Clémence
Vendredi après-midi.
Quatre jours.
Ça fait quatre jours que je me morfonds dans cette chambre, incapable de faire face au monde extérieur.
Quatre jours que je repasse en boucle cette soirée, cette vision qui me hante dès que je ferme les yeux. Aurélie et Théodore. Eux deux, ensemble.
J’ai l’impression d’être coupée du monde, enfermée dans une bulle qui m’étouffe autant qu’elle me protège. Mon téléphone est posé à côté de moi, l’écran éteint, mais je sais qu’il est rempli de messages.
Gabriel a essayé de nombreuses fois de me contacter au début. Ses messages étaient insistants lundi et mardi. Puis mercredi soir, plus rien.
Aurélie, en revanche…
Elle me spamme littéralement.
D’abord, elle s’est excusée. Encore et encore.
Puis elle a essayé de me convaincre de lui parler.
Et maintenant ? Maintenant, elle me dit que Théodore est bien plus heureux avec elle.
Quelle connasse.
J’éteins mon téléphone d’un geste brusque et le balance sur le matelas.
- Encore en train de te torturer l’esprit ?
Je relève la tête. Manon est debout devant la porte, une assiette dans les mains et cet air bienveillant qu’elle affiche presque tout le temps.
Sans elle, je ne serais même pas capable de dire si on est vendredi ou mercredi.
Elle me ramène à manger, elle me force à parler au moins un peu chaque soir, et même si je ne le dis pas… ça me fait du bien.
- Tiens, mange.
Elle pose l’assiette devant moi et croise les bras.
- Et pas d’excuse bidon, Clémence. Sinon je t’oblige à avaler une cuillère entière de Nutella à la place.
Je la fixe, un sourcil haussé.
- C’est censé être une punition ?
Elle rigole.
- Bonne question.
Je pousse un soupir et prends l’assiette. Elle a raison. Si elle ne me nourrissait pas, je crois que j’oublierais simplement de manger
Elle s’approche et s’assoit sur le lit en face de moi.
- J’ai quelque chose à te dire.
Je fronce les sourcils.
- Quoi ?
Elle prend une grande inspiration.
- Les garçons sont là.
Mon cœur rate un battement.
- Quoi ?!
- Ils s’inquiètent comme des fous, Clem. Je pouvais pas les laisser comme ça.
Je serre les poings, et mon premier réflexe est de vouloir dire non.
Mais au fond… ils me manquent.
Alors je ferme les yeux un instant et prends une grande inspiration.
- Fais-les entrer.
Manon sourit, comme si elle savait déjà que j’allais dire oui.
Elle se lève et ouvre la porte.
- Bon, qui passe en premier ?
À peine la question posée, Julien et Léo se bousculent dans l’encadrement, essayant de rentrer en même temps.
- Dégage, c’est moi qui rentre en premier ! lâche Julien.
- Tu rêves ! rétorque Léo en le poussant du coude.
- C’est moi qui l’ai vue en dernier, c’est mon tour !
- Pff, excuse bidon, t’as même pas de tour !
Je les regarde, sidérée, alors que Manon les observe avec un petit sourire moqueur.
- Vous êtes irrécupérables…
Finalement, Gabriel les pousse légèrement pour mettre fin à leur dispute.
- Allez, avancez au lieu de faire les gamins.
Ils entrent enfin, et dès que Gabriel passe la porte, il regarde Manon et lâche un simple :
- Merci, petite sœur.
Je me fige.
Pardon ?
Je tourne la tête vers Manon, complètement perdue.
Elle me lance un regard entendu et dit simplement :
- Je t’expliquerai plus tard.
Quoi ?!
Mais je n’ai pas le temps de poser de questions, parce que Julien et Léo se jettent presque sur moi.
- Putain, Clem, tu nous as fait flipper !
- On était à ça de placarder ta tête sur des affiches "recherche personne disparue".
Je ris doucement, malgré moi. Ils n’ont pas changé.
Ils s’installent autour de moi, et pendant quelques minutes, ils font tout pour me faire rire.
Mais très vite, le ton change.
Gabriel s’installe en face de moi, plus sérieux.
- Tu peux nous expliquer ?
Je prends une grande inspiration.
- Bah… quand je suis sortie de la maison lundi soir, j’ai filé direct à notre chambre étudiante.
Je marque une pause et ferme les yeux un instant.
C’est difficile de le dire à voix haute.
- Quand j’ai ouvert la porte… Je déglutis. Il était là. Sur mon lit. En train de coucher avec Aurélie.
Un silence de plomb tombe dans la pièce.
Je sens les mâchoires de Gabriel se crisper.
Julien, lui, a l’air de digérer l’information avec difficulté.
Léo se frotte le visage avec agacement.
Je reprends, la voix un peu tremblante :
- J’avais trop honte de revenir vous voir… Surtout après avoir défendu cette…
Je m’interromps avant de dire une insulte.
Mais Manon, elle, n’a aucune retenue.
- Cette Auripute, tu veux dire ?
Un sourire en coin apparaît sur mes lèvres, malgré moi.
- Exactement, d'ailleurs merci de m’avoir accueillie.
Manon hausse les épaules, satisfaite.
- C’est normal, c’est comme ça entre copines. Pas comme elle.
Je reprends après un instant de silence.
- J’ai filé à l’administration pour qu’on m’attribue une nouvelle chambre… et voilà.
Je baisse les yeux.
- J’ai rencontré Manon qui m’a beaucoup aidée. Sans elle, je ne serais pas en vie, je pense.
Manon lève les yeux au ciel.
- T’abuse.
Je secoue la tête.
- Non.
Un silence s’installe, jusqu’à ce que Gabriel brise l’ambiance pesante.
- Tu n’aurais jamais dû avoir honte, Clem.
Julien hoche la tête.
- On s’en fout que t’aies défendu cette… Auripute. J’aime bien se nom.
Léo renchérit :
- Il est incroyable bien trouver mini Gab
- Ce qui compte, c’est que tu saches qu’on était là pour toi. Que tu pouvais rentrer à la maison sans problème. Ajoute Julien.
Je prends une profonde inspiration.
- Je sais.
Je fixe Gabriel et me sens obligée de m’excuser.
- Je suis désolée.
Il fronce légèrement les sourcils.
- Pourquoi ?
- De ne pas t’avoir cru. Je baisse les yeux. De ne pas avoir répondu à tes messages et appels. J’avais juste… besoin de temps pour encaisser tout ça.
Gabriel me regarde un instant avant de secouer doucement la tête.
- T’as pas à t’excuser, Clem.
Julien passe un bras autour de mes épaules et me serre brièvement contre lui.
- L’essentiel, c’est que tu sois là.
Léo sourit.
- Et que tu sois toujours vivante.
Gabriel hoche la tête.
- Et maintenant qu’on t’a retrouvée, t’as intérêt à revenir à l’appart, parce que sans toi, c’est le bordel.
Je souris faiblement.
Pour la première fois depuis lundi soir, je ressens quelque chose qui ressemble à de l’apaisement.
Les garçons finissent par proposer soirée pizza à la maison et bien sur Manon est invité
L’ambiance est légèrement plus détendue lorsque nous arrivons chez les garçons.
Léo et Julien se battent pour choisir la pizza, Gabriel est en train de préparer des bières et des sodas, et Manon se fait déjà une place sur le canapé, comme si elle était chez elle.
Je l’observe du coin de l’œil.
Depuis que Gabriel l’a appelée “petite sœur”, un truc me travaille.
Alors, pendant que les pizzas sont commandées et que les garçons sont occupés à se chamailler, je m’approche d’elle.
- Tu m’expliques ?
Manon lève les yeux vers moi, un sourire en coin.
- Expliquer quoi ?
Je croise les bras.
- Pourquoi Gabriel t’a appelée “petite sœur” tout à l’heure.
Elle rigole doucement, comme si elle attendait la question.
- Ah, ça.
Elle se redresse légèrement et me fait signe de m’asseoir à côté d’elle.
- On est demi-frère et sœur.
Je cligne des yeux.
- Quoi ?
- On a la même mère, mais pas le même père.
- Oh.
Ça fait beaucoup d’informations d’un coup.
Manon s’étire et hausse les épaules.
- J’évite de le dire.
- Pourquoi ?
Elle esquisse un sourire malicieux.
- Parce que j’aime bien être tranquille. Si tout le monde savait que je suis la sœur de Gabriel, on m’associerait à lui tout le temps.
Elle se penche légèrement vers moi et ajoute, moqueuse :
- Et franchement, avoir ce boulet accroché à mon image, non merci.
- Je t’entends, Manon, grogne Gabriel depuis la cuisine.
Manon explose de rire, et moi aussi.
- T’as vraiment pas de respect, commente Léo en venant s’installer avec une bière.
- Aucun, confirme Manon en haussant les épaules.
Puis elle se tourne vers moi, un sourire en coin.
- Mais tu veux que je te raconte des trucs sur Gabriel gamin ?
Je hausse un sourcil, intéressée.
- Totalement.
Léo hoche frénétiquement la tête.
- Moi aussi, je veux tout savoir.
Manon rit et commence à enchaîner les anecdotes.
- Déjà, faut savoir qu’il était insupportable quand il était petit. Une vraie pile électrique. Un jour, il a essayé de faire du toboggan sur l’escalier avec un matelas… Résultat, il s’est explosé la tête contre le mur.
- Et t’as survécu ? demande Léo, captivé.
- Apparemment, oui, grogne Gabriel.
- Oh, et y’a eu cette période où il était obsédé par les dinosaures.
Léo ouvre grand les yeux.
- T’aimes les dinosaures, Gab ?
Gabriel pousse un long soupir.
- Je vais te tuer, Manon.
- Il avait un déguisement de T-Rex, et il refusait d’enlever la queue pendant des jours !
Julien s’écroule de rire, et Léo le suit immédiatement.
- Putain, pourquoi on n’a jamais su ça ?!
- Parce que c’est pas important ! grogne Gabriel.
- Si, ça l’est, rétorque Julien en riant.
Je ris doucement en voyant Gabriel cacher son visage dans ses mains.
À ce moment-là, la sonnette de l’appartement retentit.
- Les pizzas ! s’exclame Léo en sautant sur ses pieds.
Julien lui emboîte le pas et, en moins de dix secondes, ils se battent déjà pour savoir qui va ouvrir.
- Lâche-moi, connard, c’est moi qui ai commandé ! râle Julien en essayant de pousser Léo.
- Tu mens, c’est moi qui ai donné l’adresse !
- Ça change quoi ?!
Gabriel soupire et les pousse tous les deux sur le côté pour ouvrir lui-même.
- Bande d’abrutis…
Le livreur les observe avec un mélange de pitié et d’amusement, puis tend les cartons de pizza à Gabriel.
- Bonne soirée… Et bon courage.
Gabriel hoche la tête en sortant un billet, puis referme la porte.
- OK, maintenant, vous arrêtez vos conneries et vous bouffez, grogne-t-il.
- C’est lui qui a commencé, marmonne Julien.
- Ferme-la, rétorque Léo.
Ils retournent s’asseoir en ricanant, et Gabriel pose les cartons fumants sur la table basse.
- À table, annonce-t-il en ouvrant une boîte.
- Bon, on continue les anecdotes ou pas ? demande Manon en attrapant une part.
Léo hoche la tête vigoureusement en enfournant une bouchée.
- Oh, carrément.
Manon continue donc de balancer des souvenirs, et bientôt, l’ambiance devient presque normale.
Jusqu’à ce que Manon change complètement de sujet.
- Bon, les garçons, vous êtes prêts pour demain ?
Gabriel relève la tête.
- Évidemment.
- Prêts à écraser l’équipe adverse ? insiste-t-elle.
Julien affiche un grand sourire et tape dans ses mains.
- Oui, parce qu’on a retrouvé notre petite sœur de cœur.
Je le regarde, touchée par ses mots.
Puis je fronce légèrement les sourcils.
- Attendez… Quel match ?
Manon m’observe avec un petit sourire.
- C’est un des matchs les plus attendus de la saison.
- Parce que l’équipe d’en face est vraiment forte ?
- Exactement.
Léo hoche la tête.
- C’est le match décisif. Si on gagne, c’est énorme.
- Et s’ils gagnent ?
Manon fait une grimace.
- Ils vont nous le faire payer pendant des mois.
Julien s’étire et ajoute :
- Et si on gagne, grosse soirée ici.
Manon me regarde.
- Mais si t’as pas envie, tu peux toujours dormir sur le campus.
Je prends un instant pour réfléchir.
- Je verrai bien comment je me sens.
Manon hoche la tête.
- Et tu viens voir le match ?
Je la regarde comme si la question était idiote.
- Évidemment.
Elle sourit.
- Même si tu comprends rien aux règles ?
- Je capte quelques trucs. Puis j’ai une bonne prof.
Léo ricane.
- T’en fais pas, on t’expliquera.
Je souris doucement, en me disant que, peut-être, tout n’est pas totalement foutu.
Un rayon de lumière traverse les rideaux légèrement entrouverts, caressant mon visage et me tirant lentement du sommeil.
Je gémis faiblement, enfonçant ma tête un peu plus dans mon oreiller, bien décidée à ignorer la réalité un peu plus longtemps.
Mais une présence dans la chambre me ramène rapidement à l’instant présent.
J’ouvre un œil, puis l’autre, découvrant Manon assise en tailleur sur mon lit, absorbée par son téléphone.
Elle relève la tête et me fixe avec un air faussement sérieux.
- C’est flippant à quel point ta chambre est rangée.
Je cligne des yeux, encore engourdie par le sommeil.
- Hein ?
Elle désigne l’ensemble de la pièce d’un geste vague.
- C’est nickel. Pas un seul vêtement qui traîne. Les draps sont bien bordés. Les bouquins sont alignés sur l’étagère. On dirait une chambre témoin.
Je laisse échapper un petit rire, amusée.
- Je suis peut-être bordélique dans les parties communes, mais ici, c’est mon sanctuaire.
- Même pas un t-shirt qui traîne. Tu vis vraiment avec les gars ?
- Et oui.
Elle hausse un sourcil, impressionnée.
- Respect.
Elle pose son téléphone sur le matelas et s’étire longuement, les bras levés au-dessus de sa tête, avant de se laisser tomber en arrière sur le lit avec un soupir exagéré.
- Bon, allez, debout. Journée chargée aujourd’hui.
Je roule sur le côté, enfouissant mon visage dans l’oreiller.
- Laisse-moi cinq minutes…
- Nope. Si moi je me lève, toi aussi.
Avant que j’aie le temps de réagir, elle attrape la couverture et l’arrache d’un coup sec.
Un frisson glacial parcourt instantanément mon corps, et je pousse un cri outré en me recroquevillant sur moi-même.
- T’ES UNE PSYCHOPATHE !
Manon éclate de rire, visiblement ravie de son coup.
- Allez, bouge, petite chose fragile !
Je m’agrippe vainement à un oreiller, essayant de le tirer sur moi pour me couvrir, mais elle m’attrape la cheville et me secoue légèrement pour m’empêcher de sombrer de nouveau.
- Manoooon, c’est criminel de réveiller quelqu’un comme ça…
Elle hausse les épaules, sans aucun remords.
- C’est criminel de rester au lit alors qu’une grosse journée nous attend.
Je grommelle, mais je finis par capituler, me redressant en m’étirant moi aussi.
- C’est bon, c’est bon… je me lève.
- Voilà qui est mieux, dit-elle avec un sourire satisfait avant de se jeter en arrière sur le lit en soupirant dramatiquement.
Je lève les yeux au ciel.
- Tu me forces à me lever, mais toi, tu t’allonges ?
- Faut bien que quelqu’un teste la qualité du matelas, non ?
Je rire doucement, amusée malgré tout.
- T’es un cas, toi.
Elle m’offre un sourire malicieux.
- Et t’as pas fini de le découvrir.
Au lieu de rester a la maison, on décide d’aller prendre l’air ailleurs.
Manon propose d’aller se promener autour d’un lac à quelques kilomètres de là, et j’accepte sans hésiter.
Ça fait des jours que je suis enfermée, et j’ai besoin de voir autre chose que les murs de ma chambre ou le visage inquiet de mes amis.
On marche tranquillement le long du sentier, les chaussures crissant sur les cailloux, profitant du calme et du chant des oiseaux.
Le soleil brille, mais l’air reste frais, apportant une sensation de renouveau.
- T’étais une sportive avant d’entrer dans le faux couple avec Gabriel ? demande Manon en me lançant un regard curieux.
Je hausse les épaules.
- Je faisais du sport, ouais. Pas aussi intense que les gars avec le hockey, mais j’aime bien bouger.
Elle hoche la tête.
- T’as l’air du genre à supporter l’équipe avec un chocolat chaud plutôt qu’avec un casque et une crosse.
Je ris doucement.
- T’as pas tort.
Après une bonne demi-heure de marche, on s’arrête dans un petit café en terrasse, donnant sur le lac.
L’endroit est chaleureux, avec ses petites tables en bois et ses guirlandes lumineuses suspendues entre les arbres.
On passe commande (un cappuccino pour Manon, un latte caramel pour moi) et on s’installe près de l’eau.
Le moment est paisible. Pour la première fois depuis une éternité, je me sens bien.
Pas totalement guérie. Mais moins oppressée.
Après notre pause café, Manon décide que ce n’est pas une simple soirée hockey.
Non, c’est un événement.
- On va pas y aller habillées n’importe comment, faut marquer le coup !
- Tu veux qu’on mette quoi ? Des robes de gala ? je me moque.
Elle plisse les yeux.
- Ne me tente pas.
Je roule des yeux, mais je la laisse m’entraîner dans un après-midi shopping.
Une fois rentrées dans ma chambre, on balance nos sacs sur mon lit et on en sort tout notre butin de l’après-midi :
Au programme :
✔ Maillots aux couleurs de l’équipe.
✔ Peinture pour le visage.
✔ Écharpes et accessoires assortis.
- T’as intérêt à afficher fièrement les couleurs de l’équipe, Clémence, sinon je te déshérite ! s’exclame Manon en me tendant un pinceau de maquillage.
- T’es pas ma mère.
- Dommage pour toi.
Je ris, amusée par son enthousiasme.
Manon croise les bras, un sourire satisfait sur le visage.
Je lève un sourcil en regardant le bazar qui s’étale sur mes draps.
- Tu prends ça bien trop au sérieux.
Elle hoche vigoureusement la tête.
- Évidemment ! Tu crois quoi ? C’est LE match de la saison, faut qu’on soit au max.
Elle s’assoit sur le bord du lit et commence à ouvrir les petits pots de peinture.
- T’as confiance en mes talents d’artiste ? demande-t-elle en sortant un pinceau.
- J’ai pas trop le choix, on dirait.
Elle rit et commence à se peindre les joues avec soin.
Sur la droite, elle trace le numéro de Gabriel. Sur la gauche, celui de Léo.
Je l’observe faire, amusée par sa concentration.
- T’as l’air d’une guerrière qui se prépare pour la bataille.
- C’est un peu ça.
Elle me tend le pinceau avec un regard déterminé.
- À ton tour.
Je prends le pinceau et trempe la pointe dans la peinture verte avant de tracer soigneusement :
Le numéro de Julien sur ma joue droite. Celui de Gabriel sur ma joue gauche.
Manon prend du recul pour admirer mon œuvre et hoche la tête, satisfaite.
- Stylé ! On est prêtes.
Elle se tourne ensuite vers les maillots.
- T’as pris lequel ?
Je farfouille dans l’armoire et en sors un maillot que je connais bien.
Celui que Gabriel m’a donné quand je suis venue voir un match de hockey pour la première fois.
Je le déplie doucement, les doigts glissant sur le tissu, et un sourire nostalgique étire mes lèvres.
- Celui-là.
Manon lève un sourcil.
- C’est pas celui que Gabriel t’a donné ?
- Si.
Elle me dévisage un instant, puis son sourire s’adoucit.
- J’adore.
J’enfile le maillot, et une sensation étrange me traverse.
Comme si je retrouvais une partie de moi-même que j’avais laissée de côté ces derniers jours.
Manon tire son téléphone et nous prend en selfie.
- T’as vu comme on est canons ?
Je ris doucement, regardant la photo.
Ouais. Pour la première fois depuis des jours, je me sens bien.
Prête à passer une vraie soirée, entourée de mes amis.
Trois heures après les garçons, nous arrivons au stade, vêtues des maillots de l’équipe, les visages peints aux couleurs de leurs numéros.
- Ça leur fera plaisir, assure Manon.
- J’espère bien, vu le temps que t’as mis à me convaincre.
On entre dans les gradins, et je ressens immédiatement l’excitation générale.
Les supporters crient déjà, et l’ambiance est électrique.
Je scanne la patinoire, et mon regard s’arrête immédiatement sur les gars en plein échauffement.
Gabriel fait des allers-retours rapides sur la glace, concentré.
Julien et Léo sont en pleine discussion avec le coach, hochant la tête à ses consignes.
- C’est parti.
Le coup d’envoi est donné.
Dès les premières secondes, l’intensité monte d’un cran.
Les patins fendent la glace dans un crissement métallique, les épaules s’entrechoquent violemment, et le palet fuse d’une crosse à l’autre à une vitesse effrayante. Chaque passe est précise, chirurgicale, et on sent que l’équipe adverse est là pour gagner.
- Putain, ils sont bons, murmure Manon, les yeux rivés sur le jeu.
Moi, je ne décroche pas mon regard de la patinoire.
Notre équipe se défend bien, mais le premier but est encaissé.
- Merde, grogne Manon.
Mais les gars ne lâchent rien.
Gabriel récupère un palet, le fait glisser à Léo, qui le passe à Julien.
Et on met notre premier goal aussi.
Je connaissais déjà le niveau de notre équipe, mais là… c’est un combat acharné.
Gabriel et Léo sont en défense, multipliant les interceptions et les relances, mais les adversaires ne lâchent rien. Julien, en attaque, tente de trouver une ouverture, mais la pression est constante.
Et puis, ça arrive.
Une ouverture. Une fraction de seconde.
Gabriel récupère le palet en pleine zone défensive, le fait glisser vers Léo, qui fonce avant de le décaler sur Julien.
- Allez, allez ! s’exclame Manon, les poings serrés.
Julien accélère, évite un premier défenseur, puis un deuxième, il se rapproche du but, il vise…
BAM.
Un défenseur adverse le percute violemment contre la vitre.
Le choc résonne dans tout le stade.
Mon souffle se coupe.
Julien grimace, s’effondre sur la glace et reste là, immobile pendant quelques secondes.
- Il va bien ?! s’inquiète Manon à côté de moi, la voix tendue.
Autour de nous, les spectateurs murmurent, certains se lèvent, attendant une réaction.
L’arbitre siffle, mais Julien secoue la tête, inspirant profondément avant de se redresser sur ses patins.
Un tonnerre d’applaudissements secoue les gradins.
Manon relâche un soupir nerveux.
- Putain, ils sont tarés…
Moi, mon cœur bat encore trop vite.
Julien retourne sur le banc quelques instants avant de secouer son bras en grimaçant et d’indiquer qu’il est prêt à repartir.
Léo lui tape le casque, Gabriel lui lance un regard inquiet, mais rien ne les arrête.
Le match continue.
Les minutes défilent.
Les corps s’épuisent.
Les actions s’enchaînent à un rythme effréné, les joueurs donnent tout ce qu’ils ont, et pourtant, le score ne bouge pas.
2-2.
Il reste deux minutes.
Dans les gradins, le silence est électrique.
Tout le monde retient son souffle.
Puis, tout bascule.
Gabriel intercepte un palet en pleine zone défensive, patine à toute vitesse en évitant deux adversaires.
- Vas-y, Gab, vas-y ! hurle Manon, accrochée à mon bras.
Il feinte un joueur, pousse le palet du bout de la crosse vers Léo.
Léo lève la tête, prend une seconde pour ajuster son tir.
Il arme son bras.
Il frappe.
Le palet file droit vers la cage.
Le gardien se jette.
Il rate.
GOOOOOAL !
Le stade explose.
Des cris, des hurlements de joie, des klaxons, des bras qui s’agitent.
- YES ! hurle Manon en me secouant par les épaules, totalement hystérique.
Sur la glace, c’est la folie.
Gabriel saute sur Léo, le secoue avec un grand sourire.
Julien, malgré la douleur visible sur son visage, serre les poings et hurle sa victoire.
Les autres joueurs se jettent les uns sur les autres, formant une masse en liesse.
Je les regarde, un sourire sincère aux lèvres.
Ils l’ont fait.
Ils ont gagné.
Les portes des vestiaires s’ouvrent enfin, laissant s’échapper un nuage de vapeur, signe d’une douche bien méritée.
Gabriel, Léo et Julien sortent les premiers, les cheveux encore humides, les joues rougies par l’effort. Ils affichent un sourire éclatant, encore portés par l’adrénaline du match.
Manon siffle bruyamment, frappant dans ses mains.
- WOUHOUUU ! Les champions sont dans la place !
Je croise les bras, un sourire amusé sur les lèvres.
- J’avoue, c’était pas mal.
Julien pose une main sur son cœur, faussement blessé.
- Pas mal ? Tu plaisantes, j’espère ! C’était un match légendaire !
Gabriel rit en passant une main dans ses cheveux mouillés.
- En tout cas, c’est grâce à notre supporter club personnel.
Il désigne nos joues encore marquées par les numéros peints.
Léo hoche la tête, fier.
- Ouais, franchement, vous avez assuré.
- Tout comme vous, répond Manon en levant la main pour un high-five.
Les gars tapent dedans un à un, avant que Gabriel ne se tourne vers moi.
- Bon, du coup, tu viens à la fête ?
Je mords ma lèvre, hésitante.
Il sait que je n’aime pas trop ce genre de soirées.
- Si t’as pas envie, t’es pas obligée, intervient Léo, compréhensif. — Tu peux rentrer sur le campus, on comprend.
- Ouais, fais comme tu le sens, ajoute Julien en haussant les épaules.
Gabriel hoche la tête.
- On veut juste que tu saches que t’es toujours la bienvenue.
Je leur offre un petit sourire, reconnaissante.
- Je… je vais y réfléchir.
Ils n’insistent pas.
- Dans tous les cas, on file préparer la maison, annonce Gabriel.
- Et surtout, on va fermer les chambres à clé, rajoute Léo avec un regard appuyé.
Manon pouffe de rire.
- Ah, les gars, vous êtes traumatisés !
- On se méfie, c’est tout, réplique Julien en haussant un sourcil.
Ils nous font un dernier signe avant de partir, nous laissant seules devant le vestiaire.
Manon se tourne vers moi, une lueur malicieuse dans les yeux.
- Bon, alors, tu viens ou pas ?
Je soupire.
- Je suppose que j’ai pas trop le choix.
Elle clape des mains, ravie.
- C’est la bonne réponse ! Allez, viens, on va te préparer.
Dès que nous entrons dans sa chambre, Manon ouvre son armoire avec fracas, bien décidée à me transformer pour la soirée. Elle commence à fouiller frénétiquement, jetant des vêtements sur son lit tout en marmonnant pour elle-même.
- Non… trop sage… trop sexy… trop pyjama… Ah ! Ça, c’est parfait !
Elle se redresse, triomphante, et me tend un haut moulant noir avec un col légèrement carré qui mettrait sans doute mon décolleté en valeur, ainsi qu’une jupe en jean délavée, légèrement fendue sur le côté.
Je l’attrape avec une moue sceptique.
- C’est un peu court, non ?
Manon roule des yeux, exaspérée.
- Justement ! T’es canon, autant que ça se voie !
Elle reprend ses fouilles et m’envoie ensuite une paire de bottines noires à talons épais.
- Avec ça, t’auras des jambes de mannequin.
Je soupire, mais je ne proteste pas. Après tout, presque toutes mes affaires sont encore chez les gars, et puis, Manon sait ce qu’elle fait en matière de mode.
Tandis qu’elle farfouille encore, je jette un coup d’œil à sa tenue. Elle a enfilé un jean taille haute noir, près du corps, et un petit top blanc en dentelle, à la fois classe et décontracté. Ses cheveux sont relevés en un chignon décoiffé parfait, avec quelques mèches qui encadrent son visage. Son style est simple, mais il lui va à la perfection.
Je baisse les yeux sur mes propres vêtements, hésitante, mais elle me claque les mains ensemble pour capter mon attention.
- Allez, transformation time !
Après m’être changée, Manon me traîne devant son miroir et attrape sa trousse de maquillage.
- Bon, on va rester soft, mais quand même, un petit glow ne fera pas de mal.
- Bah, c’est gentil. Merci.
Elle commence par appliquer une fine couche de fond de teint, puis un peu de blush sur mes joues. Ensuite, elle s’attaque à mes yeux, traçant un léger trait d’eyeliner pour allonger mon regard, et termine avec un rouge à lèvres nude.
- Regarde-moi ça, un vrai canon, commente-t-elle en reculant pour admirer son travail.
Je me regarde dans le miroir. C’est subtil, mais ça change tout.
- T’es une magicienne, je murmure.
- Toujours.
Elle attrape ensuite un fer à boucler et commence à onduler légèrement mes cheveux, leur donnant un effet coiffé-décoiffé hyper naturel.
- Et voilà, prêt à faire tomber des cœurs.
Je lève les yeux au ciel, mais au fond, son enthousiasme me fait sourire.
Ce soir, je vais essayer de lâcher prise.