Le week-end arriva, et avec lui, une drôle d’excitation dans l’air.
Marie et Virginie avaient pris une décision simple, évidente : elles allaient faire plus que protéger Agathe.
Elles allaient l’aimer. Vraiment. Complètement.
Le samedi matin, la maison baignait dans la douce lumière du printemps, le soleil filtrant à travers les rideaux blancs, dessinant des formes pâles sur le sol.
Autour de la table du petit-déjeuner, il y avait de la chaleur dans l’air, et plus encore entre les gestes de Virginie et Marie, qui, malgré les rires et les éclats de voix, échangeaient des regards complices, ces petits gestes qui n’échappaient pas à Agathe.
— Bon..., dit Virginie avec un sourire, un peu plus malicieux que d’habitude, en posant sa tasse de café. On a une idée à te proposer.
Agathe leva les yeux de son bol, un peu perdue dans la douce routine du matin, mais intriguée par ce ton.
Elle avait encore du mal à croire qu’elles voulaient réellement la faire rester, vraiment, qu’elle avait sa place ici.
— Alors voilà, pumpkin, déclara-t-elle. Ta chambre d’amis, là-haut... On voudrait que ce soit vraiment ta chambre.
— Pas un endroit provisoire. Alors tu vas nous dire ce que tu aimes. Couleurs, déco, tout. T’as carte blanche, expliqua Marie, qui venait de déposer une assiette de pain grillé sur la table.
Agathe, surprise, cligna plusieurs fois des yeux.
— Vous... vous voulez refaire la chambre pour moi ?
— Pas pour toi, avec toi, corrigea Marie en riant doucement. C’est ton espace. Tu dois t’y sentir bien.
Le cœur d'Agathe s'emballa, comme un papillon qui battait trop fort dans sa poitrine.
Elle se força à ne pas y croire tout de suite. Elle croisa les bras, un peu gênée.
Un silence flotta, léger mais chargé d’émotion. Puis, timidement, Agathe proposa :
— J’aime bien le vert... pas trop vif... Et les trucs un peu vintage... Les plantes aussi...
Virginie griffonna tout ça dans son carnet avec application.
— Parfait. On ira choisir tout ça cet après-midi. Et demain, opération peinture et déco, ajouta Marie, les yeux pétillants.
Le reste de la matinée fut consacré au shopping.
Dans les magasins, Agathe restait un peu en retrait au début, intimidée.
Mais peu à peu, encouragée par leurs sourires patients, elle osa donner son avis, toucher des tissus, choisir un joli couvre-lit vert sauge, quelques coussins, une guirlande lumineuse.
Virginie la taquinait doucement dans les rayons, Marie faisait semblant d’hésiter entre deux lampes pour la faire rire.
Et Agathe riait. Vraiment. Pour la première fois depuis longtemps.
En rentrant, elles passèrent l’après-midi à vider la chambre, poncer, peindre.
La maison sentait la peinture fraîche, la tarte aux pommes (que Virginie avait glissée au four) et quelque chose de plus rare : la promesse d’une nouvelle vie.
Agathe, en salopette tâchée de peinture, un foulard dans les cheveux, riait à en avoir mal au ventre quand Marie, maladroite, fit tomber une échelle.
— T'es censée être la responsable ici, Madame Leblanc ! se moqua-t-elle gentiment.
— Eh ! protesta Marie en riant. Pas de Madame à la maison, tu te souviens ?
— Oui, oui, Marie, s’amusa Agathe en insistant bien sur le prénom.
Le week-end passa en un éclair.
Le dimanche soir, la chambre d’Agathe était méconnaissable.
Les murs peints en vert sauge étaient calmes, rassurants.
Les coussins empilés sur le lit, les guirlandes lumineuses brillaient au plafond.
Marie se recula, les mains sur les hanches.
— Qu’est-ce que tu en penses ?
Agathe tourna sur elle-même, observant les détails, le lit tout neuf, les étagères pleines de livres, la lampe de chevet aux tons doux.
— C’est... c’est magnifique. C’est moi. Je... je n’y crois pas encore. C’est... chez moi.
Marie la prit dans ses bras, tout de suite, sans réfléchir.
Elle se serra contre elle et Agathe sentit la chaleur et la douceur de ce contact qu’elle n’avait pas connu depuis si longtemps.
Virginie se tenait un peu en retrait, les mains dans les poches, le sourire aux lèvres.
— T’es chez toi, pumpkin.
Le soir, après que la maison eut retrouvé son calme, Agathe monta dans sa chambre, regardant chaque objet, chaque détail, presque nerveuse d’avoir un tel espace rien que pour elle.
Elle s’assit sur le lit, les mains contre le duvet tout neuf, fermant les yeux quelques secondes pour respirer.
Pour ressentir ce que ça faisait d’être en sécurité.
En bas, Marie et Virginie s’installaient sur le canapé, une tasse de thé à la main, se regardant en silence avant de commencer à discuter doucement.
Leur complicité, silencieuse mais forte, n’avait pas échappé à Agathe.
C’est là qu’elle les observa, un instant, assise dans les escaliers.
Virginie s’était glissée près de Marie, posant doucement sa tête sur son épaule.
Elles se regardaient en silence, souriant l’une à l’autre comme si elles étaient seules au monde.
Virginie prit la main de Marie, les doigts entremêlés, puis déposa un baiser sur sa tempe.
Agathe détourna le regard, les joues un peu rouges.
Ce moment de tendresse, entre elles, était quelque chose qu’elle n’avait jamais vu ailleurs.
Un amour calme, solide, comme une maison bien construite.
Elle avait toujours rêvé d’un tel amour.
Maintenant, il était là, devant elle, mais pas pour elle. Pas encore.
Quand soudain, elle entendit :
— Tu restes là à nous observer ou tu viens avec nous ?
Un rire lui échappa malgré elle.
Elle se leva et descendit les marches quatre à quatre pour les rejoindre sur le canapé.
La semaine suivante fila à toute vitesse dans un tourbillon de gestes quotidiens.
Les trajets scolaires, les repas en famille, les rires, et parfois aussi les silences.
Mais les silences étaient apaisants, ils n’étaient pas lourds.
Ils étaient pleins de la chaleur d’un foyer qui, jour après jour, devenait de plus en plus le sien.
Au collège, si tout n’était pas parfait, si quelques regards persistaient, la plupart des élèves respectaient la consigne donnée par le proviseur.
Et Marie et Virginie organisaient les soirs avec soin : un repas chaud, un moment pour parler ou jouer à un jeu de société, et toujours, avant de dormir, un petit mot doux, une présence rassurante.
Puis, le vendredi matin, la nouvelle tomba officiellement : la famille Leblanc devenait la famille d’accueil d’Agathe jusqu’à nouvel ordre.
L'assistante sociale leur tendit les derniers documents et dit avec un sourire complice :
— Je savais que je faisais le bon choix.
Agathe regarda Virginie et Marie, sans trouver les mots.
Marie se retourna vers elle, un sourire tendre au coin des lèvres :
— Tu n’es pas un dossier pour nous, Agathe. Tu es notre famille, maintenant. Pour de vrai.
Agathe baissa la tête pour cacher ses larmes, mais Virginie, sans rien dire, passa doucement la main dans ses cheveux.
Et dans le silence complice qui suivit, quelque chose d’irréversible se grava entre elles.
Le choix d’aimer.
Le choix d’être une famille.