Enragé

Je cicatrise vite. J’ai donc retrouvé toutes mes forces les jours qui ont suivi le désastre d’Orléans et me suis aventuré sur Terre pour honorer la promesse faite à mon maître. Sacrifier deux âmes damnées était nécessaire pour remplacer les sous-fifres que j'ai perdus. Mais en ce qui concerne Aubrey... rien n'est si simple.

À cause de lui, j'arrête pas de ruminer. Quelle enflure, putain ! Fallait vraiment qu'il soit un maudit exorciste ?

Diable... Pourquoi j'ai pas pigé plus tôt que c'était un enfoiré d'exorciste ?

En même temps, ce salopard n'a pas foutu les pieds dans une église plus de deux fois quand je le pistais. Je suis sûr et certain qu'il n'a aucune affiliation avec un clergé. Mais j'étais aussi persuadé de connaître par cœur tous ses faits et gestes...

Des images de notre affrontement sanglant se mélangent à celle de nos nombreuses baises. Je le revois allongé sur le dos dans les hautes herbes, les jambes enroulées autour de mes reins et l’esprit abandonné à moi. Puis je le vois me planter une lame en plein thorax et m’asperger d’eau bénite !

Merde… En repensant à l'amulette qui masquait son aura, je comprends mieux pourquoi j'ai eu tant de mal à le retrouver avant qu'il rentre chez lui certains soirs.

J'aurais dû le buter à la première occasion ! Le soir où il m'a ramené chez la vieille peau, ou alors dès qu'il est sorti de cette putain de maison à Orléans.

Furieux, je mords l'encolure du chien allongé en dessous de moi et le force à s'aplanir. Il essaie de se dégager, mais je lâche jamais une proie. Il couine alors que son sang noir se répand entre mes crocs.

— Tu me fais mal, Khaleel !

— Ta gueule.

Mes coups de butoir acharnés se poursuivent.

J'ai chopé cet autre alpha infernal uniquement pour le soumettre. Pour imposer le respect que je mérite en le déchirant de l'intérieur, à défaut de pouvoir faire Aubrey payer le prix de sa trahison.

Dans un ultime coup de rein, j'éjacule puissamment. Sans ressentir une once de plaisir. L'autre clébard fait volte-face dès que je le libère.

— T'es vraiment une plaie purulante, chien du Sud ! En plus de me déboîter l'anus, tu t'es senti en droit de me mordre jusqu'au sang ?

Outré, il me grogne dessus.

Je vois pas trop à quoi d'autre il s'attendait en me donnant son cul. En ce moment, je suis à cran. Toutes les meutes le savent. Je gronde et claque des crocs en réponse.

— Fais pas chier... Va mourir de lamentations plus loin ou c'est moi qui t'achève.

— Tu perds rien pour attendre. Les nouvelles vont vite. Je sais que t'es qu'un gros tas de merde incompétent ! Le maître finira par te détruire, tôt ou tard. Et ce jour-là, je danserai sur tes cendres.

Je me jette sur lui sans sommation, lui arrache quelques touffes de poils et un morceau de chair en représailles.

J'avais prévenu.

Il se défend farouchement, mais je parviens à lui infliger des blessures qui le dissuadent de continuer à me casser les couilles. Je me détourne ensuite de lui, de sa fourrure et de ses crocs ensanglantés, et retourne me terrer dans ma tanière.

La haine me bouffe depuis que le visage de l'ennemi a pris forme sous les traits de mon obsession humaine.

Je suis censé retrouver Aubrey, le buter et offrir son âme à mon maître. Lucifer lui-même doit savoir à quel point je crève d’envie de déchiqueter ce petit connard effronté. Mais, en même temps, la simple idée de me retrouver à nouveau face à lui me glace le sang.

Même si ça m'enrage de l'avouer, ses prières sont trop puissantes pour que je l'attaque de front. Si je veux le buter, il me faudra le berner et endormir sa vigilance en me présentant sous forme humaine.

J'en viens toujours à cette conclusion. Y'a de grandes chances que ça marche. Je l'ai reconnu, mais lui n'a toujours aucune idée de ma véritable nature.

Je sais qu’il me soupçonne être un banal lycan. Peut-être qu'il se demande pourquoi je viens plus le voir. Peut-être qu'il me cherche, en vain, et espère ma venue chaque soir depuis dix lunes.

S'il me revoit enfin, il affichera son petit sourire lubrique et ne pensera qu'à copuler. J'attendrai la meilleure ouverture pour l'achever. Je pourrais même le faire en le montant une dernière fois.

J'arrive enfin à me détendre. Je suis prêt à m'endormir, des fantasmes sur l'ébauche de ce plan plein la tête. Mes yeux papillonnent quand un courant électrique étrange me traverse. Alerte, je me dresse immédiatement sur mes pattes et scrutte les alentours, sans trouver son origine.

L'énergie non identifiée se propage dans mes muscles. Comme un feu incontrôlable. Elle m'affaibli. À tel point que je m'écroule sur mes membres fébriles. Des injonctions en démonique vrillent soudain en pêle-mêle dans ma tête.

J'ai l'impression qu'elle va exploser !

« Par le sang et la cendre...
Par le feu et l'argent...
Je t’ordonne de répondre à mon appel, chien de l’Enfer ! »

Je pousse un hurlement en sentant mon corps s'écarteler alors que je suis arraché à l'Enfer.

Merde... J'ai jamais vécu un truc aussi hardcore de toute mon existence.

Quand je rouvre les yeux, hors d'haleine, je scrute autour de moi d'une vision trouble. Ma vue devient plus nette de seconde en seconde. Mon cerveau tourne à plein régime. L'odeur d'une chaussée humide, de la pluie et la sensation du vent dans mes poils confirment l'impensable.

On m'a invoqué à la surface.

Sur le cul, je constate être au milieu d'une route déserte. L'obscurité de la nuit n'est trompée que par les dizaines de bougies disséminées autour de moi.

Je reconnais vite les environs du chemin où le camion m'a percuté. Mon instinct me pousse à déguerpir fissa. Je me relève et saute par-dessus les flammes, mais je me vautre contre un mur invisible qui me crame au premier contact.

Putain de merde !

— Tu ne t'enfuiras pas ce coup-ci, abomination.

Je reconnaîtrais cette voix au fin fond de l'Enfer.

Les babines dégoulinant de bave, des grognements plein la poitrine, je tourne en rond aux limites du cercle d'invocation.

Une silhouette émerge de l'ombre d’un des arbres qui bordent la route. À pas lents, elle avance et se place en tête du pentagramme tracé sous mes pattes. Je sens combien chacun de ses gestes est calculé. En particulier ce moment où l’humain repousse le capuchon de son manteau et plonge son regard sombre dans le mien.

— Je t'emprisonne par mes mots et mon sang, créature infernale. Tu m'es désormais esclave, jusqu'à ce que je décide du contraire.

Mes yeux rougeoyants assassinent Aubrey.

Cette enflure d'exorciste m'a attiré de force dans un putain de piège à démon ! Il mérite que je le massacre. Que je le réduise en charpie comme punition pour tous ses putains affronts.

Ma rage m'aveugle, m'assourdit et domine mon esprit.

C'est décidé. Ce soir, je bute cette saleté d'humain. Quitte à en crever.