des yeux, complĂštement perdue.
â Mais comment peux tu ĂȘtre aussi-
â Maman ! Maman !
Sursautant légÚrement, on se retourne vers la petite voix fluette prÚs de la porte d'entrée. Celle-ci est légÚrement entrouverte, laissant une petite fille paraßtre légÚrement. Je souris en la voyant. C'est sa fille. Elle recule un peu soudainement, intimidée par ma présence.
â Oh ! Pardon..., couine-t-elle tout bas.
â Oh voyons entre ma chĂ©rie. Ne t'inquiĂšte pas. Allez.
La petite Riwa referme la porte tout en continuant de me fixer, comme si j'étais une extraterrestre. Faisant un pas, puis un autre, elle court se réfugier dans la jupe de sa mÚre se cachant de ma vue. Verra ricane légÚrement en caressant les cheveux de sa fille.
â Mais non Riwa faut pas avoir peur...
â Elle... Elle a essayĂ© d'empoisonner Tonton Drale...
Je me fige en entendant cette phrase. Ok, donc je suis vraiment considérée comme une criminelle ayant fait une tentative de meurtre sur la personne la plus puissante ? Avec du sel ?
Voyant mon expression soucieuse, mon interlocutrice dit à la jeune fille de se calmer avant de lever un sourcil légÚrement, amusée.
â Et bien, glousse-t-elle, c'est vrai que tu as une sacrĂ© rĂ©putation actuellement...
â Je ne comprend pas... Pourquoi autant de polĂ©mique avec le sel ?
Les jeune maman lùche un petit sourire compréhensif, tandis que sa fille me dévisage avec étonnement. Elle se rapproche de moi.
â T-Tu peux manger du sel ?
J'opine doucement sous son Ćil dubitative, avant que j'entende Verra intervenir.
â Tout s'explique alors, sort-elle en prenant la petite dans ses bras. ComparĂ© Ă toi, nous ne pouvons pas manger de trucs salĂ©s.
IncrĂ©dule, je lui demande de dĂ©velopper sur le sujet ayant du mal Ă comprendre. Elle finit par m'expliquer que le sel n'est utilisĂ© ici qu'Ă des fins exceptionnelles. Il ressorte celui-ci quand il y a des invitĂ©s par exemple, ou de grands Ă©vĂšnements. Au-delĂ de ça, elle m'indique que les gens ici sont trĂšs intolĂ©rants au sel. Ils peuvent mĂȘme en mourir.
â OĂč est-ce que tu as trouvĂ© le sel d'ailleurs ?
â Au fond d'un placard, dans un sac bien ferm-
Oh. Suis-je bĂȘte aussi. Evidemment qu'il ne fallait pas y toucher. Honteuse je rougis et regarde sous le regard amusĂ© de la jeune femme. J'Ă©tais tellement focalisĂ© sur ma revanche que je n'ai pas fait gaffe aux possibles signaux qui se dressaient devant moi. L'un d'eux Ă©tant que je ne devais pas toucher Ă ce foutu sac. Tout compte fait, ĂȘtre banni des cuisines s'avĂšre ĂȘtre une sage dĂ©cision.
â Sur ce coup je n'ai pas assurĂ©e...
â C'est le cas de le dire ! rit mon interlocutrice.
Se fixant quelques secondes, on finit par rire face à la débilité de la situation détendant l'atmosphÚre.
J'ai fini par passer le reste de la journée chez Verra, apprenant et l'aidant à s'occuper de certaines tùches tout en jouant et dansant dans la joie et la bonne humeur avec son enfant. Le temps est passé tellement vite, qu'il n'a pas fallu longtemps pour que le soir tombe. Debout sur le porche de la petite maison, j'esquisse un léger sourire à l'hÎtesse de la maison qui tient son enfant dans ses bras.
â Tu es sĂ»re que tu ne veux pas que je te raccompagne ? s'inquiĂšte-t-elle.
Je lui fais un petit signe de la main.
â Ne t'inquiĂšte pas, j'ai retenue le chemin. Et puis je ne veux pas que tu laisses la petite Ă cette heure.
Elle expire légÚrement et finit par abandonner. Mes yeux tombent sur la petite qui me regarde, ses petites billes lavandes remplies de fatigue. Je lui caresse doucement les cheveux. Elle me rappelle Samira.
â Fait de beaux rĂȘves petite fleur. Tiens c'est pour toi.
Doucement, sans que les deux s'en rende compte, je fait apparaĂźtre une petite rose blanche sur son oreille, mettant en valeur son joli petit visage d'ange. Touchant sa tĂȘte et la fleur, ses prunelles s'Ă©tendent avec Ă©bahissement avant de rigoler Ă©merveillĂ©. Tournant la tĂȘte vers Verra, celle-ci m' observe avec surprise mais je mets un doigt sur ma bouche en faisant un petit clin d'Ćil. C'est mon petit secret.
M'éloignant de la maison, je fais un petit geste de la main disant au revoir à mes deux nouvelles amies.
Amies.
Je me dirige vers le domaine, le sourire aux lĂšvres.
Verra
Assise dans le salon, une petite lampe allumée posée sur la table, j'observe du bout des doigts la fleur blanche qu'à fait apparaßtre Lily. AprÚs quelques recherches, je finis par trouver le nom de la fleur dans un des livres botaniques anciens que je possÚde.
"Rosa iceberg"
Une fleur qui n'a pas poussĂ© ici depuis des dĂ©cennies. Elle est mĂȘme considĂ©rĂ©e comme extincte dans cette partie de la forĂȘt. Je fronce les sourcils. Comment elle a pu ? OĂč est-ce qu'elle a trouvĂ© ça ? A-t-elle vraiment des pouvoirs cachĂ©s ?
Mes yeux s'écarquillent soudainement dans le vide. Est- elle...
â Maman ?
Sursautant, je me tourne vers la petite voix enrouée qui m'appelle, cachant la fleur derriÚre mon dos.
â Riwa ? Que fais-tu hors du lit ma chĂ©rie ?
â J'arrive pas Ă dormir..., murmure-t-elle faiblement, tenant son doudou dans ses bras.
Secouant la tĂȘte en souriant, je pose le jolie bourgeon blab avant de la prendre dans mes bras, Ă©loignant les derniĂšres pensĂ©es qui flottent dans ma tĂȘte. Lily est juste perdue, elle ne voudrait pas nous faire du mal. Elle l'aurait dĂ©jĂ fait sinon.
Passant l'embrasure de la chambre coloré, je referme la porte doucement convaincue par une derniÚre pensée:
C'est impossible.