Il était 2h17 quand le téléphone vibra sur la table de nuit. Marie, à moitié endormie, tendit la main et décrocha sans regarder.
— Allô… ?
Une voix étouffée, tremblante, presque inaudible, lui répondit :
— Madame… C’est Agathe… J’ai mal… J’ai… J’ai besoin d’aide…
Le cœur de Marie se serra immédiatement. Elle bondit hors du lit, alluma la lumière et attrapa ses vêtements à la hâte.
— Tu es où, Agathe ? Tu es chez toi ?
Un petit « oui », à peine audible, confirma ce qu’elle redoutait.
— Tiens bon, on arrive. Tu restes là, d’accord ? Tu ne bouges pas.
Elle raccrocha à peine qu’elle était déjà en train de réveiller Virginie. Quelques minutes plus tard, elles fonçaient à travers les rues désertes de la ville, le silence seulement brisé par le souffle court de l’inquiétude.
Quand elles arrivèrent devant la maison, la lumière du porche était éteinte. Virginie frappa doucement, puis plus fort. La porte s’ouvrit sur Agathe, titubante, un œil enflé, les lèvres fendues. Marie sentit sa gorge se serrer, les larmes lui montant aux yeux en découvrant son visage. Sans un mot, Agathe s’effondra dans ses bras.
— C’est fini, ma chérie, murmura-t-elle en la serrant contre elle. On est là maintenant.
Elles la firent monter dans la voiture, direction leur maison. Il n’était plus question de la laisser repartir.
Dans la lumière tamisée de la salle de bain, Virginie nettoyait avec douceur les plaies d’Agathe. Chaque geste était précis, tendre, mais son visage restait tendu, ravagé par l’injustice. La trousse de premiers secours, ouverte à côté d’elle, semblait dérisoire face à l’ampleur du mal. Agathe ne disait rien, elle se laissait faire, les lèvres pincées pour ne pas trembler.
— Ça pique un peu, d’accord ? murmura Virginie en appliquant l’antiseptique.
Agathe hocha la tête sans un mot. Elle ne pleurait plus, elle avait dépassé ce stade. Maintenant, elle semblait juste… vide.
Une fois les soins terminés, Marie arriva avec un pyjama propre. Elle l’aida à l’enfiler, puis l’accompagna doucement jusqu’à la petite chambre d’amis. Les draps étaient frais, la lumière douce. Elle tira la couverture sur elle, ajusta l’oreiller, s’assit au bord du lit.
Agathe murmura, la voix rauque :
— J’aurais pas dû vous appeler. J’veux pas que vous ayez des ennuis encore à cause de moi… J’savais juste pas quoi faire…
Marie posa une main sur sa joue, tendrement.
— Tu as bien fait, Agathe. Ce n’est pas à toi de porter ça seule. Tu n’y retourneras plus. On est là, et on va te protéger. D’accord ?
Un silence. Puis Marie ajouta, avec un sourire doux :
— Dors, pumpkin. Si tu as besoin de quoi que ce soit, notre chambre est juste à côté.
Elle éteignit la lampe et laissa la porte entrouverte.
Dans leur chambre, Virginie était assise sur le lit, le regard fixé dans le vide. Elle leva les yeux quand Marie entra, les traits tirés.
— Elle dort ? demanda-t-elle à voix basse.
— Je pense pas qu’elle y arrivera ce soir. Et moi non plus, d’ailleurs…
Marie s’assit à côté d’elle, attrapa sa main. Un long silence s’installa. Puis Virginie lâcha, d’une voix rauque :
— C’est un monstre. On peut pas la laisser y retourner. Pas après ça.
— On ne la laissera pas, répondit Marie aussitôt. Demain, j’appelle Anaïs. Il faut qu’on rajoute tout ça au dossier. Il faut que la justice bouge. Et vite.
Elles restèrent là, l’une contre l’autre, à écouter les bruits de la nuit et le souffle discret d’une enfant brisée, enfin en sécurité. Pour ce soir.
Point de vue d’Agathe
Marie venait de la border, et la pièce était plongée dans un calme presque irréel. Allongée sur le dos, les yeux grands ouverts, Agathe fixait le plafond sans vraiment le voir. Elle avait mal partout, mais ce n’était pas seulement son corps qui souffrait. Son esprit, lui aussi, était en vrac.
Elle se demandait si elle avait bien fait. Si les avoir appelées allait vraiment l’aider… ou si ça ne ferait qu’empirer les choses. Et si son père apprenait où elle était ? Et s’il s’en prenait à elles maintenant ? À Marie. À Virginie. Elle se mordilla la lèvre, le cœur lourd.
Mais malgré l’angoisse, malgré la peur qui restait accrochée à sa peau comme une seconde couche, il y avait un drôle de sentiment qui naissait en elle. Un petit quelque chose de chaud. C’était la première fois qu’on la soignait comme ça. Qu’on prenait le temps de désinfecter ses blessures. Qu’on lui parlait doucement. Qu’on la bordait dans un lit.
Elle serra un peu la couverture contre elle, enfouissant son visage dans l’oreiller.
« Et elle m’a appelée pumpkin… » pensa-t-elle, un peu étonnée. « C’est la première fois qu’on me donne un surnom. Mais… pourquoi pumpkin ? »
Un sourire triste effleura ses lèvres. C’était idiot, peut-être. Mais ça comptait.
Le cœur encore noué, mais un peu moins seul, elle ferma enfin les yeux. Il devait être près de six heures du matin quand le sommeil l’emporta.