Loading...
Link copied
Loading...
Loading...
Mark all as read
You have no notification
Original
Fanfiction
Trending tags

Log In

or
@
Adepagter
Share the book

32 : Au bord du vide

Gabriel

Le matin est déjà bien entamé quand je me réveille, mais quelque chose cloche. Je tourne la tête vers l’autre côté du lit, et l’absence de chaleur me rappelle que Clémence n’a pas dormi ici cette nuit. C’est moi qui ai pris cette décision, et pourtant, un sentiment de manque désagréable me pèse sur la poitrine.

Pourquoi est-ce que j’ai autant besoin d’être près d’elle ?

Je pousse un soupir en passant une main sur mon visage avant de me lever. J’attrape un t-shirt au hasard, l’enfile rapidement et descends rejoindre les autres.

Dans la cuisine, Clémence est déjà là, assise sur une chaise haute, une tasse de café entre les mains. Ses cheveux tombent en cascade sur ses épaules et elle semble légèrement ailleurs, les yeux fixés sur sa tasse.

- Mal dormi ? je demande en attrapant une tasse à mon tour.

Elle sursaute légèrement avant de tourner la tête vers moi, esquissant un petit sourire.

- Ça va, juste… j’ai eu du mal à m’endormir.

Je hoche la tête en me servant du café. Son absence dans mon lit m’a perturbé, alors j’imagine que de son côté, ça a dû être pareil. Mais je garde ça pour moi.

Léo débarque dans la cuisine, encore à moitié endormi, les cheveux en bataille. Il se laisse tomber sur une chaise en grognant quelque chose d’incompréhensible avant de prendre son bol de céréales.

- T’as prévu de parler en humain, ou on doit attendre une traduction ? demande Clémence en arquant un sourcil.

Léo lui adresse un regard noir avant de fourrer une cuillère de céréales dans sa bouche.

- J’ai pas envie d’aller en cours, finit-il par articuler.

Julien, qui vient d’arriver à son tour, lui donne une tape derrière la tête.

- T’as jamais envie d’y aller, alors bouge-toi.

Clémence et moi échangeons un regard amusé avant de finir nos cafés et de nous préparer pour partir.

Une fois arrivés à l’université, on prend chacun notre chemin, Clémence partant de son côté pour rejoindre ses propres cours. Je la regarde s’éloigner sans pouvoir m’en empêcher, une sensation étrange au creux de l’estomac.

C’est ridicule.

Léo et Julien, eux, sont avec moi dans l’amphi. Je m’installe au fond, essayant de me concentrer sur le cours, mais mes pensées dérivent malgré moi.

Je repense à la veille, à Clémence blottie contre moi, sa respiration calme et régulière contre mon torse. Je me souviens de la chaleur de son corps, du poids léger de sa main sur ma peau, de cette sensation d’apaisement qui m’avait envahi malgré moi.

Et c’est précisément pour ça que j’ai pris mes distances.

Parce que ce n’est pas normal d’avoir autant besoin de quelqu’un. Ce n’est pas normal que son absence dans mon lit cette nuit m’ait dérangé au point de me retourner mille fois, incapable de trouver le sommeil.

J’essaie de me concentrer sur le cours, de fixer les équations que le prof note au tableau, mais rien ne rentre. Mon stylo tourne entre mes doigts, ma jambe s’agite nerveusement sous la table. Il faut que j’arrête d’y penser.

Il faut que je prenne de la distance.

- Mec, t’écoutes ?

Je sursaute légèrement en entendant la voix de Julien et tourne la tête vers lui. Il me fixe avec un mélange d’amusement et d’exaspération, les bras croisés.

- Hm ?

- Je disais que le prof nous a donné un travail de groupe à faire pour la semaine prochaine. On le fait ensemble ?

- Ah, ouais, bien sûr.

Julien me dévisage un instant avant de hausser un sourcil.

- T’es sûr que ça va, toi ?

- Oui, pourquoi ?

- Je sais pas, t’as l’air… ailleurs.

Avant que je puisse répondre, Léo, qui n’a clairement pas raté une miette de la conversation, se penche vers moi avec un sourire en coin.

- Mec, t’as l’air ailleurs.

Je serre la mâchoire.

- Ferme-la, Léo.

Mais évidemment, il ne m’écoute pas.

- Ah ouais ? Et si je te dis "Clémence" ?

Mon regard devient immédiatement noir, mais ça ne fait qu’amplifier son sourire provocateur.

- J’ai touché un point sensible, on dirait, commente-t-il en ricanant.

- T’es relou, sérieux, je lâche en reportant mon attention sur mon cahier, comme si ce que je griffonnais avait la moindre importance.

Léo secoue la tête, toujours hilare.

- T’es tellement cramé, mec, lâche-t-il avant de se redresser et de retourner son attention vers le cours.

Je serre les dents.

C’est précisément pour ça que je dois arrêter. Pour ça que je dois la tenir à distance. Parce que tout le monde voit clair dans mon jeu. Parce que même moi, je ne peux plus me mentir.

Alors je fais tout pour me convaincre que c’était un moment hors du temps, une bulle qui a éclaté dès que le soleil s’est levé.

Et que je dois arrêter de vouloir y retourner.

La matinée passe lentement. Trop lentement. Et chaque fois que je laisse mon esprit dériver vers elle, je me force à détourner mon attention.

Clémence ne peut pas devenir mon point faible.

Quand arrive l’heure du déjeuner, on se retrouve tous ensemble à la cafétéria, un rituel bien rodé. Le brouhaha ambiant des étudiants, le bruit des plateaux qui s’entrechoquent, les rires qui fusent d’un peu partout… C’est toujours la même effervescence à cette heure-ci.

Je récupère mon plateau et me dirige vers notre table habituelle. Léo et Julien sont déjà en pleine discussion animée sur le dernier match de hockey. Ils parlent avec des grands gestes, comme si leur débat allait changer l’histoire du sport.

- Sérieux, t’as vu comment il a raté son tir en fin de match ? s’exclame Léo, outré.

- Mais il était sous pression, mec, tu peux pas lui en vouloir ! rétorque Julien en haussant les épaules.

- Sous pression ou pas, un pro ne rate pas ça !

Julien secoue la tête, exaspéré, et je soupire en posant mon plateau.

- Vous êtes vraiment insupportables quand vous vous y mettez, je lâche en m’asseyant.

Mais ils ne m’écoutent même pas.

Un bruit de plateau qu’on pose en face de moi attire mon attention. Clémence vient de s’installer, et son regard croise brièvement le mien. Un simple contact, fugace, mais suffisant pour que mon cœur rate un battement.

Merde.

Elle détourne les yeux pour attraper sa fourchette, et j’en profite pour jeter un coup d’œil vers Manon, qui s’est assise à côté de moi.

- Ils sont vraiment chiants quand ils s’y mettent, soupire-t-elle en désignant Léo et Julien d’un mouvement de tête.

Je souris en haussant les épaules.

- Tu t’y habitues avec le temps.

- Ou pas, marmonne-t-elle en piquant dans son assiette.

Pendant quelques instants, je me concentre sur mon propre plateau, évitant soigneusement de trop regarder Clémence. Mais c’est comme si mon corps était en alerte, comme si je sentais sa présence à chaque seconde.

Et puis, sa voix douce rompt mes pensées.

- Tu veux sortir un peu après les cours ?

Je relève les yeux vers elle, surpris. Elle joue distraitement avec son verre d’eau, mais son regard est fixé sur moi, attendant ma réponse.

Une part de moi sait que je devrais refuser. Que je devrais continuer à mettre cette foutue distance entre nous.

Mais les mots sortent avant que je puisse les retenir.

- Ouais, pourquoi pas.

Un sourire éclaire son visage, un sourire sincère et lumineux, et putain… je sens mon estomac se tordre.

Merde.

Je suis dans la merde.

Parce que, malgré tous mes efforts, malgré cette distance que j’essaie de mettre… une seule expression sur son visage suffit à tout faire voler en éclats.

La fin de matinée passe lentement, bien trop lentement à mon goût. À la cafétéria, Clémence m’a proposé de sortir après les cours. C’est con, mais une partie de moi s’éclaire instantanément à cette idée. Comme si mon cerveau et mon cœur étaient en guerre.

Mon cerveau me dit "Non, Gabriel. Garde tes distances. Reste rationnel."

Mais mon cœur me hurle "Dis oui, espèce d’abruti."

Et j’ai accepté sans vraiment réfléchir. 

Sauf que maintenant, je suis en plein cours, et mon cerveau analyse trop.

J’ai arrêté de compter combien de fois j’ai jeté un coup d’œil à l’horloge accrochée au mur. Trop, en tout cas. Le professeur continue d’écrire des formules compliquées au tableau, et moi, je suis assis là, l’esprit ailleurs.

- Gabriel ?

Je sursaute légèrement en entendant mon prénom. Tous les regards se tournent vers moi, et je vois le professeur me fixer d’un air interrogateur.

Merde.

- Oui ? je réponds en me redressant sur ma chaise.

Le prof lève un sourcil.

- Vous pouvez répéter ce que je viens de dire ?

Je serre la mâchoire.

Julien, assis à côté de moi, étouffe un rire. Ce con ne va même pas essayer de m’aider.

Je lance un regard discret à son cahier et vois quelques mots griffonnés en vitesse :

"Intégration, fonction, variable dépendante. Débrouille-toi."

Super. Merci du soutien.

Je me racle la gorge et tente une réponse hésitante :

- Euh… vous parliez des intégrales et des variables dépendantes ?

Le prof plisse les yeux, clairement pas convaincu.

- Et ?

Je suis foutu.

- Et… c’est important ? je tente, ce qui fait rire quelques élèves.

Le professeur soupire, visiblement blasé.

- Très bien, je vais considérer ça comme un "je n’écoutais pas". Essayez de vous concentrer, Gabriel.

Je hoche la tête, même si, honnêtement, c’est peine perdue.

Le cours reprend, et cette fois, je fais semblant de prendre des notes. Mais mon esprit est toujours en bataille.

Pourquoi est-ce que je ressens ce besoin d’être proche d’elle ?

Je serre mon stylo plus fort.

Ce n’est pas censé arriver.

Quand la sonnerie retentit enfin, je sors de la classe avec un soupir de soulagement. La matinée a été interminable, chaque minute étirée comme un élastique. En marchant dans le couloir, je vois Julien sortir derrière moi. Il affiche un sourire moqueur, comme si ça ne pouvait pas être autrement.

- T’étais complètement largué, mec.

Il n’y a même pas de filtre dans sa voix, il le dit sans aucun remord. Comme s'il s'en amusait réellement.

- Ta gueule, Julien.

Je le lance sur un ton sec, mais je sais que ça ne changera rien. Il adore me taquiner, surtout quand il sait que je suis en pleine déconnexion pendant les cours.

Il rit doucement, mais ne rajoute rien. Il sait aussi que je n’ai pas envie d’en parler. Le genre de sujet où il faut juste passer à autre chose. Mais bien sûr, ça ne l’empêche pas de me taquiner encore plus tard, je n'en doute pas.

Nous passons devant le hall d’entrée, où Léo nous attend déjà. Il nous rejoint, les mains dans les poches, l’air décontracté comme d’habitude. Il se penche un peu vers moi, l’air faussement sérieux.

- J’ai entendu dire que t’avais encore fait une masterclass en intégrales.

Il insiste sur « masterclass » avec un petit sourire satisfait. Je ne sais pas si c'est de l'humour ou une vraie moquerie, mais je me doute que c'est un peu des deux.

- Sérieux, vous avez un réseau d’information ou quoi ?

Je hausse les épaules en feignant l’indifférence, mais à l'intérieur, je suis un peu énervé. En gros, ils savent tout ce qui se passe dans ma vie, même mes petites catastrophes pendant les cours.

- Tu sous-estimes la rapidité des ragots à l’université.

Léo s’étire, un air amusé dans les yeux. Et il n’a pas tort. La faculté est un endroit où même les plus petites erreurs peuvent se retrouver amplifiées en quelques secondes.

Je lui donne un coup dans l’épaule, léger, juste pour lui montrer que je suis un peu agacé, mais je sais aussi qu'il ne va pas s'en formaliser. Léo adore quand on lui répond, ça l'amuse presque plus que quand il me taquine. Alors je me contente de lui offrir un regard peu convaincu tout en continuant à marcher.

- T’inquiètes, tu t’habitues.

Julien répond avec un sourire qui signifie clairement "je savais que ça allait arriver". Ils sont tous les deux trop sympas, là. Si je pouvais être invisible pendant ces moments, je le ferais bien.

Le trio se forme, mais nos pas ralentissent alors qu’on arrive à la porte de sortie. Là, je vois Clémence, debout, attendant patiemment à côté de Manon, son sac sur l’épaule. Elle me repère immédiatement et me sourit. Ce simple sourire, celui-là, il me fait toujours un peu fondre, même quand je veux faire genre que je m’en fous.

- Prêt ?

Elle me pose la question comme si ça ne voulait rien dire, mais je sais qu’il y a un sous-entendu derrière. Elle attend que je réponde, bien sûr, mais je vois bien la petite étincelle dans ses yeux. Une invitation discrète, un challenge silencieux.

Je hoche la tête en souriant, mes lèvres se tendant malgré moi. Il est difficile de résister à ce genre de charme naturel.

- Ouais, bien sûr. Je réponds sans hésiter.

On traîne un peu en ville, sans plan précis. C’est une habitude qu’on a prise depuis qu’elle est arrivée : se balader sans vraiment savoir où on va, juste profiter du moment.

On passe devant une boulangerie, et elle s’arrête net.

- Oh ! Attends-moi là.

Elle disparaît à l’intérieur et ressort quelques minutes plus tard avec deux pains au chocolat. Elle m’en tend un avec un sourire satisfait.

- T’as l’air fatigué. Ça va t’aider.

Je la regarde, un peu surpris, avant de prendre la pâtisserie.

- Merci.

On continue de marcher en mangeant en silence. Je l’observe du coin de l’œil, et je me rends compte d’un truc :

Elle me fait du bien.

Sa présence, sa manière de rire, sa façon de voir le monde… C’est comme une bouffée d’air frais, et ça me terrifie.

On s’arrête dans un petit parc, s’installant sur un banc. Elle étire ses jambes devant elle et ferme les yeux en profitant du soleil.

- J’aime bien ces moments, murmure-t-elle.

Je baisse les yeux vers elle.

- Quels moments ?

- Juste… être là. Tranquille. Pas de stress, pas de prise de tête.

Elle rouvre les yeux et me regarde.

- Avec toi, c’est simple.

Je détourne rapidement le regard, mal à l’aise.

Non, Clémence. Ce n’est pas simple. Pas pour moi.

Je serre les dents.

Elle continue de parler, de raconter une anecdote sur Manon et elle quand elles étaient plus jeunes, mais moi, je suis ailleurs.

Je suis en train de me dire que je dois arrêter ça.

Que je dois mettre de la distance.

Parce que si je continue, je vais m’attacher.

Et je ne peux pas me permettre ça.

Il est presque 18h quand on rentre. La maison est calme. Trop calme. Les seuls bruits viennent de nos pas sur le parquet, des portes qui se ferment, des soufflements un peu trop forts qui échappent. Chaque respiration semble peser plus lourd, chaque geste semble démesuré. 

Je retire mes chaussures et me passe une main lasse sur le visage, le stress me dévorant lentement. J’ai l’impression d’être au bord d’une falaise, sur le point de sauter dans le vide, d’être pris entre l’angoisse de l'inconnu et la certitude que je ne pourrai pas revenir en arrière.

Clémence dépose son sac sur la chaise près de la porte et se tourne vers moi. Son regard est d'abord curieux, presque joyeux, un peu léger, comme si elle attendait que je propose de passer la soirée ensemble, comme on a l’habitude de le faire.

- Tu veux qu’on regarde un film ce soir ?

Sa voix est calme, mais il y a quelque chose dans sa question qui m’étouffe. Elle attend une réponse, et je sais qu’elle attend autre chose. Quelque chose de normal, de simple, comme ce qu’on faisait encore il y a quelques jours. Mais là, aujourd’hui, dans ma tête, rien n’est simple. Il y a ce poids, ce tourbillon de pensées qui m’écrase. Je sens mon cœur battre plus vite, le stress envahissant chaque fibre de mon corps. J’hésite une seconde. Une seule. C’est suffisant pour tout remettre en question.

Puis je secoue la tête, comme si ce simple mouvement pouvait effacer tout ce que je ressens.

- Clémence…

Je prononce son prénom d’une manière qui lui fait lever les yeux, surprise. Elle fronce les sourcils, et je vois la lueur d’incompréhension dans ses yeux.

- Quoi ?

Sa voix est douce, comme toujours, mais je peux entendre cette petite note d'inquiétude, de vulnérabilité qui se cache derrière. Et ça me déchire, ça m’ouvre en deux. C’est pas ce que je voulais, ce n’est pas ce que j’avais imaginé. 

Je prends une grande inspiration, puis une autre, tentant de trouver les mots, tentant de me convaincre que c’est ce qu’il faut faire, que c’est la seule option qui me reste.

- Je pense que… c’est mieux qu’on prenne nos distances. Pour l’instant.

Le silence qui s’installe est plus lourd que tout ce que j’aurais pu imaginer. Je vois son visage se figer en une fraction de seconde, et dans ses yeux, une douleur sourde commence à naître.

Elle ne répond pas tout de suite, trop choquée pour réagir.

- Quoi ?

Elle répète, cette fois-ci son ton trahit son désarroi. Ce n’est pas de la colère. Ce n’est pas de la déception non plus, pas tout de suite. C’est juste… de la surprise. Elle n’a pas compris. Je vois la confusion dans ses yeux, et ça me déchire encore un peu plus.

Je serre les poings, m'efforçant de ne pas craquer, de ne pas céder à l’envie de la prendre dans mes bras, de lui dire que je ne veux pas la voir partir, que c’est juste temporaire. Mais je sais que ce serait me mentir à moi-même. Je dois le faire. C’est mieux comme ça.

- Ce qui s’est passé samedi soir… c’était bien, mais je pense que ce n’est pas une bonne idée.

Je me déteste pour ces mots. Je les vois sortir de ma bouche comme un poison lent, empoisonnant l’air entre nous. Elle reste là, sans bouger, toujours silencieuse, mais je sais que derrière son regard, tout est en train de se briser.

Elle ne dit rien tout de suite, mais je vois qu’elle cherche à comprendre. Elle me fixe, son regard cherchant des réponses, une raison, une explication qui pourrait donner du sens à ce que je viens de dire. 

- Pourquoi ?

Elle pose la question comme si elle voulait en savoir plus, comme si elle pensait que j’allais lui donner quelque chose de plus solide.

Je détourne les yeux, incapable de la regarder une seconde de plus.

- Parce que c’est mieux comme ça.

Mon cœur se serre, mais je serre les dents. Je ne peux pas faire machine arrière. Ce n’est pas ce que je voulais, ce n’est pas ce que j’avais prévu, mais c’est ce qu’il faut. C’est ce que je dois faire.

Un silence s’installe. Il est épais. Il est lourd. Il me pèse sur la poitrine, me comprime la gorge. Je suis comme paralysé, incapable de bouger, incapable de dire quoi que ce soit. La tension entre nous est palpable, presque insupportable. Je me tiens là, figé dans cette position, attendant qu’elle réagisse.

Elle sort son téléphone sans un mot, comme un automate. Elle compose un numéro, et j’entends sa voix, cette voix calme, mais cassée, de l'autre côté de la pièce.

- Manon ? C’est moi.

Je ferme les yeux un instant, comme si je voulais fuir la scène, fuir ce que je suis en train de lui faire. Mais je sais déjà ce qu’elle va dire. Je sais déjà ce qu’elle va décider. Je la connais assez bien pour savoir que sa décision est déjà prise.

- Je reviens dormir au campus pour une durée indéterminée.

Je n’entends pas la réponse de ma soeur, mais je vois Clémence raccrocher. Elle est froide, distante, et son regard ne croise même pas le mien. Elle commence à rassembler ses affaires avec une lenteur calculée.

- Je viendrais quand même te chercher pour aller en cours je refuse que le plan de base foire, juste parce qu’on doit prendre des distances sur la situation.

- T’es sérieux.

- Bien évidemment je ne vais pas te laisser surtout avec ce qui sait passer samedi soir par rapport à Théodore.

- Très bien.

Quand elle passe devant moi, je m’écarte légèrement, la laissant passer, comme un spectateur impuissant de ma propre douleur. Je vois son dos se détourner de moi, et quelque part, je sais que c’est un point de non-retour.

Elle claque la porte derrière elle.

Le bruit résonne dans la maison vide. Et putain, je ressens déjà le vide. Un vide que je n’aurai jamais pu imaginer. Le vide d’elle. Le vide d’une décision prise trop tôt, mais inévitable. Le vide de ce que j’ai refusé de laisser croître.

Mais c’est la meilleure chose à faire. Parce que je n’ai pas le droit de m’attacher.

Je me retourne et vois Léo et Julien, debout près de la cuisine.

Ils ont tout entendu.

Léo a les bras croisés, et pour une fois, il ne sourit pas.

Julien, lui, me regarde avec une expression neutre, mais je vois bien qu’il pense des trucs qu’il ne dit pas.

Je m’attends à une remarque. Une moquerie.

Mais rien.

Aucun commentaire. Aucun jugement.

Juste un putain de silence.

Et bizarrement, c’est encore pire.

Comment this paragraph

Comment

No comment yet