L’infirmière, Anaïs, avait pris Agathe dans son bureau, seule à seule, et elle était en train de rédiger son rapport avec une concentration toute professionnelle. Mais entre les lignes, une profonde inquiétude marquait son visage.
Juste après, elle avait convoqué Marie et Virginie dans son bureau. Les visages étaient graves, la tension palpable. Anaïs, bien qu'amie des deux femmes, gardait un ton professionnel, mais on sentait l'inquiétude derrière ses mots.
— J’ai commencé un dossier. On va faire un signalement à la justice. C’est tout ce qu’on peut faire pour l’instant, dit-elle en regardant tour à tour les deux femmes.
— Mais… elle doit rentrer chez elle ce soir ? s’étrangla Marie.
— Oui, malheureusement. Légalement, on ne peut pas la retenir. La décision appartient à la justice maintenant. Nous, on ne peut qu’alerter.
Virginie frappa du poing contre l’accoudoir de la chaise.
— Et en attendant, on la renvoie chez son bourreau ? C’est ça, protéger les enfants ?
Anaïs baissa les yeux un instant, visiblement touchée.
— Je suis désolée. Je fais tout ce que je peux, vous le savez.
Agathe, qui avait assisté à la fin de l’échange, prit une inspiration tremblante.
— Ce n’est pas grave… Merci d’avoir essayé, dit-elle doucement.
Virginie se tourna une dernière fois vers Anaïs, la voix tremblante.
— Il doit bien y avoir une autre solution… on peut pas juste la laisser repartir là-bas.
Agathe baissa les yeux, puis releva la tête, une lueur de détermination mêlée d’angoisse dans le regard.
— Je vais faire profil bas, d’accord ? Je dirai rien, je resterai calme. Juste… le temps que l’infirmière fasse ce qu’il faut. J’attendrai.
Marie s’approcha, sortit un petit papier de son sac, griffonna un numéro, puis le tendit à Agathe.
— Si jamais tu sens que ça va pas… n’importe quand, jour ou nuit. Tu nous appelles, d’accord ? Promets-le-moi.
Virginie regarda l’adolescente.
— Tu n’es pas seule. Quoi qu’il arrive, on est là.
Agathe hocha la tête en silence. Elle glissa le papier dans sa poche comme un trésor précieux, puis se retourna, et s’éloigna d’un pas lent, le dos un peu plus courbé qu’avant, mais les poings serrés autour de cette mince promesse de secours.
Point de vue d’Agathe
Agathe rentrait chez elle, le cœur lourd. Tout ce qu’elle avait dit à Anaïs lui revenait en tête, comme un écho douloureux. Elle s’en voulait d’avoir mis les dames Leblanc dans une situation pareille, mais elle n’avait pas eu le choix. Elle devait les protéger, elles, pas elle-même. Elle savait que tout finirait par éclater. Et ce soir-là, ce fut le cas.
Quand elle poussa la porte de chez elle, l’atmosphère était lourde, chargée d’électricité. Son père était debout au milieu du salon, une feuille froissée à la main.
— C’est quoi ça ? grogna-t-il en brandissant le papier. Une putain de convocation du collège ? Hein ? Tu peux m’expliquer pourquoi ils veulent me parler de ce qui se passe à la maison ?
Agathe sentit la panique monter. Elle reconnut aussitôt la convocation à la réunion de ce matin. Elle avait dû tomber de son sac.
— nan... c’était une autre chose, tenta-t-elle, la voix tremblante. j’te jure.
Le regard de son père s’assombrit, son visage se tordit de colère.
— Tu te fous de ma gueule ? Tu crois que j’vais avaler ça ? je crois qu’ils m’ont convoqué parce qu’ils ont vu un bleu sur ta sale gueule ? Tu crois que je suis con à ce point-là ?
Il s’approcha, menaçant, les poings déjà serrés.
— Si ta mère était encore là, ça se passerait pas comme ça… Elle t’aurait remis en place depuis longtemps, elle.
Agathe recula, le dos contre le mur. Elle savait ce qui allait venir. Elle tenta encore :
— Je t’ai rien dit, Papa… j’ai rien dit à personne…
— TA GUEULE ! hurla-t-il.
Il leva la main, et le premier coup partit. Puis un deuxième. Et un troisième. La violence s’abattit sur elle comme une tempête. Elle ne cria pas. Elle avait appris à ne plus crier. À encaisser en silence.
Mais ce soir-là, la brutalité dépassa les limites habituelles. Les coups pleuvaient, brutaux, sans répit. Sa vision se brouilla, ses jambes cédèrent sous elle. Et alors qu’elle tombait au sol, un voile noir descendit sur ses yeux.
Agathe s’évanouit sous les coups.