Chaque semaine, c'est la même routine. Je me lève, me prépare pour voir mon père au petit-déjeuner, puis, étudie l'économie du pays, suivie de l'histoire des royaumes. Je mange. L'après-midi, cours de magie, puis j'apprends à manier l'épée avec M. Doufus, le chef de la garde. Même si aujourd'hui, mon emploi du temps risque d'être un peu chambouler. Je retourne sur mon lit, essayant de me rendormir. Je ne veux pas penser à ça dès le matin. Je vais finir par être de mauvaise humeur. Et apparemment, "ce n'est pas bon pour mon teint". Soudainement, je peux entendre la porte de ma chambre s'ouvrir doucement. Le cliquetis de la serrure me dit déjà que ma gouvernante, Nanny, est déjà là, prête à m'extirper de mon lit. Ses talons claquent le sol doucement pour aller ouvrir les rideaux de la grande fenêtre de ma chambre.
— Debout ! Debout, votre majesté ! chuchote-t-elle de sa voix fluette.
Je continue de fermer les yeux. Je dors.
— Il est temps de se lever...
Elle fait soudainement le tour, se dirigeant de l'autre côté de mon lit. Hors de question que cela me fasse bouger. Je l'entends soupirer d'exaspération.
— Voyons votre altesse, vous n'allez pas recommencer !
Et c'est reparti pour un tour.
Elle agrippe soudainement ma couverture, m'obligeant à ouvrir les yeux, avant de commencer à tirer sur celle-ci d'un seul mouvement de bras. Ah non !
Je commence à agripper le bout de tissu avant de tirer la couverture à mon tour. C'est là que commence un jeu sans fin de tir à la corde. Il est hors de question que je perde cette bataille. J'ai des plans aujourd'hui. C'est ma seule opportunité de sortir de cette routine. On étouffe dans ce château. Non, cette prison. Je ferme les yeux, mettant plus de force dans mon acte.
Finalement, j'entends un déchirement. Ouvrant un œil puis le second, je regarde l'expression stupéfaite de ma Nanny, choquée du soudain déchirement du bout de tissu. Apparemment, celui-ci n'a pas survécu non plus. C'est le troisième ruiné en seulement une semaine. Un record. Ma gouvernante souffle.
— Lily... tu te rends compte qu'on vient de la changer ?
— Trois en une semaine ? Je dirais plutôt que je me suis surpassée ! dit-je un petit rire s'échappant de mes lèvres. Elle finit par me gronder.
— Princesse ! S'il vous plaît !
Je secoue ma tête avant de me lever, attrapant ma brosse au passage. M'asseyant devant le miroir de ma coiffeuse, je murmure.
— Je me lève, je me lève... Je connais déjà la chanson...
Elle attrape ma main, enlevant l'objet de celle-ci avant de me démêler les cheveux doucement.
— Une princesse doit toujours...
Je finis sa phrase.
— ... se comporter de manière gracieuse, bien élevée et avec un immense sens du devoir. Je sais.
Enlevant les nœuds, elle pose la brosse sur la coiffeuse avant de les réunir et de les relever pour former un chignon. Elle exhale avant de rediriger ma tête de manière droite devant le miroir. Elle finit par enlever quelques mèches pour les placer sur mon front.
— Là... Une vraie princesse !
Fermant les yeux doucement en secouant la tête, je me lève dans l'optique de me diriger vers la salle de bain. Nanny clappe des mains entraînant une ribambelle de servantes au pas. En un rien de temps, tout est préparé : les différents parfums aux senteurs fleuries, alignés sur une petite table, ma robe en soie rose pâle sur mesure debout sur un mannequin, ainsi que mon diadème fait d'or et de diamant d'une couleur rose égalant la couleur de mes yeux. En face de moi, un bain m'attend. Des pétales de roses rouges s'éparpillent dans l'eau. Souriant, je me tourne vers les servantes qui m'aident à me déshabiller avant de me mettre calmement dans le bain. A peine, eu-je le temps de m'installer qu'on me bombarde de différentes questions.
— Votre majesté, est-ce vrai que vous allez passer votre dernière évaluation en ce qui concerne l'histoire du royaume ?
— Allez-vous réellement accéder au trône de votre père au banquet ?
— Avez-vous déjà un prétendant ?
En entendant ce mot, je suis sûre d'avoir senti mon sang ne faire qu'un tour. Je déteste ce mot. Cela me rappelle juste les mots de Papa, des mots dont je ne comprends toujours pas les bases.
"Une reine ne peut survivre sans son roi"
Fermant les yeux, je me plonge dans mon bain, à la plus grande surprise de mes servantes et de ma gouvernante. L'eau passant dans mes cheveux, ruinant ainsi mon chignon. Ce n'est pas grave, je n'aime pas cette coiffure de toute façon. L'eau rosée passe dans mes narines alors que je me laisse couler. À quoi bon être une héritière si mon seul objectif à la fin est de continuer ma lignée ? Je déteste cette conception.
Je n'ai qu'une envie, leur faire ravaler leurs mots.
❀❀❀
— Comme tu le sais, la partie de chasse annuelle du royaume va bientôt commencer...
Je tousse fortement, manquant de m'étouffer avec la nourriture. En regardant mon père, je capte ses yeux rubis qui attendent ma réponse avec impatience. J'aurais dû m'en douter... Je pose ma fourchette doucement sur la table après avoir patouillé dans la nourriture. On dirait que l'appétit m'a été coupé. Je lui réponds.
— On m'a mise au courant.
Il sourit de toutes ses dents, son regard perçant essayant de me tester. Je n'ai pas l'intention de faiblir.
— Un joyau a-t-il... capté ton attention ?
Je fronce les sourcils. Bien que cette demande soit pleine de sous-entendus, je n'en ai rien à faire.
La partie de chasse annuelle d'Avria est une belle opportunité pour les différentes maisons et familles d'affirmer leurs positions. Elle n'est réservée qu'aux fils héritiers de rang noble et ne se présente qu'une fois dans l'année. C'est aussi le moment parfait pour déclarer sa flamme. A cette occasion, chaque homme noble fait faire une broche bien spécifique avec le joyau phare de sa famille. Ce bijou doit être unique dans son design pour être distingué d'une part, mais surtout pour délivrer un message sûr auprès des autres nobles. Un noble qui offre une broche à une femme durant cet évènement, automatiquement est considéré comme faisant une demande en mariage. La femme portera la broche alors durant tout l'évènement, clamant le fait qu'elle ait été réservée. C'est aussi comme ça que peuvent commencer les rumeurs et conflits. Une femme refusant une broche doit être soit mariée, soit fiancée. En d'autres termes, ne pas accepter une telle opportunité serait suspicieux pour tout le monde et serait fortement jugé. Ce qui est une honte pour tout noble qui se respecte.
Dans mon cas, c'est plus compliqué. Étant une princesse, je reçois chaque jour des demandes de nobles venant non seulement de mon royaume, mais aussi d'autres de fils de rois ou d'empereurs voulant à tout prix s'allier à mon père. C'est frustrant, mais cela t'évite de subir la torture de ces gens sans dignité.
Mâchouillant un bout de pain, je souris à mon père, le fixant à mon tour avec mes pupilles. Il ne va pas m'avoir comme ça.
— Mmh... Aucun.
— V-Vraiment ? répond-t-il, manquant de s'étouffer à son tour avec son café.
— C'est exact. Je ne voudrais pas mettre la honte à notre famille, je lui réponds en prenant ma tasse dans les mains.
— C'est-à-dire ?
Prenant une gorgée de café à mon tour, je repose ma tasse de manière calme, posée, essuyant délicatement le contour de mes lèvres.
— Voyons Père. Un diamant tel que moi ne peut se contenter que de simples contrefaçons.
— Tu as raison Lily !
Je lève les yeux vers lui. Son cri soudain de joie m'interpelle au pas. Caressant sa barbe du bout de ses doigts, je sais que cela ne présage rien de bon pour moi. Se levant de sa chaise, il me regarde de haut, savourant sa petite victoire.
— C'est pour cela que j'ai invité les autres royaumes à venir nous rejoindre.
Je recrache mon café d'un coup, m'étouffant presque à cette annonce. Pardon ?
— Je suis sûr que le prince, Oras, se fera un plaisir de participer à la partie de cette année.
Oh non... Je me lève à mon tour et me dirige vers la porte de la salle à manger, attrapant la serviette qu'une des servantes me tend au passage.
— Après tout ma chérie...
Je passe devant lui.
— Plus on est de fous, plus on rit !
Je sors de la salle. Claquant mes talons, je longe furieusement le couloir faisant comprendre aux gens autour de moi que je ne veux pas qu'on me parle. Je n'arrive pas à comprendre comment mon père pense. Je n'arrive pas à comprendre son raisonnement. Il sait très bien que je ne veux pas me marier. Surtout pas à Oras, ce prince arrogant d'un royaume voisin. Je serre des poings fortement.
M'arrêtant enfin, je tourne la tête devant un tableau qui m'est familier. Une femme pose assise toute souriante, ses longs cheveux blancs lisses aux pointes violettes, cascadant sur ses épaules. Ses yeux d'une égale blancheur, contrastant avec sa peau bronzée, des taches de rousseur qui couronne ses joues, fixant droit devant avec une douceur immuable. Vêtue d'une robe de soie blanche et violette et d'ornements, même à travers les tableaux, sa beauté continue d'éclairer le château. La broche rouge en forme de cœur, fixée au milieu de sa robe qui vient me confirmer l'identité de la personne. Ma Nanny me dit souvent que je suis une pâle copie d'elle. Un égal sourire, les mêmes taches de rousseur, la même couleur de peau. La seule chose qui me différencie d'elle c'est la couleur rose pâle de mes cheveux et de mes pupilles. Comparé à elle, je n'ai pas non plus les cheveux lisses et bien coiffés. Je n'ai que pour moi, mes cheveux ondulés, presque bouclés qui s'éparpillent sur ma tête comme un nid d'oiseau. Je ne suis pas non plus gracieuse comme elle. Douce comme elle. Fragile comme elle.
Je ne suis pas elle.
Je ne suis pas ma mère.