Cela doit faire maintenant vingt bonne minutes que l'on traverse la forĂȘt. Mon ventre Ă eu le temps de crier famine Ă plusieurs reprises depuis hier, mais Ă force de l'ignorer on finit par s'habituer de n'avoir rien sous la dent. La nourriture infecte de Lola Ă©galement n'Ă©tait pas non plus pour me plaire et ça m'avait coupĂ© l'appĂ©tit. Maintenant, le stress est lĂ , comblant une partie de mon manque de repas, mais malgrĂ© ça la sensation revient tel un vent fort qui te frappe en plein fouet. Je me mord la joue intĂ©rieure avant de soupirer, attirant l'attention de mon compagnon de marche.
â DĂ©jĂ fatiguĂ©e ?
â Pas du tout...On est encore loin ? je demande ne voulant pas m'Ă©terniser sur mon Ă©tat.
C'est bien la derniĂšre personne Ă qui je voudrais me plaindre. Il tourne la tĂȘte, Ă©cartant certaines feuilles de son visage afin de mieux voir le chemin.
â Encore cinq Ă dix minutes. On ne devrait pas ĂȘtre trop loin du village...
Je le toise de haut en bas avant de soupirer et de me frayer un chemin Ă mon tour Ă travers les feuilles. AprĂšs cette petite discussion matinale, je dois avouer que je veux terminer avec ça au plus vite. Quitte Ă retourner au domaine et avoir les conditions exĂ©crable que j'avais, du moment que je peux rapidement m'en tirer. Je n'ai plus une minute Ă perdre, et je veux impĂ©rativement retourner dans mon royaume afin d'approfondir ce que j'avais dĂ©jĂ sous la main ( y compris lire le carnet de Maman...). Cependant, il se trouve que le Lord avait prĂ©vu de faire un petit dĂ©tour. Et, Ă©tant donnĂ© qu'il est ma seule boussole... Un Ă©niĂšme souffle sort d'entre mes lĂšvres alors que j'enjambe une ronce. Il a prĂ©textĂ© qu'il devait impĂ©rativement se rendre Ă cet endroit sous le seuil de l'obligation. Il a Ă©tĂ© trĂšs brief, quelque chose d' urgent qu'il doit absolument vĂ©rifier avant de retourner au domaine. A ce stade, je le soupçonne d'Ă©tendre juste le deal, pour je ne sais quel autre plan farfelu qu'il a en tĂȘte.
â...Es-tu sĂ»r que tu dois t'y rendre physiquement ?
S'arrĂȘtant, il me fait part d'un regard. Son expression Ă©tonnamment, plus que sĂ©rieuse, me dĂ©stabilise. Ses yeux reflĂštent les pans de l'autoritĂ© sur toute sa splendeur. Je l'ai dĂ©jĂ observĂ©, vu son expression fermĂ©e Ă plusieurs reprises face Ă ceux qui sont en dessous de lui. Mais c'est la premiĂšre fois que je vois autant de tĂ©nacitĂ© dans ses pupilles.Â
â En tant que personne en haut de l'Ă©chelle, je suis dans l'obligation de faire en sorte que ceux sous mon autoritĂ© soient en sĂ©curitĂ©. Surtout s' ils ont manquĂ© un Ă©vĂ©nement aussi important que le baptĂȘme...
Il se retourne aussitÎt pour continuer son chemin et je plisse les yeux, pesant ses propos avec ce que je sais. C'est vrai que j'avais entendu qu'une certaine "Tribu des nains" n'avait pas pu assister à la cérémonie à cause d'une attaque ou je ne sais quoi. Serais-ce de ça dont il fait référence ? Est ce qu'on est du coup en chemin pour aller les voir et faire un rapport des dégùts ? Un frisson d'angoisse me prend et je commence à me demander la source de ce grabuge. Est-ce que mon royaume y est pour quelque chose ?.
...Mon pĂšre ?
La boule que j'avais au ventre il y a quelques heures réapparait aussitÎt. La voix de Drale vient cependant me sortir de ma stupeur.
â...Et puis lĂ bas on va trouver un des ingrĂ©dients dont Verra a besoin pour faire le liquide de guĂ©rison. Il y a quelque manque dans les stocks.
Je suppose que c'est le grain de sel qu'il fallait rajouté à la soupe!
...Que dis-tu Lily... Ils ne peuvent pas manger de sel.
J'hoche la tĂȘte avant de finir par le suivre silencieusement, prĂ©occupĂ© par mes propres inquiĂ©tudes pour ne pas grimacer.
Un petit moment aprĂšs, on finit par arriver devant une arche faite de pierres et de lierres. Graver contre la roche, le nom de "Dwarf Town" est marquĂ© en langage ancien, sa traduction Ă©tant gravĂ©e sur un bout de bois pour tous les passeurs qui voudraient s'aventurer dans les environs. Au loin, je peux apercevoir la silhouettes de bĂątiments, faites Ă©galement de pierres, mais aussi de bois, dĂ©corĂ© par de nombreuses plantes et feuilles. Une place gĂ©ante trĂŽne au milieu du village avec ce qui semble ĂȘtre des symboles gigantesque au sol: comme un immense patchwork rassemblant les quatre Ă©lĂ©ments ainsi qu'une reprĂ©sentation d'une boule de lumiĂšre semblable au soleil au milieu de ce dessin. C'est la premiĂšre fois depuis que je suis dans cette forĂȘt que je vois un endroit qui ne se rĂ©serve pas une idolĂątrie seule et certaine au dieu de la nature. MĂȘme si je pense qu'ils le tiennent tout de mĂȘme sur un certain piĂ©destal, sinon ils ne seraient sĂ»rement pas invitĂ© aux Ă©vĂšnements du baptĂȘme. Drale balaye du regard l'endroit, inhalant l'atmosphĂšre avec ses narines avant de se tourner vers moi, me proposant sa main. IncrĂ©dule, tenant toujours ma jument, je le questionne du regard. Son sourire lĂ©gĂšrement sournois se reforme sur ses lĂšvres.
â Si tu veux passer inaperçu, fais moi au moins un tout petit peu confiance, susurre-t-il.
â Plus facile Ă dire qu'Ă faire...
Je soupire avant de la lui donner, une moue réticente déformant mon visage. A peine ai-je touché sa paume ganté qu'il me tire contre lui, son autre main venant se poser sur ma taille. Je m'empourpre immédiatement, essayant de le repousser avec mes avant-bras mais il ne faiblit pas sa prise.
â Mais qu'est ce que-
â Fais moi confiance.
â EspĂšce de-
Je croise ses yeux toujours perdu, dĂ©concertĂ©. En un instant, son regard grave revient et je m'imagine que si il fait ça c'est qu'il a un plan derriĂšre la tĂȘte. DĂ©glutissant, je finis par tourner la tĂȘte, ne voulant pas qu'il s'attarde sur le rouge de mes joues.
Enfoiré.
â DĂ©pĂȘche qu'on en finisse alors. J'aime pas que tu me colles, je lui rĂ©torque les dents serrĂ©s.
Il rigole légÚrement avant de se pencher à mon oreille.
â Non seulement tu as une bouche vulgaire, mais je te l'ai dĂ©jĂ dit Rosa Mea...Tu mens trĂšs...trĂšs mal.
Sa voix, rauque, vibre d'un timbre grave; un frisson me parcourt l'Ă©chine juste par son entente. Le peu de luciditĂ© restante me retient juste de lui flanquer une baffe afin que je puisse honorer ma part du marchĂ©. Mon cĆur bat la chamade. Encore. Une fĂącheuse habitude qu'il a pris ces derniers temps Ă chaque fois que je suis prĂȘt de lui. En soit, je me dis que c'est juste de la gĂȘne. Ăa doit ĂȘtre cela...Juste de la gĂȘne.
Et puis c'est qui qu'il traite de vulgaire au juste ?
Avançant en mĂȘme temps avec Hazzle, j'essaye de me distraire de cette proximitĂ© accrue en continuant de regarder le paysage. Autant je suis impressionnĂ© par cette architecture qui est symbiose avec la nature et les Ă©lĂ©ments, autant il est vrai que...Tout est assez petit. Il y a trĂšs peu de constructions qui dĂ©passe vraiment notre taille et je doute qu'on puisse passer facilement par la porte Ă part si l'on se baisse. Ce n'est qu'aprĂšs quelques secondes de marche, que l'on commence Ă apercevoir des personnes. Ils sont d'ailleurs assez nombreux.
Tous étant relativement de petites tailles: hommes, femmes, enfants. Une vraie population ayant chacun un rÎle dans le déroulement de leur société.
J'aurais dĂ» surement me douter en voyant le nom du village.
Je souris rien qu'en voyant leur activité semblant florissante, entre les marchands qui poussent des chariots, des enfants courants sur la place. Tous semblent particuliÚrement vivre dans la paix. Comme si la soi-disant attaque n'était qu'un mirage et que l'important c'est juste de faire tourner cette vie car c'est ça qui compte dans les faits.
On devient admiratif Ă force.
En entendant nos pas, un des petits tourne la tĂȘte vers nous, nous dĂ©visageant de haut en bas. En voyant Drale, son expression s'illumine immĂ©diatement, lĂąchant son jouet par terre avant de courir dans ses bras.
â Monsieur Drale!
A l'entente de son cri, les autres enfants vont faire immĂ©diatement de mĂȘme, alertant les adultes qui se rĂ©unissent autour de nous une expression chaleureuse plĂątrĂ©e sur leur visage. A ma grande surprise, Drale, tout sourire, se met au niveau des enfants, les bras ouverts. Son expression est douce, rĂ©vĂ©lant la mĂȘme chaleur face Ă l'innocence des petits.
C'est la premiĂšre fois que je le vois ainsi.
D'autres personnes viennent vers lui, le saluant avec respect tout en leur demandant des nouvelles sur la vie Ă Arindale. Il rĂ©pond Ă chacun, jouissant de cette familiaritĂ© accueillante, faisant mĂȘme quelques blagues qui semble dĂ©tendre encore plus l'atmosphĂšre. Une expression qu'il exprime rarement au domaine, voire pas du tout si on se met Ă compter le nombre de fois oĂč il a vraiment esquissĂ© une telle joie. Je suis gĂȘnĂ©e. Cet homme, visiblement changĂ© en un instant, fait presque peur quand tu sais de quoi il est capable.
AprÚs un petit instant, les deux billes d'une dame tombent finalement sur moi et un léger "o" se forme sur ses lÚvres.
â Mon Lord! Qui est cette jeune femme Ă cĂŽtĂ© de vous ?
Tel une chorĂ©graphie bien synchronisĂ©e, tout le monde me fixe avec curiositĂ© comme si je suis la nouvelle crĂ©ature Ă l'Ă©talage. D'autres pointes mes cheveux, mes yeux, mes joues, mes vĂȘtements. Une bĂȘte de foire. C'est ce que je suis Ă ce moment. Je peux sentir mes joues s'enflammer lĂ©gĂšrement mais je finis par me calmer avant de sourire. Ce n'est pas la premiĂšre fois qu'autant de monde me fixe aprĂšs tout. Reprenant ce sourire malicieux, il enroule une fois de plus ses mains autour de ma taille avant de faire une annonce me donnant une envie de m'encastrer dans un mur.
â Ma fiancĂ©e. N'est-elle pas magnifique ? susurre-t-il d'une voix faussement mielleuse.
Je tourne la tĂȘte immĂ©diatement vers lui.
Mais est-il fou ?
Sa fiancée ?
Et puis quoi encore ?!
Je le regarde les orbites grand ouverts, sa gorge dĂ©glutissant fortement alors qu'il se force Ă garder son stupide sourire. Toi aussi tu mens trĂšs mal, imbĂ©cile! Mais avant que je ne puisse rĂ©pliquer quoi que ce soit, tout le monde commence Ă sauter de joie. Certains me fĂ©licitent, me prenant les mains avant de me souhaiter "les meilleures choses possible dans cette vie". D'autres me dĂ©taillent, me complimentant sur mes cheveux, mes yeux alors qu'ils les observaient bizarrement il y a juste quelque minutes de cela, d'autres cachent leur triste minois, voyant leur chance possible s'effacer en une seconde...Apparemment, c'Ă©tait une nouvelle plus qu'attendu: celle de l'annonce d'une possible union entre une femme et le Lord de la forĂȘt. Je le fusille discrĂštement du regard, mais celui-ci ne fait que resserrer sa prise sur mes hanches, content de ma rĂ©action.
Je jure devant Arsia littéralement que je vais trouver un moyen de l'enterrer vivant.
Que les trĂšs hautes forces divines m'entendent et plongent le tonnerre au-dessus de sa carcasse!
AprĂšs des prĂ©sentations quelques peu gĂȘnante, un jeune homme brun, yeux noir, accompagnĂ© d'une femme lui ressemblant comme deux goute d'eau se fraie un chemin Ă travers la horde. Celui-ci boite lĂ©gĂšrement, une blessure, prĂ©cieusement enroulĂ©e dans un vĂȘtement, Ă la jambe. Des capes marron enroulent leurs Ă©paules et vu comment les visages semblent se baisser avec respect, je suppose que ce sont des personnes importantes. L'homme et la femme sourient, marquant leur respect Ă Drale en mettant un genoux Ă terre.
â Lord Denethor.
â Je vous en prie, Agrim, ThĂ©lia. Nous avons grandi ensemble. Et puis tu es le futur chef du village.
â Juste du village. Ăa ne change rien Ă ton statut! il lui rĂ©pond en relevant la tĂȘte.
Le trio rigole de bon cĆur avant que le dit Agrim donne une bonne tapette amicale sur le bras de Drale, ne pouvant sĂ»rement pas atteindre son Ă©paule. Ils commencent tous Ă parler comme si de rien Ă©tait, la relation amicale de longues date des trois se faisant de plus en plus flagrante. Je me sentais dĂ©jĂ assez intruse avec les gens d'Arindale. LĂ , limite je ne suis que le mur porteur de l'un des bĂątiment ici prĂ©sent: visible mais en mĂȘme temps invisible, lĂ mais en mĂȘme temps sans importance, faisant figure et assujetti au temps, mais qui reste debout...dans le dĂ©cor. La seule chose qui me dit que je suis bien dans le rĂ©el, ce sont les doigts de Drale, qui caressent mes cĂŽtes. J'ai mĂȘme l'impression que son auriculaire s'est faufilĂ© sous le tissu, juste pour atteindre ma peau et y laisser sa marque. MalgrĂ© ses gants, je peux sentir la chaleur et la ferveur de ce doigt, me titiller, m'empoigner, m'agripper.
Est-ce ma respiration qui se coupe ? Reprends toi Lileia!Â
Les jumeaux finissent par me regarder avant de sourire. Ladite Thélia me prend les mains, un grand sourire sous son visage.
â Par contre, j'ai bien entendu ? Tu es la fiancĂ©e de Drales ! FĂ©licitations ! s'Ă©crie-t-elle enjouĂ©e.
â Ce cĆur joueur s'est enfin cassĂ© ? Il y a eu une rĂ©volution rĂ©cemment ou ?
â Tu as du mal Ă le croire cher ami ?
Agrim rit au Ă©clat avant de secouer la tĂȘte.
â Disons que cela change du gamin qui prenait les domestiques en grippes dans les couloirs...Mais je suppose que tu n'es pas venue seulement pour m'annoncer la bonne nouvelle ?
Drale plisse les yeux, ses pupilles argentĂ©es brillent et rivalisent mĂȘme avec la lumiĂšre du soleil. Ces deux lĂ savent exactement Ă©changer en toute finesse, et savent comment, Ă quelle moment aborder les sujets. Ils ont bien dĂ©montrĂ© qu'ils jouent dans la cour des grands. Sans autre jugement ou autre doute possible. Ils n'ont mĂȘme pas Ă©voquer l'attaque, me laissant toujours au point de dĂ©part sur le fameux Ă©vĂšnement. Ma patience s'effrite et ma curiositĂ© s'attise. Autant utilisĂ© ce voyage comme source de vĂ©ritĂ© et d'information. J'en ai un peu marre de rester dans l'ombre sur ce sujet. Peut ĂȘtre que si...
Je joins encore plus mes mains dans celle de Thélia, les prenant avec un air inquiet sur le visage.
â Nous nous sommes aussitĂŽt prĂ©cipitĂ©s quand nous avons entendu la nouvelle...
Les muscles du Lord se crispent aussitĂŽt. Sa prise sur ma taille se resserre, Ă m'en faire presque mal. Je rĂ©prime un petit couinement alors qu'il se replace mieux derriĂšre moi, m'enlaçant par derriĂšre avec sa tĂȘte posĂ©e sur une de mes Ă©paules.
â Ne t'inquiĂšte pas Rosa Mea, je prends les choses en mains...
Autant je rougis face à la position et à la situation que nous sommes, je remarque bien que ce "surnom" est également un avertissement. Ce n'est pas comme si ça ne l'était pas dans le passé, mais là ...C'est juste flagrant. J'ai presque l'impression qu'il ne veut pas que j'en sache trop. Ironie de l'histoire étant qu' avec les choses dont il va me confier: je serai déjà beaucoup trop impliquée. Dévisageant la jumelle, il lui fait un grand sourire avant de me confier à elle.
â ThĂ©lia ma chĂšre, peux-tu faire visiter Ă ma chĂšre et tendre les environs ? Moi et Agrim, on s'occupe du reste.
La jeune brune hoche doucement la tĂȘte, et avant que je ne puisse dire quoi que ce soit d'autre, il entraĂźne Agrim avec lui Ă l'opposĂ© du village.
Merde.Â
Me retournant vers la jeune femme, celle-ci me fait un doux sourire avant de me prendre doucement par la main et m'entrainer prĂšs de la place avec les symboles. Des enfants, entourĂ©s de plusieurs adultes, sont en train de jouer dans les flaques d'eau qui bordent les parties piĂ©tonnes, sautant, Ă©claboussant. On aurait dit qu'ils profitent des restes laissĂ©s par la pluie pour effectuer une sorte de danse, tout cela sous les claps, les chants des encadrants qui les observent avec amusement. Dans leur petites mains, des rubans de diffĂ©rentes couleurs, crĂ©ant un arc-en-ciel de joie dans ce moment oĂč normalement, les choses devraient ĂȘtre un peu prises en peine. DerriĂšre eux, un champ de fleurs aux pĂ©tales vert claires, voire transparents. Le bulbe en lui-mĂȘme accentue la couleur omniprĂ©sente, mais ses nombreux membres tombants lui donnent un cĂŽtĂ© mystique, inhabituel. Je n'ai jamais vu cette fleur auparavant.
Se tenant juste à cÎté de moi, Thélia suit la direction de mon regard, avant d'ouvrir la bouche, toujours aussi souriante.
â Ils sont beaux n'est-ce pas ? me demande-t-elle.
â TrĂšs...Leur bonne humeur est Ă envier.
â J'admire les enfants pour leur capacitĂ© de garder cette bonne atmosphĂšre presque tout le temps. C'est en rĂ©alitĂ©, pour la plupart, leur seul moment de paix avant que la vraie vie commence.
Un sourire un peu triste me prend.
â Oui mais certains n'ont pas forcĂ©ment cette chance de profiter des joies de cette jeunesse...
â Mmmh...
Elle se tait un moment, l'étirement de ses lÚvres se rétrécissant un peu. Puis aprÚs avoir réuni quelques-unes de ses pensées, elle se remet à sourire de maniÚre chaleureuse.
â Quand bien mĂȘme, mĂȘme dans la misĂšre, l'enfant Ă toujours rĂ©ussi Ă Ă©tendre son imagination...Trouvant des petits moments oĂč sourires, oĂč juste rire aux Ă©clats...Ce sont gĂ©nĂ©ralement ces moments heureux lĂ qu'on aime retenir, voire on espĂšre y retourner...N'est ce pas vrai trĂšs chĂšre ?
Ses mots me pĂšsent un moment. Il est vrai que beaucoup de choses de mon enfance, mĂȘme si elle Ă©tait trĂšs contrĂŽlĂ©e, ont tout de mĂȘme Ă©tĂ© source de bonheur et d'inspiration. Comme la communication discrĂšte que j'effectuais avec Rolia, Romanis, Sula et Oras. C'Ă©tait fun en rĂ©alitĂ©, et puis les rĂ©actions de Nanny nous faisait mourir de rire. Repenser Ă ces choses lĂ me fait indĂ©niablement sourire. Elle n'a pas tord.
â Je dois avouer que je ne pensais jamais voir Drale se caser.
Mes yeux se tournent vers elle automatiquement, prise de cours. En soit, ce n'est pas forcĂ©ment Ă©tonnant. Son rĂŽle l'oblige au moins Ă avoir un hĂ©ritier. A part si il dĂ©signe un successeur qu'il aurait formĂ©. Mais il semble prendre son statut et ses affaires trĂšs au sĂ©rieux. Il prend les choses d'une main de fer et, malgrĂ© son ton joueur, ne cille pas devant les devoirs. Cela me surprend parfois. Ce qui fait que je doute qu'il prenne l'option du successeur non-naturel. Peut-ĂȘtre avait-il prĂ©vu, par le biais de ses fameuses conquĂȘtes, d'avoir un petit enfant pour reprendre la relĂšve ?...Avec Sierra ?
...Pourquoi ça me dérange autant de penser à ça ?
Je me force Ă faire un petit rire, reprenant mon rĂŽle de future Ă©pouse, soit disant amoureuse et rĂȘveuse de son fiancĂ©. Beurk...
â C'est vrai que moi non plus, j'aurais jamais pensĂ© me retrouver nouer Ă lui, je lui rĂ©ponds avec une joie sortant de mon jeu d'actrice.
Je ne le pense toujours pas.
La sĆur d'Agrim glousse avant d'exhaler, croisant ses bras et continuant de contempler la vue.
â Drale Ă toujours Ă©tĂ© trĂšs versatile sur ses relations...Tout en Ă©tant Ă©nigmatique, cachant les filaments de ses plans et de ses actions futures. Il est vrai que j'avais dĂ» mal Ă l'imaginer se mettre officiellement en couple aprĂšs la mort soudaine de ses parents.
Je fronce les sourcils, la nouvelle information me heurte de plein fouet. C'est la premiÚre et seule chose que j'ai sur son passé. Ses deux parents sont morts. Comme ma mÚre est enterrée au temple de Leibrum. Je déglutis. Se rendant compte que je n'étais pas au courant, elles lÚvent les mains devant elle.
â Pardon ce n'Ă©tais pas Ă moi de te dire ça...je pensais que...
â Ce n'est rien...Il avait quel Ăąge quand il les a perdus ?...
â Oh tu sais, ça doit faire des annĂ©es...Il avait sĂ»rement sept...huit ans, je crois ? Ăa a Ă©tĂ© un choc pour tout le monde. Lui encore plus.
Sept, voire huit ans.
Le mĂȘme Ăąge oĂč j'ai perdu maman. Moi j'ai encore mon pĂšre, j'ai pu tout de mĂȘme profiter un minimum de mon enfance. Lui: ça lui a Ă©tĂ© arrachĂ©.Â
â Il avait changĂ©..., continue-t-elle en passant ses mains sur ses Ă©paules. Ce n'Ă©tait plus la mĂȘme personne qu'on avait connu Agrim et moi. Ses responsabilitĂ©s ont pris le dessus et il a fondĂ© une carapace.
â Tu veux dire qu'il...a pris les rĂšgnes aussi jeune ? je demande presque inaudible.
â Il n'avait pas le choix...La forĂȘt Gracia ne peut fonctionner sans le Lord. Et son pĂšre Ă©tait catĂ©gorique: il ne voulait que lui comme hĂ©ritier...Peut ĂȘtre que c'est pour ça aussi qu'en rĂ©alitĂ© il changeait avant mĂȘme le dĂ©cĂšs de ce dernier maintenant que j'y pense.
Une boule dĂ©sagrĂ©able se coince dans ma gorge. Mon empathie venant craqueler le mur que j'avais Ă©rigĂ© face Ă lui. C'est juste horrible. Il est vrai que je peux toujours parler avec mon envie de rĂ©gner un jour sans avoir besoin de roi, mais cette volontĂ©, je l'ai construite au fur et Ă mesure, en grandissant avec une pression et des prĂ©jugĂ©s circulant. J'ai eu le temps de tĂąter le terrain, d'acquĂ©rir une certaine confiance sur le fait que je peux le faire. Que je suis capable de rĂ©gner seule en tant que femme. Lui en revanche, on lui a pris la tĂȘte et l'a plongĂ© de force dans l'ocĂ©an troublant des responsabilitĂ©s et des dĂ©cisions. Tout cela sur ses Ă©paules, Ă veiller sur plusieurs types de peuples, civilisation ainsi que le bien ĂȘtre de la forĂȘt et sa protection.
A huit ans.
Huit putains d'années de vie.
Est ce pour cela que tu manques grandement dans l'affect, Drale ?...
Voyant mon expression perdue, Thélia lùche un petit rire nerveux avant de me faire une légÚre tapette à l'épaule, me sortant de ma transe.
â Excuse-moi, je n'aurais pas dĂ» te dire tout cela. C'est plus son rĂŽle Ă lui haha! Et puis il y a pas que de la nĂ©gativitĂ© Ă son sujet. Drale Ă©tait un enfant trĂšs aimant de la nature, vraiment le cĆur sur la main...
Alors pourquoi est-il devenu aussi différent ?
Mais le reste de sa phrase reste floue. Je n'entend plus rien. Juste les questions qui passent dans ma tĂȘte comme une parade bruyante qui te casse les tympans, avec les cris, les percussions et les trompettes grisantes. Cela m'affecte plus que cela ne devrait. Mon cĆur jongle entre battre la chamade et se serrer. Tellement que ça afflux mes sens, les amplis et se focalise que sur une chose.
Par Leibrum.Â
Je ne devrais pas ĂȘtre autant prĂ©occupĂ© par ça. Pas par lui. SĂ»rement pas par lui. Mais c'est plus fort que moi, cela fait un petit moment maintenant que je m'Ă©tais relĂąchĂ© envers lui. MĂȘme si je ne vais jamais l'avouer. MĂȘme si je ne veux toujours pas l'avouer.
Tout est sourd...
â Lily ?
Je sursaute, sortant de ma transe avant de reposer immédiatement mes yeux sur la jeune brune. Elle me regarde légÚrement inquiÚte, une main posée sur mon épaule alors qu'elle me scrute de ses pupilles pour savoir si tout va bien. Je me force à faire un petit rictus, essayant de balayer mon état d'un revers de main.
â DĂ©solĂ© hum...Tu me disais quoi ?
Son sourire chaleureux réapparaßt.
â Je te demandais si tu voulais tester les sources ?
Je rougis, mais aussi surprise. Des sources ? Mes muscles frétillent juste par cette mention. J'aurais vraiment dû porter attention à ce qu'elle disait...Je vais finir par paraßtre encore plus bizarre que je ne le suis déjà . Elle continue de développer.
â Ce sont des sources chaudes avec des pĂ©tales de Dowa Flowa dans l'eau. Ce qui fait qu'il y a des bienfaits mĂ©dicinaux. C'est miraculeux tu sais, s'excite-elle en joignant ses mains.
â Attends, attends...Des um...Dowa Flowa ?
Hochant la tĂȘte, elle Ă©tend ses bras vers le champ de fleurs de tout Ă l'heure. J'Ă©carquille les yeux, une illumination me frappe de plein fouet. Ne me dit pas que c'est l'ingrĂ©dient dont Drale avait besoin ? Comme par hasard, ce sont celles que je fixais depuis tout Ă l'heure. ThĂ©lia, recroise ses bras, les yeux toujours rivĂ©s sur la zone fleurie. Ses explications affluent, se rajoutant Ă mon intellect.
â Il y en a partout dans tout le village. C'est un botaniste je crois qui a dĂ©couvert ces vertus mĂ©dicinales. C'est devenu l'attraction et une des nouvelles ressources de revenus du lieu. Les ajouter aux sources semblait ĂȘtre une des meilleures choses. En plus, c'est quelque chose de trĂšs rĂ©cent.
Un botaniste, spĂ©cialiste en mĂ©dicinale qui serait dĂ©jĂ venu ici et qui aurait aidĂ© un des peuples sous le rĂšgne du chef de la forĂȘt ? Ne me dites pas que c'est la personne Ă qui je pense. Je lui attrape soudainement le poignet, ma volontĂ© d'avoir des rĂ©ponses reprenant le dessus. Tant pis si je passe pour une folle.
â E-Et il s'appelait comment ce botaniste ? je demande presque hĂątivement.
D'abord un peu ébranlé, elle fait mine de réfléchir un moment avant de faire un léger soubresaut, comme si une lumiÚre lui est revenue sur le coup.
â C'Ă©tait le compagnon de Verra je crois...Aram. Oui, oui c'est bien son nom. TrĂšs gentil jeune homme. Il venait souvent ici pour Ă©tudier nos plantes ainsi que pour s'en procurer pour crĂ©er un nouveau remĂšde apparemment, m'informe-elle. Verra revient toujours d'ailleurs pour s'en procurer. Il a laissĂ© un vide aprĂšs sa disparition tout de mĂȘme...une jeune enfant aussi...Quelle tristesse...
Mais ce sont les bonnes grĂące d'Arsia et de ses fils qui me tombent sur la tĂȘte ?!
Verra n'est pas l'autrice de cette concoction. Je soupire, fermant les yeux alors que je relùche son poignet. Il avait trouvé un bon moyen de se faire accepter. Un marché assez prépondérant pour faire peser la balance auprÚs du chef de tout Arindale.
Elle continue juste l'héritage laissé par celui qu'elle aime.
...Mais tout de mĂȘme, ce n'est qu'un simple liquide de guĂ©rison ?
...
J'ai besoin de réponses.
â EmmĂšne moi aux sources.Â