Point de vue : Agathe — Le déclic de la peur
Le salon était plongé dans une lumière jaune sale, et la télévision crachait des voix sans que personne n’écoute vraiment. Agathe gardait les yeux rivés sur son bol de soupe, mains tremblantes autour de la cuillère.
Son père, affalé dans le canapé, la dévisageait en silence depuis un moment.
— T’as pas dit un mot depuis que t’es rentrée. Y a un problème ? lança-t-il d’une voix pâteuse.
— Non. Rien.
Il grogna, reposa sa canette sur la table dans un claquement sec. Puis il se redressa lentement.
— T’es bizarre. T’as quelque chose à cacher ?
Elle secoua la tête, un peu trop vite. Mauvais réflexe.
Il se leva d’un bond.
— C’est quoi ton manège, là ? Y a quelqu’un qui a parlé ? Une prof ? Hein ?
Agathe ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Il s’approcha d’elle, d’un pas instable mais rapide.
— T’as dit quelque chose ? T’as osé inventer des trucs ? Tu veux que les flics débarquent ici, c’est ça ?!
— Non ! Non, j’ai rien dit ! j’ai rien fait !
Mais c’était trop tard. Son père l’attrapa par le bras, la força à se lever, la plaqua contre le mur.
— Dis-moi ce qu’elles ont dit. Tout de suite.
Elle se mit à pleurer, incapable de répondre.
Le coup partit, brutal. Puis un autre. Jusqu’à ce qu’elle parle. Jusqu’à ce qu’elle crie que oui, une prof avait demandé si "ça allait chez elle".
Il s’arrêta, haletant, la regarda de haut.
— Tu vas me régler ça. Tu vas leur faire comprendre qu’ici, y a rien à voir. Et si tu fais la maligne, si tu causes encore des emmerdes… je te jure, Agathe, tu vas le regretter.
Il la relâcha. Elle glissa au sol sans bruit, comme une poupée vide.
Dans sa tête, une seule idée tournait en boucle :
Si elles me déteste, elles arrêteront de fouiller.
Alors elle se mit à réfléchir, elles portent le même nom de famille, elles sont plutôt proches. Un lien familiale ? Sœur ? Non. Pas assez fort. Couple ? Oui… Les gens adorent ça, les histoires de couples. Les ragots. Ça marcherait. Il faut juste que ça marche…
Point de vue externe
Elle pensait que lancer cette rumeur ne leur attirait pas d’ennui, deux profs ensemble c’est pas si grave, mais avec cette rumeur les regard serai sur elle et elle aurai plus le temps de se préoccuper d’elle. Et quelque heure plus part, elle pouvais déjà entendre des échos.
Les bruits ont commencé comme des bribes. Des petits riens, glissés à la fin d'une conversation.
— “Il paraît qu’elles se sont embrassées devant les élèves.” — “Tu sais, moi j’ai rien contre… mais bon, y a des limites.” — “Une élève a entendu des trucs pas nets dans les vestiaires…”
Personne ne sait exactement qui a dit quoi, ni d’où ça vient. Mais ça circule. Et ça suffit.
Au bout de quelques jours dans les couloirs, les regards changent. Plus appuyés. Plus méfiants.
À la salle des profs, certains s’énervent :
— “Mais c’est absurde, elles sont toujours discrètes.” — “Jamais un mot déplacé. Elles s’embrassent pas ici, elles sont pros, point.” — “Moi, j’ai jamais rien vu, sauf peut-être un bisou furtif avant leur cours… et encore, c’était entre adultes, dans la salle des profs !”
Mais d'autres restent silencieux. Ou baissent les yeux.
Au bureau du proviseur, les échos remontent, flous mais persistants. Julien Marchal fronce les sourcils, fait tourner son stylo entre ses doigts.
— “On n’a pas de plainte officielle,” dit-il à Anaïs, qui vient parfois lui parler entre deux pauses. — “Mais vous sentez bien que ça monte,” répond-elle, soucieuse.
— “Oui… et ça m’inquiète.”
Point de vue : Marie et Virginie
Le soir, l’ambiance dans leur appartement est glaciale. Pas un mot. Juste ce silence lourd qui flotte entre elles.
Marie finit par exploser : — "Anaïs est venue me parler aujourd’hui."
Virginie relève la tête, surprise. — "Ton amie l’infirmière ? Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?"
Marie ne répond pas tout de suite. Son visage est fermé. Quand Virginie tente de s’asseoir à ses côtés sur le canapé, Marie se lève aussitôt, s’écarte, comme si sa présence la brûlait.
— "Qu’est-ce qui se passe ? Tu vas bien ?" demande Virginie, de plus en plus inquiète.
Marie se retourne brusquement : — "Tu te rends compte de ce qui circule au collège ?!"
Virginie fronce les sourcils, complètement paumée. — "Mais non. Personne m’a rien dit, j’ai rien entendu… De quoi tu parles ?"
— "Anaïs m’a dit que tout le monde est au courant. Pour nous deux."
— "Bah… oui. On est mariées, Marie. Depuis trois ans. Quel scoop ! On l’a jamais caché. On vit, c’est tout. Et on a toujours été claires : pas de honte."
— "Je te parle pas de ça. Je te parle des rumeurs. Qu’on serait 'trop proches', qu’on s’embrasse devant les élèves. Qu’il se passerait des 'trucs bizarres' dans les vestiaires. Tu te rends compte ? On nous fait passer pour des perverses !"
Virginie blêmit. Mais elle se défend : — "Arrête ! On n’a rien à se reprocher. On a toujours été pros au boulot. Tu le sais."
Marie lâche, d’un ton plus amer : — "Ouais, ben ces rumeurs, elles viennent bien de quelque part. Et t’imagines si ça va plus loin ? Si ça finit en plainte ?"
Virginie se redresse, blessée : — "Tu crois quoi ? Que c’est moi ? Que j’ai déclenché ça ? T’as honte d’être avec moi ou quoi ?"
— "C’est pas de la honte." La voix de Marie se brise légèrement. "C’est de la prudence."
Elle fait une pause, puis balance, comme une gifle : — "Et je dis juste que c’est bizarre que tout ait commencé à déraper au moment où t’as mis ton nez dans les affaires d’Agathe."