En très peu de temps, la chaîne de haute sécurité qu'ils avaient créée à mon encontre se défait. Ils sont tous si concentrés sur leur compère...qu'ils ont oublié que j'étais actuellement juste à côté de lui. Est qu'ils supposent, même, que j'aurais pu lui faire quelque chose ? Un coup bas ? Peu importe. Souriant à l'euphorie des gardes, j'en profite pour faire pousser deux solides ronces aussi discrètement que possible. Celle-ci s'agrippent avec force aux deux côtés d'une des boucles de ma chaîne. Okay... En un mouvement rapide, je brise les fers, jetant au sol ce qui m'enfermait le poignet avec rage. Enfin...Me levant, je m'étire les bras remplis de satisfaction avant d'enfoncer, avec mon pied, ce satané bout de métal. Qu'il mord la poussière, autant que son propriétaire! Je lève immédiatement les yeux vers Drale, qui sans surprise, avait déjà son regard sur moi. Il devait m'observer depuis que j'avais brisé sa foutue boucle. Il l'a senti.
Alors mon beau, qu'est ce que tu en penses ?
Du fait que je ne sois pas sans défense ?
Sa bouche s'entrouvre, alors que ses pupilles, elles, s'illuminent telles des étoiles. On aurait pensé que cela le mettrait en colère. Mais non. Contre toute attente, un rictus malicieux se forme, me troublant sur place pendant une seconde. C'est par cette même occasion que mon cœur en profite pour faire un bond.
BABOOM.
J'empoigne mon vêtement avec hâte au niveau de ma poitrine, regardant le sol alors que je ne peux pas calmer ces battements incessants. Hors de question. Hors de question que je me laisse... Enivrer. Pas possible. Pas après ce qu'il m'a fait.
Je ne peux pas.
Fermant mes yeux, je souffle un bon coup puis les ré-ouvre de nouveau. Le Lord avait tourné sa tête, afférant cette fois-ci à ses altercations et occupations comme si de rien était. Pas une seule oeillade, pas une seule incurvation, rien. Suis-je entrain de devenir folle ?
Secouant la tête, je retourne mon attention sur les gardes qui cette fois-ci m'observent avec une certaine méfiance. Leur ami est toujours couché dans un coin isolé, mais leurs yeux, ainsi que le bout de leur armes sont pointés vers une seule personne. Ma personne en soit. Ils sont plus vifs que ce que je pensais. A travers eux tous réunis, j'aperçois Joshua en arrière plan. Il lorgne ce qui se passe alors qu'il occupe la portion curieuse de la foule avec sûrement quelques potins. J'hoche un sourcil.
Je n'ai pas dit mon dernier mot, petit con.
— Rends toi, intruse! crie l'un.
— Tu es seule face à nous tous. Tu n'as aucune chance!
— Elle est faite comme un rat!
Beaucoup de paroles, beaucoup de sous-estimations... Ils doivent être sûrs d'eux. Les a-t-on monté la tête ? C'est bien dommage. Gardant mon impassible expression, je les fixe un à un, les examinant jusqu'au plus petit détail. Certains, même s' ils me fusillent du regard sans scrupule ou serrent leur arme avec ferveur, tremblent. Leurs phalanges blanchissent à mesure que leurs doigts vibrent sous la pression et la tension qui monte.
Personne ne bouge.
Mais l'action se fait quand le corps apprend à être immobile. La subtilité des gestes dans la menace, se fait quand on ne peut pas les voir. Pas encore en tout cas. La manière dont ils tiennent leurs armes, leurs positions...Qui va bouger en premier ? Celui à ma gauche ? Ou celui de droite ? Telle est la question qui me trotte. Mais je suis prête. Au même moment, une douce musique est jouée près du peuple, le nouveau spectacle attirant immédiatement la lumière. La foule s'enjaille, s'éloigne, danse d'une part sur la flûte de pan d'un des habitants. Puis un tambour le rejoint... Un contraste parfait par rapport à ce qui va suivre.
Finalement, dans un cri de guerre, c'est celui de droite qui bouge le premier, dans un saut.
— Sale mortelle !
Projetant sa lance depuis les airs, celle-ci file à toute vitesse, prête à me transpercer. Les sourcils hauts, je commande une de mes ronces en direction de l'arme faisant en sorte de l'attraper juste avant qu'elle ne m'atteigne. Comme un tour de passe-passe, je dresse mon bras au même moment dans sa direction et d'un coup, des plantes agrippantes s'enroulent autour de ses chevilles et le tirent, le vautrant à terre avec violence.
Et de un.
A peine ai-je le temps de souffler et de jeter l'arme hors du champ, qu'une autre lance avec une substance gluante me fonce dessus. Lâchant un petit cri de stupeur, je replis mon bras au niveau de ma poitrine et forme un bouclier composé de plusieurs racines épaisses. La lame s'enfonce dans la dureté du bois, devenant sombre immédiatement au contacte de la mixture avant de tomber en poussière. Du poison...
Ma confirmation que tous les coups sont permis.
Comme prévu.
Esquivant une deuxième arme du même type, j'attrape le manche de la fameuse lame avant de faire un pivot et de renvoyer l'objet à son envoyeur. Pris de cours, il l'évite de peu faisant un bond, une flaque toxique s'épaississant devant lui, le prévenant de s'approcher.
Et de deux.
Et ce n'est que le commencement.
Poussant sur mes appuis, j'enfonce mon pied sur le front d'un des gardes pour prendre de la hauteur avant d'effectuer un backflip. Puis, étirant un de mes bras, j'attrape une des branches d'un des saules pleureur afin d'avoir un champ de vision plus large. Un rictus se forme sur mes lèvres et je plonge mon autre main dans ma sacoche. Le métal froid de la dague me procure un frisson, tandis qu'une autre lance manque de me frôler et vient s'enfoncer dans un rocher. Très bien à mon tour d'attaquer.
Me laissant tomber au-dessus de la petite troupe, je donne un coup de pied au visage de l'un des soldats, avant de pointer ma petite arme devant la face d'un autre, la lui plantant dans la main. Celui-ci pousse, un cri d'horreur, de douleur, alors que sa peau commence à noircir, voire brûler. Stupéfaite, je retire immédiatement ma lame regardant l'homme grincer des dents, tenir son poignet alors qu'il tombe à genoux. De la fumée sort de la plaie, comme si on avait commencé un feu de cheminée. Qu'est-ce que-
— Elle a du fer ! hurle-t-il aux autres alors qu'il se tord de douleur.
Les autres le regardent ahurie, avant de se précipiter vers moi, la rage régnant à présent. Merde. J'esquive comme je peux la vague de garde avant de glisser et passer tel un tunnel entre les jambes de certains. Poussant sur mes membres, je commence à courir en direction de la masse. Merde.
Regardant autour de moi pour voir si quelqu'un à quelque chose pour me couvrir, j'aperçois une cape soigneusement pliée sur une pierre accompagnée d'effets personnels.
Gagner.
L'attrapant d'une main et je me faufile entre deux immenses feuilles, entendant des pas lourds s'approcher de plus en plus. Par pitié-
Je retiens ma respiration alors que deux gardes s'arrêtent dans les environs, examinant les lieux pour essayer de retrouver ma trace. L'un serre le poing, se tournant vers son collègues:
— Putain, on l'a perdue !
— Elle doit sûrement s'être fondu dans la foule...
— Le capitaine va nous trucider! Et puis ce qu'elle a fait à Marcus! crie l'un avec choque mais aussi avec une pointe de peur.
— Arrête ton char...C'était prévu venant d'une mortelle..., chuchote son collègue, cachant sa propre inquiétude.
— Par Leibrum...Par Leibrum...
— Hey, dit-il en mettant ses mains sur ses épaules. On va la retrouver...On a encore un petit peu de temps avant que la cérémonie commence. Allons chercher dans cette direction...
L'autre acquiesce et les deux s'éloignent dans la direction opposée. J'expire de soulagement. C'est pas passé loin... Enfilant la cape doucement, j'attache mes cheveux en une queue de cheval avant de mettre la capuche. Avec un peu de chance, je vais pouvoir m'échapper sans plus de grabuge. Me stoppant un moment, mon regard se pose sur le fer ensanglanté, mais aussi légèrement noirci dans ma main. Mon membre tremble à mesure que mes pupilles se troublent, la vue du sang se changeant en cendre sur le métal encore chaud. Sa main a commencé à brûler comme pour le frère de Verra en touchant juste la chaine, mais en deux fois pire. Qu'est ce que j'ai fait ?...Je ne l'ai pas tuée, ni visée son cœur de quelconque manière. Je voulais juste pouvoir m'en sortir. Mais pourtant...J'ai l'impression d'avoir fait le crime le plus abominable du monde. Ma gorge se serre et j'ai peine à ravaler ma salive face à l'effroi qui me prend aux poumons.
Bon sang...
Renfermant la dague dans ma paume, je fait en sorte de bien la mettre au fond du sac afin de ne pas avoir de surprise.
Mais aussi car je n'ai plus envie de la voir...
Puis, vérifiant que la voie est libre, je sors, me faufilant doucement entre les gens comme une petite souris. A force de croiser les uns et les autres, j'empoigne mon sac d'une main comme si je veux me rassurer que la dague est bien là. Qu'elle reste en place.
Toutes sortes de gens se sont réunis auprès de l'eau. Les familles, les enfants, les vieillards... elfes, fées, faes...Ils ont tous les yeux rivés sur l'estrade naturelle faite par les pierres près de la statue. Là où se tient Drale, Sierra...son père, ainsi que le dirigeant des fées. Je ne peux pas m'empêcher de regarder le brun ténébreux, alors que son corps est solennellement de marbre face à la foule. Les battements de mon cœur reprennent de plus belle. C'est juste plus fort que moi...Il me captive. Cette foule, d'ailleurs, discute avec excitation des évènements qui vont suivre. Certains parlent de la nourriture à venir, d'autres de la fête, des baptêmes précédents. Ils s'enjaillent, bouillant d'excitation afin de voir le pouvoir des nouveaux bébés faes s'éveiller. Une conversation particulière me parvient cependant à l'oreille.
— Tu sais pourquoi la tribu des nains n'est pas venue à la cérémonie cette année ?
— Apparemment ils auraient subi une attaque il y a quelques jours de ça. Le chef ce serait gravement blessé.
— Oh non...ses enfants doivent être dévastés...
Il existe une tribu de nains ? Une attaque ? Je plisse le nez légèrement en regardant à terre alors que je divague. En réalité, je ne suis pas vraiment surprise d'apprendre qu'il existe d'autres créatures magiques ( car je suppose qu'elles ont leur propre particularité) dans cette forêt. Après tout, j'apprends tous les jours, je suis loin d'avoir fini. Pourtant... une "attaque" ? Quel genre d'attaque ? Drale, ou le Lord, n'est il pas censé être le seul danger dans ces cîmes ? Ce serait tout de même un peu bête de sa part de vouloir attaquer ceux avec qui il a une alliance. Ou ne serait-ce que de bonne relation. Ou peut-être est-ce une façade ?
C'est louche.
Mais je n'ai honnêtement pas le temps de me poser plus de question dans cette situation. Au même moment, mes pensées s'interrompt par la voix du père de Sierra.
— Aux fées, aux faes, aux elfes et à nos amis les nains qui n'ont pas pu venir cette année...Moi, L'Elfe Suprême, c'est avec fierté et honneur, que je vais rendre hommage à notre dieu. A sa volonté et à sa bonté. Nous présentant ainsi comme des descendants fidèles de sa lignée, nous faisons appelle à son pouvoir, pour pouvoir éveiller une autre génération d'enfants. Que les familles avancent...
Qui lui dit que par le sang, je suis l'arrière...arrière...bref, petite fille de leur dieu adoré.
Ils ne vont pas te croire.
Ben voyons ! Même Drale roule des yeux face à son discours ! Et puis...L'Elfe Suprême ?
Plusieurs familles de différentes tenures s'avancent: complète, monoparentale, reconstituée...Le membre le plus important à ce moment précis, en chacun, étant le nourrisson qui sait à peine parler. Mon regard se pose sur une jeune mère fae qui s'avance dans l'eau. Son bébé, emmitouflé précieusement dans une couverture, gazouille, ses petites mains toujours dirigées vers elle avec excitation. Le père, un peu plus en arrière, regarde avec amour et nervosité la scène. Il doit sûrement être terrifié à l'idée que les choses ne se passent pas comme prévu. Le dit Elfe-Suprême s'avance vers le couple, les invitant d'une main cérémonieuse à plonger le petit être dans l'eau. Mes yeux s'écarquillent. Ils ne vont pas noyer le bébé hein ? Hein ?!
Regardant son amant, inquiète, celui-ci la rassure avec un hochement de la tête et, avec précaution, elle le plonge dans l'étang. Le monde retient son souffle. Moi également, mes yeux ne pouvant pas quitter la scène absurde. Le bébé se débat, on peut voir même qu'il inspire le liquide. La panique m'envahit, des picotements passant sur ma peau perturbé par ce qui est devant moi. Mais que quelqu'un intervienne ?! Il va se noyer! Pourquoi personne ne bouge ?! Mon dieu...
Suant à grosse gouttes, les yeux fixés face aux évènements, je serre le poing, me préparant à intervenir. Autant je n'aime pas la vulgarité, ni la manière dont il me juge et me traite, autant je ne suis pas prête mentalement à assister à un sacrifice consenti d'un bambin d'à peine une année! Ce sont des malades! La population est aussi nerveuse que moi...Le sois-disant maître de cérémonie également car on peut le voir! Ses billes font des va et vient entre la pierre et le petit...Mais pourtant rien. Ils ne font rien !
Faisant un pas, je me prépare à intervenir quand une main se pose sur mon épaule, m'empêchant de bouger ma place.
— Attends.
Je me tourne immédiatement vers la voix, la reconnaissant. De tous les personnages que j'ai rencontrés ici, c'est vraiment, à présent la dernière personne sur qui je veux tomber. Surtout avec son putain de frère.
— Verra, je t'avoue que je ne suis pas vraiment d'humeur patiente sur ce point.
— Tu commences déjà à parler comme lui. A ce stade, vous vous foutez bien de la gueule du monde.
Balayant le sous-entendu qu'elle a voulu me faire passer, je la regarde avec un mélange d'incrédulité mais aussi de méfiance. Depuis ce qui c'est passé au bar la dernière fois, j'avoue que la confiance est un peu à son point mort. Ses mots peuvent sûrement porter autant de mensonges que ses intentions. Après tout, n'est elle pas du même peuple qu'eux ?
Une lumière aveuglante me fait finalement sursauter. Le lac s'est mis à scintiller, reflétant sa magie hors-norme, tandis que la pierre rouge, elle, luit d'une lueur qui aveugle même celui qui se tient au loin. La chaleur qu'elle dégage également...
Pourquoi j'ai cette forte impression d'avoir déjà vu ça quelque part ?
D'avoir déjà...ressenti ça ?
Les secondes qui suivent, les cris de l'enfant submergé font leur échos, et mon attention se reporte sur lui. Dégoulinant et agitant ses petits bras, il laisse aller ses larmes alors que sa mère essaye de le consoler en lui chantant une petite berceuse. Mais quelque chose à changer en lui. Je peux le sentir de là. Un grondement de tonnerre se fait entendre et tous regardent le petit nuage gris se former au-dessus des têtes. Au même moment, il ouvre les yeux, révélant une douce lueur bleu ciel. Il...peut contrôler la tempête ?...
J'hallucine...
Voyant les prouesses de leur fils, les parents sautent de joie cajolant l'enfant avec soulagement. Mes lèvres s'incurvent un petit peu également face à cette joyeuse prouesse, mais le choc est loin d'être parti. L'Elfe Suprême lève les bras avec triomphe et la foule s'exclame, souhaitant tous la bienvenue au petit nouveau au sein du peuple. Peu à peu, le nuage se dissipe laissant place à des gazouillement enjoués et des baisers d'amour des deux parents.
C'était...inattendu...
Ma tête pivote avec lenteur vers mon interlocutrice au cheveux vert, et celle-ci détient une expression mitigée. Allant de la compréhension, à la culpabilité. Elle inspire. Elle veut sûrement que j'écoute ce qu'elle a dire.
— Il faut qu'on parle.
— De quoi ? Je crois que tes actions ont assez parlé pour toi ?
C'est sorti plus sèchement que ce que je voulais, mais comprenez mon agacement face à la situation. Ce n'est pas aussi simple. Les yeux écarquillés, sa nervosité ressort. Elle finit par fixer le sol, comme le faisait Sula a chaque fois qu'elle est dans une situation fâcheuse. La conscience à beau peser lourd, je le sais. Mais là n'est point le temps de douter. Je le répète, je n'ai pas le temps!
...Mais tu peux tout de même l'écouter ?
...
Un énième soupir sortant d'entre mes lèvres, je tire un peu plus sur ma capuche afin de cacher la petite boucle qui menace de s'extirper pour prendre un peu de soleil.
— Très bien. Parle.
— Peut-être...dans un coin un peu moins..., essaye-t-elle, une lueur d'espoir paraissant dans sa voix.
— Si tu n'avais pas remarqué Verra, les secondes filent. M'aventurer n'est pas une option. Après tout, je suis très probablement activement recherché par ton frère et ses sous-fifres.
Il faut que je retrouve Hazzle aussi. En aucun cas je pars sans elle.
Comme lisant dans mes pensées, elle me prend soudainement la main, me tirant à travers la foule, à ma grande surprise. Je la force à s'arrêter, posant mon pied à terre.
— J'ai dit que je n'avais pas le temps.
Me regardant en biais, elle soutient mon regard, réaffirmant sa prise.
— Et tu as besoin de ton cheval...N'est ce pas ?