Le samedi matin, un calme étrange régnait dans la maison.
Le genre de calme avant la tempête… administrative.
Dans le salon, Virginie regardait d’un air désespéré la montagne de papiers étalés sur la table.
— Sérieusement, souffla-t-elle en attrapant un formulaire. On adopte pas un panda géant, on adopte un enfant. Pourquoi y a trois tonnes de paperasse ?
Marie, assise en tailleur à côté d’elle, esquissa un sourire.
— Dis-toi que c’est parce qu’elle est précieuse, notre Agathe. Ça vaut bien un peu d’arrachage de cheveux.
Virginie leva les yeux au ciel mais son sourire trahissait toute la tendresse qu'elle ressentait.
Elles se mirent au travail, noircissant des lignes de prénoms, de dates de naissance, de professions... Rapidement, l’épreuve devint si lourde que Virginie lâcha son stylo en soupirant.
— Tu sais quoi ? Je capitule.
On appelle du renfort.
Quelques heures plus tard, Monsieur et Madame Faure débarquaient, armés d'un grand sac de viennoiseries et d'une mine hilare.
— Alors, on s'en sort ? demanda le père en déposant des croissants sur la table.
— C'est pire que de monter un meuble IKEA sans notice, grogna Virginie, faisant éclater de rire Marie.
Monsieur Faure s'approcha et tapota affectueusement l'épaule de sa fille.
— C’est qu’avec toi, l'administration, c'était plus simple à l'époque. Tes parents biologiques n'étaient plus là pour râler ou compliquer les choses.
Virginie haussa les épaules, un peu gênée.
— C'est sûr... mais pas sûr que ça ait été plus facile pour moi, répliqua-t-elle, mi-sérieuse, mi-taquine.
Madame Faure, quant à elle, attrapa un formulaire et chaussa ses lunettes avec détermination.
— Allez, au boulot. Plus vite on s’y met, plus vite on pourra déguster les croissants.
Agathe, intriguée par tout ce remue-ménage, s'approcha timidement du salon.
Elle hésita sur le pas de la porte, jusqu’à ce que Marie l'aperçoive.
— Viens, ma belle, lança-t-elle dans un sourire chaleureux.
On a besoin de ta bonne étoile pour finir ce dossier.
Agathe s'avança timidement et fut accueillie par un regard attendri de Monsieur Faure.
— Alors, c'est toi notre future petite-fille ? dit-il dans un clin d'œil complice.
Agathe rougit et balbutia quelque chose d'incompréhensible avant de sourire timidement.
Virginie la rattrapa au vol et la tira doucement contre elle.
— Pas d'inquiétude. On s'embrouille juste dans les papiers. Toi, t'es déjà dans notre cœur.
Un rire général éclata, chassant d’un coup toute la lourdeur administrative.
La fin de l'après-midi arriva sans qu'elles s'en rendent compte.
Les papiers étaient enfin remplis — ou du moins, elles l'espéraient — et un doux calme flottait à nouveau dans la maison.
Dans le salon, un grand tapis moelleux les invitait à une pause bien méritée.
Agathe était allongée au milieu, emmitouflée dans une couverture, ses cheveux en bataille formant une auréole tout autour de sa tête.
De chaque côté d'elle, Virginie et Marie, à moitié affalées, respiraient doucement.
Leur respiration paisible se mêlait au crépitement discret de la bougie posée sur la table basse.
Un instant suspendu, doux comme une caresse.
Agathe laissa échapper un petit soupir de contentement.
— On va se battre, quoi qu’il arrive, murmura Virginie en glissant sa main dans celle d'Agathe. T'es de notre famille maintenant.
Marie déposa un baiser sur les cheveux ébouriffés de la jeune fille.
— Et ça, aucun papier du monde ne pourra y changer quoi que ce soit, ajouta-t-elle dans un sourire.
Agathe ferma les yeux.
Elle n'avait peut-être pas encore le nom des Leblanc.
Elle n'avait peut-être pas encore de certitude sur l'avenir.
Mais là, entre elles deux, elle sentait quelque chose de plus fort que n'importe quel dossier :
Le souffle d'une famille.