Maudit
Allongé en travers du lit king size, je triture mon amulette entre mes doigts, incapable de fermer les yeux malgré ma fatigue. Mon regard distrait est rivé au-delà des rotations des palmes du ventilateur de plafond. La chaleur brésilienne n’est toutefois pas la cause de mon insomnie.
Cela fait des heures que je ressasse les évènements qui m'ont conduit à cette nuit où ce qu'il reste de ma vie a basculé du côté obscur.
Voilà presque un an que j'ai pactisé avec le maître des Croisements. Près d'un an que le Conseil français m'exhibe à l'étranger à la moindre occasion, décidé à s'assurer que tous les autres pays de l'OLCCS connaissent mon nom, mon histoire et mon parcours afin que mon sacrifice pour le bien commun soit honoré.
Ce tour du monde s'acheve avec la réunion d’aujourd'hui. J'ai enfin rencontré les dirigeants de toutes les grandes nations, qui avaient fini par voter pour ce pacte à l'unanimité malgré les divergences d'opinion initiales. Il ne se passe pourtant pas un jour sans que je craigne qu'il soit bafoué dans la plus grande indifférence. Je parviens difficilement à imaginer que tous respectent cette trêve décidée en trois semaines durant un état d'urgence. La seule branche d'espoir à laquelle je me raccroche, c'est que chacun de ces pays ont été touchés par les attaques arbitraires des chiens infernaux et ne souhaitent pas voir cette catastrophe se reproduire. Mais qui peut prédire combien de temps perdurera cette mémoire collective ?
À côté de ces tergiversations incessantes, les cauchemars liés aux horreurs habituelles de mon quotidien d'exorciste ne sont plus les seuls à hanter mes nuits. Mes rêves sont dorénavant teintés du paysage putride de l’Enfer. Sans aucun doute un des effets secondaires de ce genre d'accord. Il existe très peu de données fiables sur les phénomènes que peuvent expérimenter les âmes damnées avant leur descente en Enfer. Je prends à cœur de lister tous les changements que j'ai pu observer chez moi, même les plus minimes, mais il s'avère parfois délicat de définir ce qui est dû à ma damnation ou à mes humeurs moroses.
Ce n'est pourtant pas ce qui me travaille le plus. Mon attirance taboue envers une créature démoniaque suffit à elle seule à générer mes plus grosses migraines. Contrairement au pacte destiné à préserver l'espèce humaine, l'ampleur de mon vice est une tare qui pourrait bien me faire vivre l'Enfer sur Terre. Un secret qu'il vaut mieux garder enfoui, car je tiens au peu de dignité que l'on m'accorde encore. À moi, l'exorciste qui a marchandé avec un démon.
Qu'importe la raison, bon nombre de mes pairs voient la chose d'un mauvais œil et comment le leur reprocher ? J'ai offert mon âme à une créature infernale sur les terres où mes ancêtres ont été saignés et bradés comme du bétail. C'est une insulte à ma propre culture, en plus du déshonneur jeté sur mon nom par ce pacte.
Depuis des mois, je tente désespérément de me convaincre que ma décision visait le bien commun et n'avait rien à voir avec mes réflexions obsessionnelles envers lui. Mais, peut-être n'est-ce qu'un mensonge honteux. Peut-être que ma bonne foi a été corrompue par l'aura souillée de Khaleel avant même que je n'apprenne sa véritable nature. Peut-être que ses intrusions dans ma tête, dans mon corps, ont altéré mon jugement. Ai-je ainsi été manipulé ? Mon combat existentiel contre les forces occultes a-t-il donc sombré dans l'illusion trompeuse d'un équilibre prétendument bénéfique aux miens ?
Non ! Je refuse d'admettre une telle aberration. Ce serait immoler l'ultime once de sanité qui subsiste dans mon esprit.
Un frisson glacé me traverse d'un coup. Il déclenche une vague de chair de poule qui court sur ma peau moite. Posant mon amulette sur la table basse, je ferme un instant les yeux à cette sensation particulière. Bien que devenue habituelle, elle se produit le plus souvent lorsque je m'y attends le moins. La masse d'énergie qui fourmille le long de mes jambes allume de petites braises dans mon bas-ventre. L'excitation grandit voracement au creux de mes reins quand je la sens serrer mes cuisses. Je me pince les lèvres, mes yeux impatients braqués vers mon bassin, et cette force invisible me plaque soudain contre le matelas.
Un souffle étouffé m'échappe.
Mes mains se font brusquement remonter au-dessus de ma tête, mes bourses tâtées à travers le tissu de mon short. Ce toucher invisible glisse agréablement sur mes abdominaux contractés, puis vers mon buste.
La douleur inopinée d'une griffure sur mon pectoral me fait serrer les dents. Quatre sillons, peu profonds, se creusent dans ma chair. Plusieurs gouttes de sang en perlent chaudement. Excité, je me cambre. Mon dos se creuse et mon bassin s'enfonce dans le matelas au moment où Khaleel émerge de la pénombre, juste au-dessus de mon ventre.
J'aperçois son regard carnassier et son sourire goguenard entre mes paupières mi-closes. Mon souffle se hache d'anticipation lorsqu'il se hisse vers mon visage, mais ses lèvres envoutantes dévient leur trajectoire au dernier moment. Elles s'écartent pour laisser sortir sa langue, dans une lenteur affreusement sensuelle. J'observe avec envie son muscle chaud et humide se poser sur les traces de griffures, qu'il lèche goulûment. Sentir sa langue sur ma peau apaise ma douleur et me fait frisonner de plaisir. Une fois délecté de mon sang, Khaleel se redresse et coule un murmure suave contre mes lèvres.
— T'es tellement bon.
Son timbre de voix, calme et profond, fait frémir mon être tout entier.
— Et pourtant... soufflé-je d'un ton aussi feutré que le sien. Cette nuit encore, tu t'es fait désirer.
Les yeux ancrés aux miens, Khaleel esquisse un sourire en coin. Il lape mes lèvres et déplace ensuite les siennes dans mon cou, où il me mord jusqu'au sang avant de suçoter ma plaie.
Assez adepte de sa façon d'éviter le sujet, je glisse la main sous ses cheveux noirs épais et l'attire plus étroitement contre moi d'une main solide sur sa nuque.
Ce qui le retient occupé jusqu'à ces heures tardives n’est plus un secret. Il a été créé pour massacrer des humains cupides et ne peut me rejoindre qu'une fois sa sale besogne terminée. Je devrais en être écœuré, pas me languir de sa présence toutes les nuits. Mais ma fascination déraisonnable à son égard domine mes principes. Chacun de nos rendez-vous nocturnes relègue mes états d'âme en arrière-plan.
Je soupire de bien-être lorsque ses baisers sauvages descendent à nouveau sur mon buste. Sans crier gare, Khaleel accroche mon bas et l'abaisse d'un geste brusque. Je sais ce qu'il cherche et, bien que cela me trouble encore, je lui facilite la tâche en jouant des jambes. Il s'allonge entre elles après m'avoir arraché mon short. La marque de brûlure apparue sur ma peau après ma rencontre avec le démon des Croisements retient toute son attention. Elle l'obnubile, le réjouit, même. Je ressemble secrètement toutes les informations inédites qui viennent à ma connaissance concernant son espèce dans un carnet de bord, que je ne compte mettre en possession de l’OLCCS qu’après ma mort. Ainsi ai-je tenté de l'interroger sur ce symbole étrange, totalement inconnu des innombrables livres que j'ai pu parcourir. Mais, outre admettre que ce ne soit pas la marque habituelle des pactisants, cette satanée tête de mule ne veut rien révéler à ce sujet.
La marque, incrustée à mon aine, rougeoie lorsqu'il la lèche d'un coup de langue avide. Je me pince les lèvres et rejette la tête en arrière tandis qu'il continue à la titiller avec passion.
Elle me démange lorsque je suis en présence de créatures infernales et devient brûlante durant mes exorcismes ou mes bénédictions. Pourtant, quand Khaleel la touche, ce n'est pas de douleur que je gémis.
Sans que j'en comprenne la cause exacte, mon corps reconnait expressément les phénomènes paranormaux qu'il suscite et génère une excitation sexuelle hors du commun. Avec le recul, je me suis rendu compte que c'était déjà le cas avant la marque, bien qu'elle n'accentue toutes ces sensations.
Un sentiment de perte m'envahit quand Khaleel s'éloigne de la marque. Sa salive laisse une sensation de fraîcheur sur ma peau ardente. Je gémis doucement de plaisir tandis qu’il serre la base de ma verge dans sa main, testicules comprises, et tapote mon sexe contre sa joue.
— T'es déjà bien dur.
— Et prêt à ravager ta jolie bouche.
Le sourire lubrique qui étire ses lèvres pulpeuses conduirait plus d’un homme à la damnation.
J’ai presque l’impression de faire du voyeurisme 🙈