Liaison dangereuse
Le ronronnement du moteur s'arrête. Les feux s'éteignent, plongeant les alentours une obscurité seulement coupée par leur lune blafarde. Je trouve un point de vue confortable où m'allonger tandis que le spectacle commence.
Installé sous un cocotier, les pattes avant croisées et la gueule entrouverte pour mieux récupérer de ma course, j'observe attentivement leurs silhouettes bouger. Elles se rapprochent dans la pénombre de l'habitacle du pick-up, se collent, puis s'emmêlent.
J'ai aucun mal à imaginer ce qu'ils font. Pourtant, ça me fait chier.
C'est pas pour mater des ombres chinoises que j'ai pris le risque d'encore me faire dégommer par une caisse.
Un bâillement me décroche les mâchoires. Je m'ennuie... Mon regard glisse vers un raton laveur qui cavale dans les fourrés, ses trois petits à ses trousses. Je pose la tête sur mes pattes. Mon soupir blasé pousse les feuilles mortes sur le sol. L'idée d'aller leur foutre la trouille de leur vie pour me venger de me faire autant chier me traverse l'esprit. Mais, d'un coup, les portières claquent doucement.
Je relève la tête, oreilles dressées pour mieux entendre les mots qui se calent entre leurs rires légers.
— T'avais tout prévu, en fait.
Le constat de l'autre humain tire à Aubrey un sourire à la con. Entendre sa voix grave vibrer dans l’air en réponse me titille à l’intérieur.
— Si je te dis que ce n'est pas mon premier rodéo en pleine nature, tu seras surpris ?
— C'est le contraire qui m'étonnerait !
L'autre humain éclate de rire, l'attrape par la chemise et l'attire contre lui pour lui rouler une pelle.
Ses mains baladeuses sont vite partout. Elles débarrassent Aubrey de la couverture qu'il tenait encore, tâtent ses pectoraux à travers son vêtement, entourent son cou, descendent saisir ses hanches...
Mon attention reste sur mon obsession. Je sais que, lui aussi, il se fait chier. C'est pas juste à cause de son visage inexpressif. Sa salope du soir est chaude comme la braise, son niveau d'excitation de crève déjà le plafond. J'en capte la fade odeur, mais pas celle d'Aubrey.
Je retiens un grognement déçu au fond de ma gorge. Les yeux d'Aubrey se braquent soudain dans ma direction, alors que son caniche en rut lui embrasse le cou. Ça m'étonne de le voir scruter l'ombre. Je capte le léger frémissement de ses poils, qui se dressent sur sa peau. Son regard fixe a quelque chose de curieux. Quelque chose qui laisse presque imaginer qu'il me voit.
L’excitation soulevée par cette idée court le long de ma colonne vertébrale. Mais c'est impossible. À moins qu'il soit extra-lucide... et je le saurais, puisque les humains connectés à l'Au-delà dégagent une aura particulière.
Cheveux-Longs regagne son attention en saisissant le bas de son visage.
— Qu'est-ce que tu regardes par là-bas, mon beau ? Je suis juste ici, et je suis tout à toi.
Il recule, ajuste la couverture sur le plateau du pick-up et y penche le haut de son corps tout en dénudant sa croupe. Il cale ensuite un pied sur une des barres latérales, plus que prêt à se faire fourrer.
Mon obsession se détourne complètement et s'amuse à gifler le cul de son trou serré sur pieds.
Il me tourne à présent le dos, et ça me tire un grondement. J'ai beau vouloir de l'action, j'apprécie moyen que ce connard insignifiant me vole l'intérêt de mon humain.
Même sans avoir de capacité surnaturelle, Aubrey pourrait en fin de compte posséder une sorte de sixième sens. Peut-être un pressentiment inexplicable qui le sensibilise à ma présence.
Un peu comme un animal de pâturage.
Il baisse à son tour son pantalon, jusqu'à mi-cuisses. Et mon cerveau dégage tout le reste en second plan.
Je ne perds plus une miette de ses mouvements. Il repousse les pans de sa chemise sur le côté. Son bassin avance lentement, bouge peu, dans un premier temps, puis s'active enfin, avec violence. Cheveux-Longs se retient pas de gueuler son plaisir à qui pourra l'entendre.
Voir mon obsession piner un autre mâle me distrait bien, mais c'est le mélange entêtant de sa sueur et de ses hormones qui m'excite autant. Un courant électrique violent parcourt tous mes muscles, mes narines frémissent sous l'augmentation brutale de sa dopamine... Mon gland humide sort presque aussitôt de son fourreau. J'ai envie de me lécher, d'apaiser la tension sexuelle qui irradie mon corps. Mais Aubrey me garde accroché à ses coups de reins.
Tapi dans les ténèbres, la pine gonflée et négligée, je me régale de la dépravation qui s'étale sous mes yeux. Le pick-up tangue, secoué par le rythme enragé de ses coups de bite. Les muscles fermes de ses fesses se contractent à chaque assaut. Ceux de son dos s'étirent et se crispent dans un enchaînement qui m'hypnotise.
Le mélange fauve de testostérone, de semence et de sueur s’épaissit autour d'eux.
Je plisse les narines, incommodé. Les effluves de mon humain se font toujours parasiter par l'autre. Ça devient insupportable !
Mon museau se retrousse d'agacement. Les regarder forniquer ne fait plus que m'exciter, ça me fout aussi la rage.
Je suis incapable de ressentir la jalousie. Ce qui me bouffe, c'est du désir.
Un désir féroce de sang frais et de domination.
J'en ai l'eau à la bouche rien que d'y penser.
Leurs gémissements, leurs souffles erratiques, les vapeurs de leurs peaux moites, leurs odeurs et leurs claquements, enflamme mon bas-ventre. Je trépigne sur place, le corps bandé, presque incapable de résister à l'envie de jaillir de l'obscurité et prendre ma part.
Je pourrais arracher la tête du parasite. Plaquer mon obsession au sol et le sodomiser face contre terre. Sans la moindre retenue. Jusqu'à le remplir à ras bord de mon sperme.
Le monter sous ma forme originelle serait sadique. Je risquerais de le déchirer en deux, accidentellement... ou pas, d’ailleurs. Que ce soit avec ma bite, avec mes crocs ou mes griffes. Mais contenir cette tentation viscérale devient de plus en plus difficile.
Bave aux lèvres, je me lève lentement et amorce quelques pas feutrés. Concentré sur l'angle d'attaque le plus opportun.
Heureusement pour les deux imprudents, les fluctuations chez Aubrey m’indiquent la fin de ce dangereux accouplement. La tête rejetée en arrière, la poigne ferme et le corps tendu, il éjacule dans un long râle primitif.
Encensé par ses vapeurs viriles, je ferme les yeux pour mieux filtrer son puissant fumet et me focalise dessus pour m'efforcer de calmer mon effervescence.
Je rouvre les yeux et les regarde panteler après l'orgasme.
Ce soir, ces deux humains remonteront en voiture dans le plus grand des calmes, inconscients d'avoir frôlé la mort.