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PetitePlume
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Chapitre 9 : vérité

Le soleil du samedi matin baignait leur cuisine d’une lumière douce. Marie et Virginie prenaient leur petit-déjeuner en silence, leurs doigts entrelacés sur la table. Il n’y avait plus de tension, juste un calme revenu, fragile mais sincère.

Elles avaient beaucoup parlé la veille au soir. Longtemps. Couchées côte à côte dans le lit, les mots avaient coulé comme un baume. Marie avait dit son chagrin, Virginie avait avoué sa colère, et elles avaient fini par se retrouver, comme toujours. Lentement, elles avaient remis les pièces en place, sans précipitation.

Dimanche, elles étaient allées marcher le long du canal. Main dans la main, elles avaient laissé le vent jouer avec leurs cheveux et les silences apaiser les souvenirs douloureux. Au retour, Virginie avait posé sa tête sur l'épaule de Marie :

— Ce n’est pas parce qu’on est fortes qu’on doit encaisser en silence, avait murmuré Marie en l'enlaçant.

Virginie avait fermé les yeux, son front contre sa peau. Elles n'étaient pas invincibles, non. Mais elles étaient ensemble. Et c'était plus que suffisant.

Le lundi, la salle de réunion était un peu trop lumineuse pour l’heure du jour, comme si le collège tentait de dissiper d’avance les tensions à venir. Des parents assis en rangs serrés, quelques élèves à côté d’eux, le proviseur, M. Marchal, debout à l’avant, calme, bienveillant mais ferme dans son maintien.

Marie et Virginie étaient installées côte à côte, un peu à l’écart, mais visibles de tous. Elles avaient choisi de ne pas se tenir la main, mais l’une savait que l’autre était là, à portée de souffle. Et c’était suffisant.

M. Marchal prit la parole, d’un ton posé.

— Bonjour à toutes et à tous. Merci d’être venus si rapidement. Si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est pour clarifier certains faits, et apaiser les inquiétudes. Il y a eu des rumeurs, des bruits de couloir. Certains d’entre vous ont exprimé des réserves, d’autres de l’indignation. Il est donc important de remettre les choses dans leur contexte.

Un murmure courut dans la salle. Une femme, assise au premier rang, leva la main.

— Il est question de la vie privée de deux professeurs. Est-ce que c’est approprié que cela se sache dans l’établissement ? Mes enfants n’ont pas à être exposés à ça.

Virginie sentit sa mâchoire se crisper, mais Marie posa doucement sa main sur son genou. M. Marchal n’attendit pas pour répondre.

— Il est vrai que Mesdames Madame Leblanc sont mariées. Depuis trois ans. Ce n’est pas un secret. Ce n’est pas non plus un sujet d’enseignement. Ce qui relève de leur vie privée n’a jamais interféré avec leur professionnalisme.

Il marqua une pause, laissa le silence tomber comme un couvercle.

— Ce collège est un lieu d’apprentissage, mais aussi un lieu de respect. Ce que vos enfants apprennent ici, du programme scolaire, c’est aussi l’exemple d’adultes investis, compétents, et respectueux. Les deux enseignantes concernées n’ont jamais causé le moindre problème, au contraire. Leurs élèves les apprécient, et leurs collègues les estiment.

Un autre parent, plus jeune, prit la parole.

— Mais si ça crée des tensions, des divisions entre les élèves ?

— C’est justement pour cela qu’on en parle aujourd’hui, répondit le proviseur. Pour éviter que la rumeur, l’insinuation ou l’intolérance prennent le pas sur le dialogue. Et je vous le dis clairement : tant que je serai à la direction de cet établissement, il n’y aura aucune discrimination. Ni de la part des adultes, ni des enfants. Aucune.

Un silence, puis quelques hochements de tête. Marie se leva doucement, son regard parcourant la salle. Virginie la suivit du regard, serrant les lèvres, mais prête à la soutenir.

— Permettez-moi de prendre la parole, dit Marie d’un ton calme mais ferme. Nous sommes professeurs ici depuis plusieurs années. Certains d’entre vous ont des enfants qui sont en troisième, et en tant que profs de sport et de français, on les a eus dans nos classes pendant ces quatre années, dans ce collège. Et à aucun moment, notre vie privée n’a interféré dans notre façon d’enseigner.

Un silence pesant s’installa dans la pièce, alors que tous les regards se tournaient vers elle. Elle n’était pas gênée. Elle se sentait plutôt forte dans ce moment.

— Peut-être, poursuivit-elle, qu’on est plus tolérants, plus ouverts, mais je crois que c’est ça qui fait notre force. C’est aussi ce qui fait de nous de bons enseignants. Si ça vous embête que vos enfants nous côtoient et reçoivent notre enseignement, il vous appartient de les retirer de notre établissement. Mais vous devriez peut-être vous demander : est-ce que ça change vraiment quelque chose ?

Elle marqua une pause, jetant un coup d’œil rapide à Virginie, qui se tenait à ses côtés, silencieuse mais d’un soutien évident.

— On ne fait pas de propagande. On n’incite pas vos enfants à penser ou à agir comme nous, dans notre vie privée. Comme chaque professeur, on se doit de les guider vers une meilleure compréhension de leur propre avenir. Mais la seule chose qui pourrait leur faire penser qu’on est ensemble, c’est qu’on porte tous les deux le même nom. C’est normal, puisqu’on est mariées.

Quelques murmures traversèrent la salle, certains parents se pinçaient les lèvres, d’autres semblaient presque choqués par la franchise de Marie.

Virginie, jusqu’ici restée silencieuse, se leva à son tour. Elle prit la parole d’une voix plus rauque, moins douce que celle de Marie, mais tout aussi pleine de conviction.

— En tant qu'enseignantes, on est là pour que vos enfants grandissent dans un environnement où le respect des différences est primordial. Que ce soit dans notre vie personnelle ou professionnelle, on est là pour eux. Tout ce qui peut nous rendre plus humaines et plus solides, c’est ce qu’on partage ensemble. C’est ce qui nous rend aussi meilleures dans ce que l’on fait.

La salle semblait divisée. Un ou deux élèves, dont certains en troisième, avaient écouté la conversation en entrant. Ils étaient venus rendre visite à leurs professeurs avant de repartir en cours. L’un d’eux, Hugo, prit la parole, un regard déterminé dans les yeux.

— Mais nous, on n’a jamais eu de problème avec vous. Pourquoi on nous poserait des questions là-dessus ? Vous nous apprenez des choses qu’on ne trouve pas ailleurs. On se sent respectés, et même si vous êtes différentes, vous êtes justes. C’est ce qui compte.

Quelques autres élèves hochèrent la tête en signe d’approbation. Les parents semblaient déstabilisés par cette intervention inattendue.

M. Marchal, qui avait observé en silence, se tourna à nouveau vers les parents.

— Vous entendez ce que vos enfants disent. Ils n’ont pas besoin d’être influencés par une quelconque « propagande ». Ils vivent dans un monde où l’acceptation est primordiale. Marie et Virginie n’ont jamais, je dis bien jamais, laissé leur vie privée interférer avec leur travail. Ce que vous entendez ici, c’est simplement de la vérité.

Un autre parent tenta de répliquer, mais M. Marchal intervint avant qu’il ne puisse continuer.

— Nous avons entendu. Mais aujourd’hui, le respect de la personne, de la dignité humaine, doit primer. Et nous, adultes, avons un devoir de montrer l’exemple. Cela passe aussi par un soutien inconditionnel envers ces deux professeurs, qui ne méritent ni jugement, ni préjugé.

L’atmosphère semblait se détendre lentement. Quelques regards sceptiques restaient, mais il n’y avait plus cette chaleur de condamnation dans la salle. Quelques parents se tournaient vers leurs enfants, comme s’ils cherchaient à obtenir leur avis. Le silence envahit la pièce pendant quelques instants.

Marie et Virginie échangèrent un regard. Elles se sentaient fatiguées mais soulagées, comme si elles avaient posé un fardeau qu’elles portaient depuis trop longtemps.

La plupart des parents, visiblement apaisés par la discussion, se levèrent et saluèrent les professeurs d'un signe de tête, marquant leur respect. Ils comprenaient que cette réunion était une démarche nécessaire pour certains, mais ne voyaient pas vraiment l’intérêt de discuter de la vie privée des enseignants.

Un homme, plutôt calme, se leva et s'approcha de Marie et Virginie avec un sourire bienveillant.

— Franchement, je ne comprends pas pourquoi on a dû organiser une réunion pour ça, dit-il d'un ton doux mais perplexe. Ce genre de choses devrait rester dans le privé. Vous êtes nos enfants’s professeurs, vous faites bien votre travail, et à aucun moment cela ne devrait interférer avec ce que vous enseignez. C’est hallucinant qu’on en soit arrivé là.

Il secoua la tête, comme pour exprimer son incompréhension face à la situation, mais son regard était amical, plein de soutien.

— Bref, bon courage à vous, et merci pour tout ce que vous faites. Cette réunion n’avait pas lieu d’être, mais je crois que tout va bien se passer.

Il leur adressa un dernier sourire sincère avant de s'éloigner, laissant derrière lui une sensation de soulagement et de soutien.

Point de vue de Virginie

Après la réunion, Virginie traversa les couloirs en silence, l'esprit encore en proie aux dernières paroles des parents, les regards des uns et des autres. Mais alors qu'elle arrivait près des portes extérieures, elle aperçut Agathe, seule, à l'ombre d’un arbre, son corps replié sur lui-même, les épaules secouées par des sanglots étouffés.

Un frisson parcourut le dos de Virginie. Agathe... Elle n’était pas passée par le bureau de l’infirmière, ni par les vestiaires comme à son habitude. Elle se précipita vers elle, inquiète.

— Agathe ? murmura-t-elle doucement.

L’élève releva la tête, les yeux rougis, les larmes encore présentes sur ses joues. Elle sembla surprise de voir Virginie si proche, comme si elle ne s’attendait pas à ce que quelqu’un la trouve dans cet état.

— Agathe… qu’est-ce qui se passe ? demanda Virginie, en se penchant pour être à sa hauteur. Tu vas bien ?

Agathe baissa la tête, évitant le regard de Virginie. Elle mordillait nerveusement la lèvre, son souffle haletant.

— Je... Je... je suis désolée, madame... murmura-t-elle presque inaudible. Je voulais pas… je voulais pas que ça aille si loin.

Virginie s'assit près d’elle, son cœur battant. Ce n’était pas juste la peur d'être prise en flagrant délit. Il y avait autre chose dans cette confession, quelque chose de plus lourd, plus sombre. Elle tendit doucement la main vers Agathe, l'invitant à la saisir si elle en avait besoin. La jeune fille hésita un instant, puis la prit, comme une bouée de sauvetage.

— Je ne voulais pas mentir... Mais mon père... il m’a forcée... Il m’a dit que vous ne deviez pas savoir. Il m’a dit que... que ca serait pire si vous l’appreniez. Je suis désolée...

Virginie sentit une boule se former dans sa gorge. Elle connaissait les bleus, les signes, les blessures invisibles d’Agathe, mais entendre enfin les mots, entendre la souffrance se dévoiler, cela faisait mal.

— Agathe, tu n’as pas à t’excuser, lui dit-elle doucement. Tu as été sous pression, tu n’étais pas en sécurité. Et ce que tu viens de dire, c’est déjà un énorme pas.

Elle chercha les mots pour la rassurer, mais Agathe la coupa avant qu’elle ne puisse continuer.

— Je vous ai menti... je... je pensais qu’avec tout ça... avec la rumeur et tout, vous n’alliez plus vouloir m’aider. Vous allez me détester, n’est-ce pas ?

Virginie posa une main douce sur son épaule, le regard déterminé.

— Agathe, jamais. Je te détesterai jamais. Ce que tu vis, ce que tu as vécu, on va t’aider à le traverser. Et ta vérité, elle n’est pas un fardeau. Elle est ce qu’il y a de plus important.

Marie arriva à ce moment-là, se tenant dans l’encadrement de la porte, visiblement émue. Elle s’avança sans un mot et se plaça près de Virginie, jetant un regard tendre vers Agathe.

— Tu n’es pas seule, ajouta-t-elle, sa voix calme et rassurante. On est là pour toi. Et tout ce qui compte, c’est que tu sois en sécurité maintenant.

Agathe leva les yeux vers elles, une lueur d’espoir commençant à percer dans son regard.

— Vous allez m’aider... vraiment ? souffla-t-elle, presque incrédule.

Marie s'agenouilla devant elle, posant ses mains sur ses genoux pour la regarder dans les yeux.

— Oui, vraiment, répondit Marie, d'une voix douce, mais ferme. Mais avant tout, il faut qu’on fasse ça dans les règles, Agathe. On va t'emmener voir l'infirmière. Elle pourra t'écouter et voir ce qu'il se passe, et nous, on restera avec toi si tu veux, jusqu'à ce que tu sois prête à lui raconter. On ne fera rien sans ton accord, mais c’est important qu’elle sache. Elle pourra t'aider, nous aider, et surtout nous permettre de prendre les bonnes décisions.

Agathe sembla un peu plus rassurée, bien que l’angoisse restât dans ses yeux. Elle hocha doucement la tête.

— D’accord… d’accord… murmura-t-elle, les mains tremblantes.

Marie et Virginie se levèrent en même temps, prêtes à l’accompagner. Virginie tendit sa main à Agathe, qui la prit avec hésitation. Elle n'était plus seule. Ensemble, elles allaient faire le premier pas vers la vérité

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