Le jour tant attendu était arrivé. Le procès pour l’adoption d’Agathe avait enfin commencé, et avec lui, toute la tension accumulée depuis des semaines. Marie et Virginie se tenaient l’une près de l’autre dans le hall du tribunal, les mains légèrement moites. Agathe, bien qu’un peu nerveuse, était également prête. Elle savait que ce jour marquerait un tournant dans sa vie, que tout allait se jouer là, devant un juge.
La salle d’audience était froide, impersonnelle, mais l’adrénaline qui circulait dans leurs veines réchauffait l’atmosphère. Le juge, un homme d’un certain âge au regard sévère, était déjà installé à sa place, son marteau frappant la table pour signaler le début des débats.
Le procureur annonça les parties. D’un côté, Marie et Virginie, soutenues par leur avocat, et de l’autre, Ruddy Gérard, le père biologique d’Agathe, avec son propre avocat.
Les deux parties étaient appelées à présenter leurs arguments.
Le plaidoyer du père
Ruddy Gérard se leva, et, pour un instant, son visage se durcit avant qu’il ne commence à parler. Il jeta un coup d'œil furtif à Marie et Virginie, avant de se tourner vers le juge, d’un air résigné mais déterminé.
— Monsieur le juge, je suis le père d’Agathe. Et cela, ça ne changera jamais. Peu importe les documents, les avocats, ou les jugements. Je suis son père.
Il fit une pause, son regard se durcissant un instant. Il avait l'air de chercher les mots, comme si la vérité était difficile à exprimer.
— La mère d’Agathe est morte. C’était un moment difficile pour nous deux. Elle n’était pas juste ma femme, elle était la mère d’Agathe, et nous avons traversé des épreuves ensemble. Mais après son décès, j’ai perdu pied. Vous pouvez l’imaginer. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me laisser aller…
Il baissa la tête un instant, prenant une profonde inspiration avant de continuer.
— J'ai pas toujours été là pour elle. C’est un fait. Mais aujourd’hui, je suis sobre. Je suis inscrit dans un programme d'Alcooliques Anonymes et je fais tout ce que je peux pour changer, pour être un meilleur père pour Agathe. Je veux qu’elle sache que je l'aime, que je veux réparer mes erreurs, que je veux être là pour elle.
Il se tourna alors vers Marie et Virginie, son ton devenant plus amer.
— Mais voilà, je vois deux femmes mariées, qui ont l’air de vouloir se jouer des rôles, de prétendre que c’est mieux pour elle, mais un tel modèle, ce n’est pas celui que je souhaite pour ma fille. Une famille, ça ne se construit pas à coups de lois et de décisions de justice. Ça se construit sur des bases solides. Pas avec deux femmes, qu’elles soient légalement mariées ou non.
Il s’arrêta un instant, scrutant la salle, avant de conclure avec une voix plus douce, presque suppliant.
— J'aime Agathe. Et si je suis ici, c’est pour me battre pour elle. Je ne veux pas la perdre. Je suis son père, et je suis prêt à tout pour lui offrir une vraie famille.
Le juge le fixa un instant, sans expression, observant la sincérité apparente de ses mots. La tension dans la salle monta d’un cran, alors que Ruddy retourna à sa place, le regard plein de défi.
Le plaidoyer des Leblanc
Marie se leva, le cœur battant, et s’adressa au juge d’une voix tremblante, mais pleine de force.
— Monsieur le juge, nous n’avons jamais voulu effacer le passé d’Agathe. Nous avons juste voulu lui offrir un refuge. Un foyer où elle pourrait respirer, rire, grandir en paix.
Depuis qu’elle est avec nous, elle s’est fait des amis. Ses notes ont grimpé, sa joie est revenue. Elle est pleine de vie.
Elle sourit doucement, et d'un air presque distrait, laissa échapper :
— Pumpkin...
Elle s’arrêta, se reprenant avec tendresse :
— Pardon, Agathe, comme on l’appelle parfois à la maison...
Son regard se posa sur la fillette avec une infinie douceur.
— Agathe est redevenue elle-même. Elle n’a jamais eu besoin de changer pour être aimée chez nous.
Virginie prit la suite sans hésiter, sa voix vibrante d’une émotion contenue :
— Nous l’aimons, tout simplement. Ce n’est pas une question de papiers ou de droit. C’est une question de cœur. Quelle que soit votre décision aujourd'hui, monsieur le juge, nous serons là pour elle.
Toujours.
Nous ne jugeons pas monsieur Gérard. Nous savons que chacun porte ses blessures. Mais Agathe mérite une vie sereine, entourée d’amour, pas de conflits.
Virginie serra doucement la main de Marie, avant de conclure d’une voix empreinte d’une immense tendresse :
— Nous serons toujours son refuge. Son foyer. Sa famille.
La prise de parole d'Agathe
Agathe se leva, les jambes un peu tremblantes. Elle triturait la manche de son pull en parlant.
— Monsieur le juge... je veux rester avec mes mamans. Avec Marie et Virginie.
Elle hésita, son regard cherchant un appui.
— Avec mon père... c’était pas pareil. J’avais... souvent peur. Ici, je suis bien. J’ai des copines, mes notes ont monté... et même si je suis toujours nulle en sport, elles sont fières de moi quand même.
Elle s’interrompit, un peu gênée, et lâcha dans un souffle rapide :
— Et... et elles font les meilleurs pancakes du monde.
Un petit rire traversa la salle. Agathe rougit, mais continua, déterminée.
— Je les aime. Je veux rester avec elles.
Puis elle retourna s'asseoir, son cœur battant à toute vitesse, mais avec un immense sourire.
Le verdict du juge
Le juge tapota doucement ses notes du bout des doigts, le visage fermé. Il prit le temps de regarder chaque personne dans la salle avant de parler.
— Cette situation n’est pas simple, dit-il lentement.
Un père biologique reste un père... Et personne ici ne remet cela en cause.
Il fit une pause, pesant ses mots.
— Mais aujourd’hui, ce tribunal n’est pas là pour juger l’amour d’un parent... Il est là pour veiller à l’intérêt de l’enfant.
Agathe sentit son cœur cogner dans sa poitrine.
— Monsieur Gérard, je n’ignore pas vos efforts. Vos démarches sont louables... mais elles arrivent tard, après des faits graves qui ne peuvent être oubliés.
Il marqua une autre pause, sa voix devenant plus douce.
— Marie et Virginie Leblanc ont offert à Agathe un foyer stable, de l’amour, de la sécurité... et la possibilité d’être simplement une enfant heureuse.
Et cela, personne ne peut le nier.
Un léger frisson parcourut la salle.
— En conséquence, je prononce l’adoption d’Agathe par Marie et Virginie Leblanc.
À ces mots, Agathe sentit tout son corps se détendre. Elle se jeta dans les bras de ses deux mamans, les yeux brillants de larmes, incapable de dire quoi que ce soit d’autre qu’un énorme sourire.
Marie et Virginie l’étreignirent sans un mot, dans un silence rempli de promesses.
Ce jour-là, sans éclat ni tambours, une nouvelle famille fut officiellement reconnue. Une famille née de choix, d’amour et de courage.