Tomber des nues

Putain… Je suis dans la merde !

Je sais que ce vampire me mordra pas. Ces snobes ont tous les canidés en horreur. Je parie qu'il va préférer me broyer dans ses bras jusqu'à ce que mes os transpercent mes organes vitaux.

Ses mains serrent mon cou, écrasant ma trachée. J'entends déjà quelques-uns de mes os craquer. Le manque d'air et la douleur me font suffoquer. Il peut me décapiter à mains nues ! Je suis dans une sale position, faut que je me dégage.

Je me recroqueville en plein saut et le lacère au mieux avec mes griffes pour éviter de lui laisser une quelconque occasion. Le connard pousse un cri de douleur et me jette de côté comme une merde. Je me fracasse dans l'herbe avec un grognement. La seconde d'après, le vampire est sur moi. Il me plaque sur le dos, ses doigts mortels agrippés autour de ma gorge.

— Alors, sale cabot, qui est sur le point de perdre sa tête ?

Toujours toi, connard.

Du sang épais goutte des blessures sur son torse et me brouille la vue. Acculé, je fais appel aux ténèbres.

Un filet de brume sombre se condense autour de nous, distraction de quelques secondes qui me suffit pour me dégager d'un brusque coup de pattes. Je le griffe au visage. Il recule en feulant et j'ouvre immédiatement un passage vers l'Enfer. Je saute dedans et en crée un second, qui me conduit juste derrière l'enflure. Il se retourne à peine que je surgis dans sa face. J'ai que l’avant de mon corps dans la dimension terrestre et la gueule grande ouverte. Quand je la referme autour de son crâne, il essaie de me décrocher. Je me contorsionne dans les airs pour éviter ses mains meurtrières.

Toujours en plein mouvement, j'utilise mon élan et tourne sur moi-même. La saleté grogne, sa peau épaisse cède. Le goût dégueulasse de son sang gélatineux se propage sur ma langue. Je resserre ma mâchoire en grondant de fureur, mes crocs pénètrent plus en profondeur dans sa chaire. Ses os craquent. Je lui dévisse violement la tête.

Le tout s'est déroulé en quelques secondes. Le corps du vampire tombe au sol presque en même temps que j'y atterris. Des spasmes musculaires font tressauter ses membres dans l'herbe. Je balance sa tête de con dans un de mes passages vers l’Enfer et les referme tous les deux juste après.

— Ecce Crucem Domini, fugite partes adversae. Vicit Leo de tribu Juda, radix David*.

Je tangue sur mes pattes, en proie à un brusque vertige.

Secouant ma tête massive, je m'efforce de résister face à ces mots et écarte les pattes pour retrouver mon équilibre. Mes yeux se braquent ensuite sur ma gauche et verrouillent l'exorciste. 

Je peux le sentir me toiser avec affront malgré sa capuche. Babines retroussées, je fixe l’amulette de dissimulation attachée à sa main et lui grogne ma haine. Cette connerie m’empêche de percevoir son aura, donc sa présence si je reste pas sur mes gardes.

J'ai affronté d’autres prières par le passé, celles des condamnés ou de quelques prêtres enragés. Mais aucune n'était si puissante. Avec une telle force de volonté, s'il planifiait de renvoyer la meute en Enfer ce serait déjà fait. Je le soupçonne plutôt d'essayer de nous affaiblir pour que son acolyte nous dégomme un à un.

Je dois lui boucler sa satané gueule.

Définitivement.

Je me rue vers lui, tous crocs dehors. Il entame de nouveaux psaumes, mais je rassemble toutes mes forces pour enfin me débarrasser de lui. J'en ai ras le cul de ce bâtard ! Arrivé à quelques mètres de lui, je saute, les pattes en avant et la gueule ouverte. Il plonge dans l'herbe et roule sur le côté pour m'esquiver. Mais je suis déterminé à lui déchiqueter la tête.

J'amortis mon saut et fonce à nouveau dans sa direction. J'arrive dans son dos. Il se relève tout juste et sort brusquement sa main de sa longue veste. Son mouvement est vif. Le liquide qu'il me balance en plein visage me brûle et dissous ma chair.

Meurtris, je m'écroule et glapis de douleur. J'entends ses pas approcher alors qu'il reprend :

— Ainsi, la Puissance Créatrice domine et ses ennemis sont dispersés. Les créatures qui la haïssent fuient devant elle. 

Je suis cloué au sol, le visage cramé, l'écume à la gueule, et il continue à m'asperger de sa putain d'eau bénite !

— « Voici, » dit la Toute-Puissante, « je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions, d'écraser toute puissance ennemie, et rien ne pourra vous nuire. »

— Khaleel ! T'attends quoi pour buter ce putain d'exorciste ?

— On a besoin de toi ! Le balafré a buté Layl. À lui tout seul, il se bat comme deux humains !

Je me tamponne complètement de ces jérémiades ! L'exorciste approche encore. Poussé dans mes retranchements, je me propulse en avant. Je parviens à lui mordre le mollet malgré mon état pitoyable. Le fils de chien pousse un cri de douleur et me poignarde avec une arme sanctifiée. Boosté par ma rage, je vois rouge. Je me contorsionne et me hisse autant que possible. Mes crocs se referment sur son bras sans merci. Il tire d'un coup sec. Grosse erreur. Mes canines, enfoncées dans sa peau, lascèrent chaire.

Le sang coule à profusion. Son goût sucré s'étale sur ma langue, glisse chaudement dans ma gorge. La chaleur et l'odeur addictive qui se dégagent soudain de l'humain sèment le trouble dans mon esprit saturé. Je pense tout de suite à Aubrey. C'est… son goût ?

Et son odeur !

Je crois être en plein délire à cause de la douleur lancinante qui me rétame. Celle qui traverse son bras en lambeaux lui coupe le souffle. Les dents serrées, il halète, la respiration chaotique. Au moment où il repousse sa capuche de sa main valide, et arrache le bout de tissu noir enroulé à son cou pour s’en faire un garrot, y’a plus aucun doute. C'est bien lui. 

Mon foutu humain est un putain d'exorciste !

Putain, pourquoi je l'ai pas senti plus tôt ?!

Le souffle court, il use de ses dents et attache les lambeaux de son bras comme il peut. Il s'écroule ensuite au sol en se tenant l’épaule, et mes tripes se serrent de le voir souffrir autant. Mais je reprends vite mes esprits. Ce connard n'a que ce qu'il mérite ! Je le dépècerait sur place si j'avais toutes mes forces. Elles ne me reviennent que par petites vagues.

Je trouve quand même les ressources pour me redresser en catimini quand Aubrey se relève.

Il a encore mal. Pourtant, il se remet en position de défense. Une grimace de douleur déforme son visage, mais il serre vaillamment son poignard dans sa main valide. Son bras amoché pend le long de son corps, il perd du sang en quantités suffisante pour tomber dans les pommes d'un moment à l'autre. N’empêche, son regard reste férocement accroché à moi.

Abasourdit, je le détaille d’un regard tout aussi intense. Tendu comme jamais. Je remarque enfin que la ficelle de son amulette n'est plus autour de sa main. Elle a dû rompre quand elle a râclé l'intérieur de ma gueule. C’est ce qui masquait son aura. Les effluves d'huile ne servaient qu'à couvrir celles de ses sécrétions corporelles. Mais rien n’est plus fort que le fumet du sang frais. Il s'infiltre dans mon système nerveux et me donne la furieuse envie de le baiser jusqu'à l'achever.

Le feu qui brûle dans ses yeux annonce qu'il ne se laisserait pas faire. Il ne se soumet jamais sans d’abord résister.

Je le scrute d’un oeil aiguisé. Son cœur bat à tout rompre et son adrénaline atteind des sommets, mais il reste concentré. Déterminé à me buter. Même ainsi diminué, je sais qu’il battra pas en retraite. C'est la première fois que je vois ses traits aussi... déterminés.

Pourtant, l'espace d'un instant, quelque chose change dans son expression. Je grogne en réponse et montre les crocs. Il fronce les sourcils, mais son relâchement ne dure que quelques secondes. Il recommence à parler, et ce coup-ci, il s'adresse à moi en démonique.

— Les flammes s'éteignent et l'ombre se vide. Ta force se consume, ton essence se brise...

La tête me tourne, mes pates reculent d'elles-mêmes. Je secoue la tête pour me débarrasser de l'écho de ses mots. Chose impossible ! J'ai l'impression que mon crâne va exploser.

— Putain, Khaleel ! Qu’est-ce que t’attends ?

Je suis le plus puissant de la meute. Si je suis pas en état de l'affronter, aucun de mes subordonnés ne le pourra.

Ruminant le goût acide d'une défaite écrasante, je me mets à courir et ouvre un portail en ordonnant le repli d'une voix brisée.

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Traduction : "Voici la Croix du Seigneur, fuyez puissances ennemies. Le Lion de la tribu de Juda a vaincu, la racine de David."