Point de vue de Virginie
Après l’entretien avec le proviseur, elles étaient reparties à leurs cours. Mais Virginie n’arrivait pas à se concentrer. Sa tête était ailleurs. La dispute de la veille, le mot de Marie, la conversation avec M. Marchal… tout tournait en boucle.
Vers le milieu de l’après-midi, elle se rendit à la salle des profs. Elle avait oublié sa gourde dans son casier, et elle sentait sa gorge sèche, comme si tout son corps portait la tension de ces dernières heures.
En entrant, elle remarqua immédiatement la silhouette familière de Marie, assise à une table, concentrée sur ses prochaines séquences de cours. Virginie baissa les yeux et se dirigea vers son casier sans un mot.
— T’as pas cours ? demanda Marie sans lever la tête.
— Si… j’ai juste oublié ma gourde, répondit Virginie, déjà prête à faire demi-tour.
Mais elle sentit la main de Marie lui saisir doucement le bras. Ce geste… il lui manquait. Il lui avait manqué toute la journée.
— J’ai pas arrêté d’y penser… à cette dispute. À ce qu’on s’est dit. Ce que je t’ai dit.
Virginie se retourna lentement. Leurs regards se croisèrent enfin. Pas de colère. Juste de la fatigue. De la douleur.
— Je sais que t’es en colère, reprit Marie. Mais on ne peut pas laisser ça nous diviser. Pas maintenant.
Virginie resta silencieuse un instant. Puis, d’une voix basse, elle murmura :
— Tu sais ce que ça m’a rappelé ? Quand j’étais gosse. Quand je passais de foyer en foyer. Y avait toujours une excuse pour me rejeter. Et là… j’ai eu l’impression de revivre ça.
Elle prit les mains de Marie dans les siennes, les serra doucement, comme pour l’ancrer.
— Je suis pas en colère. Je t’aime aussi. Mais… j’ai besoin d’un peu de temps.
Elle relâcha ses mains avec douceur. Son regard n’avait plus cette dureté, mais une tendresse timide.
— J’y vais, j’ai cours. On en parle ce soir.
Elle esquissa un sourire presque imperceptible, et sortit.
La séance de sport avec sa classe de 3e D touchait à sa fin. Les derniers tirs résonnaient doucement dans le gymnase, ponctués par le bruissement des arcs et les rires étouffés. Virginie ramassait distraitement les protège-bras, l’esprit ailleurs. Sa dispute avec Marie lui collait à la peau, comme une tension dans les muscles qu’aucun étirement n’aurait pu apaiser.
— Madame ?
Elle releva la tête. Léa, Samy et Yanis s’étaient approchés, l’air sérieux, mais sans gêne.
— On peut vous parler, deux minutes ? demanda Léa, en jetant un coup d’œil vers les autres élèves qui commençaient à ranger.
Virginie hocha la tête, intriguée. Ils échangèrent un regard, et Samy lança :
— En fait… on a entendu les rumeurs. Et on voulait juste vous dire qu’on s’en fout.
Yanis acquiesça :
— Grave. Madame Leblanc et Madame Leblanc, on avait compris depuis longtemps. C’est pas un scoop, hein.
— Franchement, continua Léa avec un petit sourire, on vous aime bien toutes les deux. Vous êtes nos profs préférées. Même si, bon… vous, vous êtes plus fun, vous rigolez plus avec nous.
Virginie laissa échapper un rire, un peu surpris, un peu ému.
— Merci… c’est gentil.
À ce moment-là, Jade, au fond de la salle, s’approcha à son tour :
— C’est vrai. Nous, on s’en fout de qui vous aimez. Ce qui compte, c’est comment vous nous traitez. Et vous êtes cool.
Puis ce fut au tour d’Inès, puis de Maël, puis de plusieurs autres élèves de venir les entourer.
— Vous êtes toujours là pour nous.
— Vous nous parlez comme si on comptait.
— Et puis franchement, vous allez trop bien ensemble, dit Yanis, un peu plus bas, comme si c’était une confidence.
Elle sentit sa gorge se nouer. Ce n’était pas juste des mots. C’était une vague. Une petite révolution d’empathie.
Un truc dans sa poitrine s’effondra doucement. Comme un mur qu’on n’avait plus besoin de tenir debout.
Elle les regarda un à un, la voix tremblante.
— Je... vous vous rendez pas compte à quel point ça me touche. Merci. Merci à tous.
Un silence doux s’installa, complice. Puis Samy, toujours aussi cash, conclut :
— Et si vous pouviez arrêter de vous faire la gueule avec Madame Leblanc, ce serait cool aussi. Parce qu’on aime bien quand vous êtes de bonne humeur, tous les deux. Enfin... toutes les deux.
Des rires s’élevèrent dans le groupe. Virginie sourit, cette fois vraiment. Elle sentit quelque chose en elle se délier.
Le soir, en rentrant du collège, Virginie n’avait plus qu’une seule pensée en tête : sauver son couple.
Quand elle poussa la porte, une douce odeur de légumes sautés flottait dans l’air. Marie était en train de cuisiner, concentrée sur sa poêle, les manches retroussées, les cheveux attachés. Virginie la regarda un instant en silence, le cœur battant, les yeux pleins d’amour. Comment avait-elle pu penser une seule seconde vivre sans elle ?
Marie sursauta en se retournant, surprise.
— Ça fait longtemps que tu es là ? demanda-t-elle en essuyant ses mains sur un torchon.
— Assez pour me rappeler à quel point je t’aime, répondit Virginie en s’approchant.
— Tu m’en veux pas, alors ? souffla Marie, la voix tremblante, les yeux brillants.
Virginie prit doucement son visage entre ses mains, l’effleura d’un baiser tendre, plein de tout ce qu’elles n’avaient pas su se dire.
— Non, je t’en veux pas, murmura-t-elle. Mais on se dispute plus comme ça. D’accord ?
Marie hocha la tête, un sourire timide au coin des lèvres.
— Promis.
Un peu plus tard, le repas terminé, la vaisselle laissée pour plus tard, elles s’étaient retrouvées dans le salon. La lumière était tamisée, la télé murmurait des images qu’aucune ne regardait vraiment. Elles étaient assises, l’une contre l’autre, sur le canapé, enroulées dans le même plaid, leurs respirations calées doucement.
Virginie jouait distraitement avec les doigts de Marie, traçait des cercles, effleurait les phalanges comme on relit une lettre précieuse. Comme si elle voulait graver à nouveau chaque détail.
— Tu sais, ça m’a manqué, murmura-t-elle.
Elle leva la main de Marie à ses lèvres, y déposa un baiser presque timide, puis la garda contre elle. Elle laissa ses doigts remonter doucement le long de son bras, effleurer l’épaule, puis le creux du cou.
— Toi aussi, tu m’as manqué, répondit Marie dans un souffle, presque contre sa bouche.
Leurs visages se rapprochèrent, et elles s’embrassèrent lentement. Un baiser tendre, un peu tremblant. Pas celui de la passion, non. Celui de la réconciliation. Celui qui dit « je t’aime encore », même après la tempête.
Front contre front, elles restèrent ainsi, les yeux mi-clos.
— On va y arriver, dit Marie doucement.
— Oui, souffla Virginie. Ensemble. Elle enfouit son visage dans le cou de Marie. Ce soir-là, rien d’autre ne comptait.