— Gigoter ne va pas aider ton cas Rosa Mea. Tu vas plus tomber qu'autre chose...Et entraîner peut être également "l'indésirable".
Je le fusille du regard, tournant ma tête vaguement pour pouvoir croiser ses yeux.
Ce vaut rien, pervers...Arg! Il m'agace!
Le pire c'est que je crois que je rougis...
Un sourire malicieux se dessine sur ses lèvres, alors que je me reconcentre avec difficultés sur ma jument. Une de mes mains caresse le dos d'Hazzle alors que l'autre...est bloqué derrière moi de force. Enroulé dans une chaîne peu confortable, et pressé contre lui. De plus, je ne peux pas faire beaucoup de mouvements étant actuellement en califourchon mon cheval. Sa bonne idée étant que je monte aussi sur Hazzle, m'exposant encore plus à tous. Avec lui. Dans une proximité que beaucoup aurait qualifié de vulgaire, grotesque, car à leur yeux, comme il l'a bien cité: je suis l'intruse. Là, il me présente, dans cette position comme une amante. Une femme assez spéciale...Un peu trop spéciale...
Mais le fer qui me serre est un discret rappel de ma condition.
Personne ne peut me faire du mal. Personne ne peut me tuer. Si ce n'est que lui qu'il le fait. Une torture douce qu'il essaye de m'infliger. Mais pourquoi ?
Je me demande même à des moments s' il veut vraiment ma mort.
Même s' il me la...comment dire...affirmer un million de fois ?
Fixant la crinière de ma jument, pendant qu'il tient les rênes, tout le cortège marche et trotte en direction du lieu du baptême. Les rayons du soleil passent à travers le feuillage, venant nous éclairer d'une douce lumière. Un calme paisible s'est installé, montrant le côté solennel du moment. Seul le bruit des feuilles renfrognés et des pas de tous, se font entendre. La nature est devenue la musique de l'être, et tout le monde simplement se recueille de manière à créer une symbiose. Je n'ai pas forcément envie de parler et de gâcher cette ambiance élévateur, mais il faut tout de même que je me renseigne sur certaines choses qui me démangent. De toute façon, cette intimité forcée me donne, avec ironie, l'opportunité d'être discrète.
— J'ai une question...
— Oui ?
Je marque une pause. Par où commencer ?
— Pourquoi...Pourquoi t'es intervenue au bar ?...Je veux dire t'aurais très bien pu me laisser à mon sort...
— C'est vrai que j'aurais pu.
— Mais tu ne l'as pas fait... Pourquoi ? C'est ridicule...
Son action est juste incompréhensible pour ma part. Son objectif est de me tuer, mais pourquoi ne pas vouloir le faire par le biais d'autres personnes ? Il aurait pu faire passer ça comme un accident, ou même une fuite qui a mal tourné. Sans se salir les mains. Non, il a préféré sauver ma cause et directement attaquer quelqu'un de son clan. C'est un peu bête pour un chef.
Tournant ma tête, je remarque qu'il me fixe intensément. La différence de taille se fait ressentir alors que la lueur argent de ses yeux passe à travers mes pupilles et me transperce. Il se racle la gorge, puis se remet à observer le chemin.
— Reiton est un cas particulier et un hors la loi dans ses pratiques. Je ne pouvais pas le laisser continuer sans l'avertir, dit-il calmement.
— C'est un peu plus qu'un avertissement..., je réponds avec une grimace. Le voyant passer avec sa famille...Il a pris très cher. Drale roule des yeux.
— Chacun ses pratiques...
— Mais bref. Tu évites juste de me répondre en l'utilisant comme alibi. Alors ?
Un soupir s'échappe de ses lèvres, et je le sens resserrer sa poigne sur ma chaîne légèrement. J'ai l'impression qu'il est nerveux.
— Je ne pouvais pas juste...Le laisser avec toi...
"C'est au-dessus de mes forces..."
— ...
Cette fois-ci, nos yeux se croisent... Ils se perdent, atteignant sûrement une profondeur dont je n'avais pas connaissance. Une connexion inconnue...mais à la chaleur familière, qui te prend jusqu'au cœur. Ni lui, ni moi, ne pouvons détourner le regard comme si c'est une hypnose mutuelle, consentante, introduisant une intimité qui nous prend tous les deux de cours à l'instant. Calée, contre son torse, je peux sentir les battements de son cœur devenir de plus en plus fort...
En un instant...juste quelques secondes...Tout s'arrête. Il y a juste aussi mes propres battements...tambourinant aussi fort que lui, comme si tout mon fond c'est stopper pour l'entendre.
Est ce que ces yeux ont toujours été aussi...brillant ?
Sa bouche s'entrouvre. Il essaye de dire quelque chose, mais le son ne sort pas. Son toucher devient presque brûlant...et cela malgré les tissus qui sépare ma peau de la sienne. Puis il se remet à regarder le chemin, ses deux billes cette fois-ci se forçant à ne pas dévier de trajectoire. Sa voix parvient finalement dans un murmure.
— Si tu meurs dans ses bras, je ne serai pas capable de voir tes yeux. De voir cette lueur vivace...
Il me regarde encore, replongeant dans les fenêtres de mon âme.
— ... qui éclaire mon obscurité...
BABOOM.
BABOOM.
Mes joues brûlent. L'entièreté de mon visage s'enflamme en quelques secondes, quant à mon cœur...Ce sont des bonds. Des bonds et des rebonds qu'il fait face à ces mots à laquelle il ne s'attendait pas. Effectivement, je ne m'y attendais pas du tout. Les choses se chevauchent dans ma tête de manière farouche. Je ne peux pas arrêter ce sentiment si fort malgré toutes mes tentatives internes. Une tension si intense...
Mais qu'est ce qui lui prend ?...
Pourquoi il-
...
Est-ce qu'il le ressent...lui aussi ?
Cependant, par pure innocence, j'ai oublié qu'il n'a pas terminé sa phrase. Sa bouche collé à mon oreille, ses dents frôle mon hélix et il chuchote, comme il a l'habitude de faire.
— ...s'éteindre d'elle-même, de mes propres mains.
Je me mords la lèvre inférieure cassant le contact immédiatement. Bordel mais qu'est ce qui me prend ?!... Évidemment il fallait qu'il sorte quelque chose de ce genre. J'ai envie de me taper moi-même sur la tête. Mais à quoi je pensais ?
Ce mec me déteste, pour une raison inconnue, m'étouffe et m'attache à une chaîne à son lit et moi je ressens...ça.
Je ne dois pas le ressentir ce ça. Pas envers lui.
Du coin de l'œil, je remarque qu'un rictus narquois se forme sur ses lèvres, mais celles-ci tremble un peu. Comme s' il se forçait à afficher cette expression afin de continuer à regarder la route comme si de rien était. Un de ses doigts caresse me caresse la main enchaîné avec douceur... Je serre le poing. Je voulais apprendre à cerner mon bourreau, mais à ce stade, j'ai plus l'impression que c'est lui qui m'a décelé. Comme si pour lui j'étais devenue un livre ouvert dans mes faits, mes gestes... l'adrénaline monte. C'est aussi effrayant que excitant. Car quand on rentre dans la cage du loup, la peur s'éveille mais le subconscient fait le reste du travail. Elle te donne le remède pour t'en sortir ainsi que la clé. Et j'ai actuellement besoin de cette clé.
J'ai peur de ne plus pouvoir respirer.
S' il pense qu'il m'a complètement eu, ce n'est qu'une illusion passive.
Continuons de récolter plus d'informations pour l'instant.
Après un petit moment, nous arrivons finalement au dit Fairy Pond, et je n'aurais jamais imaginé voir un tel paysage. Nous nous retrouvons en face d'un très large creux au milieu de la forêt, des saules pleureurs entourant un étang et illuminant le cercle qu'ils forment d'une douce lumière. En réalité, ce sont des fées qui décorent les feuilles et les branches de leur poussière brillante, accentuant le vert des feuilles pour les faire rayonner avec le soleil. Elles y placent également plusieurs luminosas (voir chapitre 9) afin de créer quelques guirlandes. L'eau est claire, limpide. Des pierres, semblant à des joyaux, réfléchissent, et, une grande statue de Leibrum trône au milieu de l'étang, comme si celle-ci garde l'endroit. A ses pieds, une immense pierre rouge, lumineuse, plongée à demi dans l'eau. Elle sort du lot reprenant sa place de souveraine au milieu de ses compères. Le parterre est recouvert de fleurs de différentes couleurs nous mettant dans une atmosphère mystique. En d'autres termes, ce paysage est comme un rêve éveillé, qui fait bondir ton cœur juste en le regardant.
C'est magnifique.
On s'arrête près d'une des nombreuses calèches, un palefrenier étant présent, sûrement prévu pour contenir les étalons le temps de la cérémonie. A peine Hazzle s'arrête que Drale m'attrape par les hanches et nous fait descendre, me laissant très peu de marge pour réagir. Le sol atteint, je le pousse immédiatement et croise les bras, tournant la tête, ne voulant pas qu'il prenne plus de plaisir à me toucher.
Oui, je suis peut être légèrement agacée par rapport à ce qui c'est passé tout à l'heure.
...
Et puis flûte hein ?
Il rigole légèrement puis tire sur la chaîne afin de me forcer à décroiser le bras et le regarder en face. Je grince des dents alors qu'il me parle presque de manière inaudible.
— Tiens-toi bien Rosa Mea. Tu as tout de même passé l'âge de faire des caprices en public, non ?
Je le fusille du regard puis il se remet à glousser, donnant le bout de mon fer à un de ses gardes. Un jour, je jure... je vais faire de lui de la charcuterie rien qu'avec les pointes de mes ronces !
Puis il s'éloigne, allant rejoindre l'homme à la barbe grise et Sierra. Je peux voir celle-ci continuer à me regarder tel une vipère, mais elle détourne la tête, écoutant la conversation entre celui dont je suppose est son père et le Lord. Crois moi ma pauvre t'as pas envie d'être à ma place.
Mon attention est cette fois-ci happée par le garde qui m'emmène avec nonchalance quelque part loin de la foule. Un coin semblant isolé du reste. Il me force à m'asseoir sur un tronc entre deux de ses collègues, donnant la chaîne à l'un d'eux. Ceux-ci font à peine fait de moi, discutant entre eux comme si de rien était des festivités à venir. Je soupire. Il a tout prévu pour éviter un maximum que je m'échappe: de la surveillance, de l'isolement et une prévention d'analyse de l'environnement. En soit je ne peux que voir de loin ce qui se passe près de l'étang, surement pour que le personnel puisse tout de même voir la cérémonie.
Je dois avouer que ça ne m'arrange pas dans mon plan. Il faut que j'arrive à m'extirper de cet endroit et à me faufiler dans la foule. Coute que coute.
— Soldats !
A peine cependant ai-je le temps, d'arrêter ma contemplation que Joshua apparaît, lance à la main, un air plus que sérieux sur le visage. Tout le monde adopte immédiatement une posture convenable. Un air impassible. Le grand-frère de Verra,d'un pas intimidant, passe près de chacun de ses subalternes en les scrutant de haut en bas. Son regard est minutieux, à croire que le moindre bruit attirerait ses fureurs. Puis ses yeux se posent sur moi. La flamme qui anime ses pupilles s'accroît et il s'avance vers moi comme une menace. Je fronce les sourcils, levant la tête pour le regarder.
Comme si j'allais me laisser intimider par lui.
Sa voix crache autoritairement, parvenant à mes oreilles de manière venimeuse.
— Nous avons une mission de très grande importance aujourd'hui, commence-t-il sans me lâcher du regard. Je suppose que vous avez tous compris qu'on a pas droit à l'erreur avec elle ?
L'emphase sur le "elle" est tellement prononcée...Je peux sentir les autres me zieuter de coin de l'œil avec insistance. La question est plus que bête. Joshua penche la tête légèrement, laissant la tension hostile dans l'air atteindre son apogée. Puis, d'une main ferme, il retire son gant en maille avant d'empoigner avec force la chaîne en fer qui m'entoure le poignet, sous le regard ébahi de ses subordonnés. Qu'est ce que... Sa peau commence à chauffer, au point qu'une fumée blanche commence à sortir de son poing et que sa peau commence à être violacée. Il serre les dents, fermant les yeux tout en fronçant les sourcils alors que des gouttes de sueur viennent perler son front. Cela se voit qu'il est tiraillé de douleur, mais...pourquoi alors s'infliger une telle chose ?
Et puis...Comment une foutu chaîne en métal arrive à lui faire une telle chose ?!
Puis d'un coup, son autre main, tenant l'arme, se lève ,et, lâchant la chaîne sur le sol, la lame agrippe le bout de celle-ci, l'enfonçant profondément dans le sol.
BAM.
On aurait même cru que de l'électricité s'échappe du geste, tellement le coup est puissant. Le sol est fissuré laissant comme des éclairs noirs sur le sol alors que de la poussière vient brouiller l'air, me faisant tousser. C'était peut être fort, mais le résultat est propre, ne laissant aucun cratère, aucun dégât majeur. Impressionnant.
Certains passants regardent la scène avec étonnement, mais je ne me concentre que sur la personne qui nous regarde de loin avec un rictus. Ses yeux fixent les miens avec grande satisfaction, ce qui me confirme à quel niveau de vice on est au niveau de notre "relation". Je fronce les sourcils en sa direction avant que mon attention ne se remette sur le capitaine aux cheveux émeraudes. Ouvrant et fermant sa main, il finit par remettre son gant en maille avant de lancer une dernière parole.
— Nous n'avons pas droit à l'erreur. Si l'un de vous la laisse s'échapper ou nuit à son devoir, j'embroche ses membres et fait de lui le dernier des gibiers. Est-ce clair ?
Un frisson passe dans le dos de certains, mais ils ne flanchent pas, répondant un "Oui capitaine" à l'unisson sans plus de pression. En toute honnêteté, je pense que la menace m'est plus destinée...Je l'imagine bien me balancé des lances électriques à tout bout de champs dans le seul but de me tuer.
— Tonton !
Tiens tiens, une invitée surprise ?
Le chef de la garde sursaute, regardant la petite avec de gros yeux alors que celle-ci lui sourit de ses dents blanches. Son visage se décompose en un petit sourire gêné.
— Riwa, ma petite fleur de feu, pourquoi tu n'es pas avec maman ?
— Parce qu'elle est occupée ! En plus les autres enfants sont nulles! Ils ne savent pas jouer à la marelle!
Un des soldats à sa droite se retient de pouffer de rire mais arrête net après que Joshua lui lance un regard plus noir que la nuit elle même. Celui-ci se racle la gorge avant de recommencer à sourire devant elle. La petite aux embouts enflammés tourne la tête vers moi, son visage s'éclairant en me voyant.
— Lily ! Coucou!
Un sourire apparaît sur mon visage et je lui fais un petit geste de la main en guise de réponse. Joshua nous regarde ébahis, de la sueur froide se déferlant sur sa joue.
— Vous...vous connaissez ? demande-t-il avec hésitation.
— Ouiiii, lui répond-elle avec enthousiasme à son oncle. C'est mon amie, elle est trop gentille!...Qu'est ce qu'elle fait là d'ailleurs ?
Le capitaine commence à suer de plus en plus à grosse goute et moi à glousser. Peut être que finalement c'est cette petite qui va me sortir du pétrin une fois ? J'ai bien fait de gagner sa confiance.
Joshua expire avant de s'accroupir et se mettre à sa hauteur, son visage adouci par l'innocence et la naïveté de la jeune fille.
— On la place juste en tant...Qu'invitée d'honneur! Oui! C'est pour ça qu'il y a autant de personnes qui la garde.
— Ah...
Miséricorde, pitié, dites moi qu'elle va pas gobé ça!
Elle m'observe encore longuement, son doigt au coin des lèvres semblant réfléchir. Elle pointe la lance enfoncer dans le sol.
— Et ça ?
Il se fige avant de la prendre dans ses bras avec précipitation, la calant contre son torse comme le ferait un parent.
— Ne t'inquiète pas, c'est juste une babiole que j'ai voulu mettre là.
— Mais tontooon!
Ils finissent par s'éloigner et je lève les yeux au ciel. Évidemment il n'allait pas laisser une enfant, surtout sa nièce, ruiner ses plans non plus. Je vais donc me contenter de mes propres moyens pour sortir de ce pétrin. En soit c'est pas comme si c'était pas le plan de base...Le seul bémol maintenant c'est cette foutu lance qui à l'air d'être six pieds sous terre! En plus de ça le métal de l'autre imbécile n'est pas si facile à détruire...
Merde!...
Le seul moyen encore qui me reste serait de réutiliser ma magie. Chose que je ne voulais pas faire car ça leur permettrait sûrement de trouver plus de cartes à mon encontre, surtout avec tout ce monde autour...Mais là faire l'impasse s'avère avouer de se mettre des bâtons dans les roues toute seule. Ouvrant ma sacoche, je prend mon carnet que je mets sur mes genoux, sous l'œil curieux d'un des sous-fifres. Il doit se demander ce que je fais. Je lui fait le plus grand des sourires, lui montrant une page du carnet, remplis d'écriture et de schémas complexes. Il la fixe éberlué avant de reporter son attention vers moi. Bin quoi ? Ça ne t'intéresse pas ? Dommage. Grimaçant il murmure à son collègue "elle est bizarre", puis retourne son attention sur l'événement. Eh, ça marche à tous les coups...
Sans plus attendre je murmure une formule.
"Somniflores Dormire"
Dans un souffle, de la poudre de somniflore viennent passer dans ses narines, l'endormant immédiatement comme s' il vient de faire un malaise. Les autres se précipitent vers lui, essayant de le secouer, de le réveiller, certains même cours chercher de l'aide. Mais c'est inutile.
Je souris.
C'est parti.
Somniflore [ nom masculin ]: Fleure dont la poudre endort quiconque qui l'inspire pour une durée indéterminée. Elle est généralement utilisée en très petite quantité sur des personnes atteintes d'insomnie. Elle peut être aussi utilisée de manière décorative pour sa couleur mauve, notamment sur les couvertures de livres du moment que l'on arrive à bien assécher les molécules.