Ennemi mortel
Mon ordre sidère la meute. Les autres, encore en retrait, sont tout aussi affectés par ses prières.
Ils grognent à leur tour de fureur.
— Quoi ? C'est pour ça que j'ai la gerbe ?
— Le damné a quand même pas osé ! Sérieux !
— On nous a fait le coup du retranchement dans une église plus d'une fois. Mais faire appel à un enfoiré d'exorciste, c'est abusé.
— Ces humains n'ont vraiment aucune loyauté !
— C'est pas le moment de jaquetter ! J'ai donné un ordre. Fermez-lui sa putain de gueule avant qu'il nous réduise en cendres.
Porté par une haine viscérale, je m'élance. La meute fonce dans mon sillage.
Les mots de cet humain nous affaiblissent, mais notre espèce est surpuissante. Il aura pas le temps de terminer ses prières qu'un d'entre nous lui aura arraché l'os hyoïde*.
Je suis à deux foulées de lui sauter dessus quand il lève brusquement la tête et hurle :
— Maintenant !
Bien que surpris, je bondis. Prêt à le reverser au sol pour le décapiter à coups de crocs. Mais l'enflure anticipe, par je-sais-pas quel instinct, et plonge sur le côté. Une forme indistincte en profite pour jaillir hors de la maison.
— Qu'est-ce que c'était ?
L'incertitude fige la meute. La question est vite répondue quand une raclure de vampire atterrit derrière nous.
Il feule, la meute fait volte face. Sa posture défensive et son regard imprécis indiquent qu'il survole nos positions sans réellement nous voir.
— Sales vermines... Je vous localise tous les cinq rien qu'à l'odeur pestilentielle.
Putain de vendu !
Je hais les vampires avec force. Ils se croient supérieurs à nous, juste parce que ces décérébrés d'humains fantasment de se faire bouffer par eux. J'ai un dégoût particulier pour ceux qui décident de bouleverser la chaîne alimentaire en protégeant ces sacs de viande. Je crache, menaçant :
Tu la ramèneras moins sans ta tête.
Il ricane, comme si c'étaient des paroles en l'air.
Je m'apprête à tenir ma promesse, à présent assoiffé de son sang, quand des particules tombent soudain sur moi comme un voile. Elles s'accrochent à ma fourrure et me distraient l’espace d’une seconde.
J'hume l'air granuleux. Ça sent... la cendre ?
Ce foutu cadavre ambulant a aspergé la zone de cendres en sortant de cette baraque. Et pas qu'un peu !
Je me secoue furieusement, mais c'est peine perdue. Je sens la poussière épaissir mes poils. Mon regard tombe à nouveau sur l'exorciste, positionné à l'angle des escaliers. La façon dont sa tête se braque dans ma direction indique que, maintenant, il nous voit, malgré le fait qu'on soit masqués par les ténèbres.
La nouvelle silhouette qui sort de cette maudite baraque capte mon attention. Je la cible du regard.
Un autre humain mâle. Grand, détendu et solide sur ses appuis, le balafré dévoile son jeu. Armé d'un flingue à chaque main, il affiche un sourire fauve et nous provoque :
— Que la fiesta commence, mochetés démoniaques.
Sur ces mots, il fonce en avant. Et là débute tout de suite une pluie de tirs.
Les coups de feu pétaradent dans un boucan presque infernal. Ça aurait été un détail insignifiant si une des femelles de la meute ne gémissait pas :
— Putain de merde, je suis touchée ! Faites gaffe... ses balles sont consacrées.
Elle glapit de douleur, je grogne de fureur. Le rire suffisant du vampire m'enrage cent fois plus.
— Je ne pouvais décemment pas être le seul à avoir le plaisir d'exterminer des nuisibles. Mes collègues y trouvent aussi une grande satisfaction, il ne leur fallait qu'un petit coup de pouce. Allez, Casper le chien-chien, montre-toi, si tu es si féroce.
Empale-toi sur une poutre, du con !
Il ricane à nouveau.
Si cette sangsue blondasse demande à voir mes crocs arriver quand ils vont le déchiqueter, je vais lui donner ce qu'il veut !
— Chopez l'exorciste et le fou de la gâchette, je m'occupe du connard de suceur.
Aveuglé par la rage, je me rue vers lui et sors des ténèbres. Son rictus hautain s'élargit et ses yeux bleus prennent une teinte aussi sanglante que les miens.
Rapide comme l'éclair, il bondit sur le côté et disparait de mon champ de vision. La vitesse et la force colossale de cette espèce sont létales. Mais je rivalise avec des siècles d'expérience, et des sens surdéveloppés. Je perçois les odeurs, les pulsations cardiaques et les déplacements de mes ennemis bien avant de les voir. C'est grâce à ça que je sens le vampire arriver à toute vitesse pour me prendre à revers. Dans le même temps, je cible le mouvement de l'exorciste. Il accourt en renforts en gueulant :
— Super aspidem et basiliscum ambulabis, et conculcabis leonem et draconem*.
Sa voix froide et assurée résonne dans ma chair. Une fièvre foudroyante me traverse le corps. Mes tripes se resserrent. Je tremble, gueule ouverte, et lâche un souffle brûlant.
Merde... À chaque fois qu'il l'ouvre, j'ai l'impression d'être à deux doigts de caner ! Conscient que ça n'ira qu'en empirant, j'accélère autant que possible sur mes pattes ramollies et entre dans l'ombre.
Pas si aussi con que prévu, l'exorciste anticipe encore mon saut. Il roule sur le côté, mais je m'attendais à ce qu'il réagisse avec une esquive. Au lieu de bifurquer vers lui directement, je bondis sur le mur et m'en sers comme tremplin pour le percuter par le flanc.
Cette petite merde entend mon grognement, mais n'a pas le temps de bouger. C'est qu'une limace d'humain. Il lève les bras de justesse pour se protéger le visage. Mon violent coup d'épaule l'envoie en vol plané. Il se bouffe le rebord d'une fontaine, où il se cogne méchamment la tête.
Resté en mouvement, je l'observe s'effondrer au sol, le corps mou. Il est pas mal sonné, mais toujours conscient.
J'ai pas une seconde à perdre, je dois m'occuper de Blondie le Vampire. La vraie menace. Je reviendrais achever l'exorciste. Même s'il a l'air plutôt résistant pour un humain, ses mots étaient sa plus grande menace et n'en prononcera plus aucun pendant un petit moment.
Je trace un arc de cercle pour mieux revenir à l'attaque, et le suceur de sang apparait devant moi. Il me nargue :
— Belle partie de cache-cache, sac à puce, mais je te tiens.
Bouillonnant de rage, je sors de l'ombre au moment où la sangsue se projette vers moi. Je saute en même temps. Sa détente étant plus longue, il passe au-dessus de moi et me chope par l'encolure.
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Os hyoïde* : joue un rôle de soutien les mouvements musculaires du cou, qui font monter ou descendre le larynx au cours de la production de la parole. Et pour la respiration, l'os hyoïde contribue aux mouvements des muscles qui ajustent la position du larynx.
Traduction : "Tu marcheras sur le serpent et le basilic, tu fouleras le lion et le dragon."