Clémence
Je suis étonnée, il a tenu sa promesse. Je n’ai reçu que trois messages.
Le premier où il me dit que c’est lui.
Le deuxième avec l’heure du rendez-vous.
Et le troisième avec l’adresse.
Simple, efficace. Et surtout, pas envahissant.
Je dois avouer que je m’attendais à ce qu’il envoie plus de messages. Une blague pour détendre l’atmosphère, une remarque moqueuse sur la situation absurde dans laquelle on s’embarque… Mais non. Rien d’autre. Et d’une certaine manière, ça me perturbe presque plus que s’il m’avait harcelée de textos.
Je marche en direction du lieu de rendez-vous, les mains enfoncées dans les poches de ma veste. Le soleil commence à descendre doucement, projetant une lumière dorée sur les trottoirs de la ville. L’air est encore tiède, chargé de cette atmosphère particulière des fins d’après-midi où tout semble ralentir. Les voitures passent en bourdonnant doucement, les passants discutent sur les terrasses, et moi, je marche, un peu trop vite, un peu trop nerveusement.
Pourquoi je stresse autant ?
Ce n’est pas comme si je rencontrais Gabriel pour la première fois. Ce n’est pas un vrai rendez-vous non plus. Rien de tout ça n’est réel. Et pourtant, mon cœur bat plus vite que je ne le voudrais, comme si mon corps refusait d’accepter que ce n’est qu’un simple jeu.
Je devrais être sereine. C’est moi qui ai accepté. J’aurais pu dire non, j’aurais pu refuser cette proposition complètement absurde. J’aurais pu continuer ma vie comme avant.
Mais non.
J’ai dit oui.
Pourquoi ?
C’est la question qui tourne en boucle dans ma tête depuis hier soir. Est-ce que c’était par défi ? Par curiosité ? Par pure folie ? Un peu des trois, sûrement.
Ou peut-être que…
Non.
Je secoue la tête. Peu importe les raisons, je suis dedans maintenant. Je ne vais pas revenir en arrière. Ce serait ridicule d’abandonner avant même d’avoir commencé.
Je lâche un soupir et lève les yeux vers le ciel, tentant de calmer cette boule qui s’est installée dans mon estomac. Il y a une partie de moi qui veut croire que ce sera facile. Que Gabriel et moi allons jouer notre rôle sans accroc, que tout se passera comme prévu.
Mais il y a aussi cette autre partie. Celle qui me murmure que ce genre d’arrangement ne finit jamais bien.
Parce que les sentiments, qu’ils soient faux ou réels, sont toujours plus compliqués qu’on ne le croit.
Parce que Gabriel est plus compliqué qu’il ne le laisse paraître.
Et moi… est-ce que je suis vraiment prête à gérer tout ça ?
Je me mords la lèvre et accélère le pas. Pas le temps de me perdre dans des réflexions inutiles. C’est déjà fait, il faut assumer maintenant.
Et puis, une pensée me frappe de plein fouet.
Aurélie.
Je n’ai encore rien dit à Aurélie.
Mon pas ralentit instinctivement, comme si mon cerveau refusait d’avancer avant d’avoir réglé cette question. Je fixe un instant le bitume, cherchant une excuse, une justification, mais rien ne vient.
Pourquoi je lui ai caché ça ?
Je me connais, je ne suis pas du genre à lui cacher des choses. Je lui raconte tout, d’habitude. Tout.
Alors pourquoi pas ça ?
Pourquoi est-ce que, dès que j’ai voulu lui dire, un blocage s’est formé dans ma gorge ?
Parce que je sais exactement comment elle va réagir.
Je l’entends déjà :
- Attends, QUOI ?! Clémence, t’as perdu la tête ?! Un faux couple avec Gabriel ?! Tu cherches les ennuis, c’est pas possible !
Je grimace. Elle n’aura pas totalement tort.
Un faux couple avec Gabriel, c’est le genre de plan qui semble fonctionner en théorie mais qui, dans la pratique, a de fortes chances de partir en vrille. Et je suis quasiment certaine qu’Aurélie va me le rappeler avec insistance.
Je pousse un soupir et secoue la tête. .Je vais devoir lui en parler, et vite.
Peut-être pas maintenant. Peut-être pas demain. Mais bientôt.Une chose à la fois.
Parce que plus j’attends, plus elle risque de mal le prendre.
Et parce que, malgré tout, j’ai besoin d’elle.
Je redresse les épaules et accélère le pas.
Est-ce que j’ai bien fait d’accepter ?
L’idée me traverse l’esprit pour la énième fois depuis que j’ai prononcé ce maudit « d’accord ».
À ce moment-là, ça m’avait semblé… logique. Presque facile. Une solution temporaire, un arrangement pratique. Rien de bien méchant.
Mais maintenant que je suis seule, que je marche vers ce premier « rendez-vous », j’ai l’impression que toute cette histoire me dépasse déjà.
C’est idiot, non ? Ce n’est pas comme si je devais vraiment tomber amoureuse de lui. Ce n’est qu’un jeu. Un rôle à jouer.
Alors pourquoi ai-je cette désagréable sensation que les choses vont devenir bien plus compliquées que prévu ?
Pourquoi est-ce que je prends ce risque, alors que je pourrais encore faire demi-tour ?
Je serre les poings dans mes poches, agacée contre moi-même.
La vérité, c’est que je veux voir où ça mène.
C’est stupide, hein ?
Mais au fond, peut-être que j’ai envie d’avoir tort. Peut-être que j’ai envie de prouver à Aurélie et à moi-même que je peux gérer ça. Que je peux faire semblant sans me brûler les ailes.
Peut-être que je suis juste fatiguée d’être toujours raisonnable et de toujours tout encaisser.
J’accélère le pas.
Gabriel m’attend. Et je ne peux pas faire marche arrière.
Les rues deviennent plus calmes à mesure que j’approche du quartier indiqué. Les immeubles d’étudiants laissent place à des maisons plus grandes, plus élégantes. Des jardins soigneusement entretenus, des façades impeccables.
Je baisse les yeux vers l’adresse indiquée sur mon téléphone et m’arrête net.
Devant moi se dresse une immense maison, bien trop grande pour être une simple colocation étudiante. Trois étages, des fenêtres immenses, une façade en pierre qui respire l’élégance, un jardin entretenu avec une haie parfaitement taillée. Un portail noir, imposant, encadre l’entrée d’une allée pavée.
Je fronce les sourcils.
Sérieusement ?
Je vérifie l’adresse une deuxième fois. Puis une troisième.
Non, je ne me suis pas trompée. C’est bien ici.
Un doute me traverse. C’est peut-être une erreur. Gabriel ne m’a jamais donné l’impression d’être du genre à vivre dans ce genre de maison. En fait, je ne sais même pas où il habite. Il a toujours laissé planer un certain mystère sur sa vie en dehors des cours et des entraînements.
Je mordille ma lèvre inférieure, hésitante.
Est-ce que je devrais lui envoyer un message pour vérifier ?
Ou est-ce que je devrais sonner et voir par moi-même ?
Avant que j’aie le temps de prendre une décision, la porte s’ouvre lentement, et une silhouette familière apparaît sur le seuil.
Gabriel.
Il s’appuie nonchalamment contre le chambranle, bras croisés, un sourire amusé sur les lèvres.
- Je commençais à me demander si tu allais vraiment venir, lance-t-il d’un ton léger.
J’avale difficilement ma salive.
- C’est… chez toi ?
Il hausse un sourcil, comme si ma question l’amusait.
- C’est chez toi, ça ?
Il rit doucement, s’appuyant contre l’encadrement de la porte.
- Techniquement, c’est chez mes parents. Mais ils ne vivent pas ici, alors avec Léo et Julien, on en profite.
Je le fixe, perplexe.
- « On en profite »… Tu veux dire que tu vis littéralement dans un manoir sans adultes pour te surveiller ?
- C’est un peu plus compliqué que ça, mais en gros, ouais.
Il me fait signe d’entrer. J’hésite une seconde de plus avant de prendre une inspiration et de franchir le seuil.
- Tu verras, c’est pas si intimidant.
L’intérieur est aussi impressionnant que l’extérieur : un grand hall, des meubles modernes mais chaleureux, et surtout, une propreté impeccable. Loin du cliché de la coloc’ de mecs en mode chaos total.
Je jette un regard autour de moi, un peu perdue.
- Alors… c’est ici qu’on va parler stratégie pour notre « couple » ?
Gabriel referme la porte derrière moi et affiche un sourire malicieux.
- Exactement. Bienvenue dans notre quartier général, fausse copine.
Je plisse les yeux.
- Si tu continues de m’appeler comme ça, les gens vont vite comprendre qu’on n’est pas ensemble.
Il prend un air faussement offusqué, posant une main sur son cœur comme si je venais de le blesser profondément.
- Très bien, ma loutre en sucre.
Je le fusille du regard, les bras croisés, prête à faire demi-tour sur-le-champ.
- Bon, ok, ok ! Je vais te trouver un truc plus mignon…
Gabriel réfléchit quelques secondes, tapotant son menton d’un air faussement sérieux. Ses yeux pétillent d’amusement, et je devine qu’il prend un malin plaisir à me taquiner.
- Et si je t’appelais… mon ange ?
Je le fixe, hésitante. Ce n’est pas aussi ridicule que « ma loutre en sucre », mais ça reste bizarre. Pourtant, après un instant, je soupire.
- Bon… Ça passe.
Son sourire s’élargit.
- Parfait !
Il tape dans ses mains comme si on venait de conclure un marché avant de se diriger vers le salon. Je le suis à contrecœur et découvre un espace étonnamment bien rangé, bien plus organisé que ce que j’aurais imaginé pour une maison où vit un groupe d’étudiants. Un canapé large, une table basse, quelques photos sur les murs, et même une bibliothèque qui ne fait pas seulement office de décoration.
Gabriel s’installe sur le canapé, attrape un carnet et un stylo et, à ma grande surprise, prend un air incroyablement concentré.
- Maintenant, passons aux choses sérieuses.
Je hausse un sourcil et m’assois en face de lui, curieuse de voir jusqu’où il va pousser son délire.
- Alors, voilà. Il faut qu’on fixe quelques règles.
- Des règles ? répété-je, sceptique.
- Bah oui, faut que ce soit crédible, mais faut aussi qu’on évite les embrouilles. On doit s’organiser.
Je soupire, mais je l’écoute. Après tout, il n’a pas totalement tort.
- D’abord, les choses qu’on peut faire en public : se tenir la main, se sourire, être un minimum complices.
J’acquiesce. Jusque-là, rien de trop bizarre.
- Ce qu’on ne peut pas faire : être trop distants ou se disputer en pleine rue.
- D’accord.
Il marque une pause et me jette un regard en coin, l’air faussement innocent.
- Ah, et… les bisous.
Je fronce les sourcils.
- Hors de question.
Gabriel secoue la tête avec un air faussement dramatique, posant une main sur son front comme s’il était au bord du désespoir.
- Clem, si on ne peut jamais s’embrasser, ça va être complètement pas crédible. On va passer pour le couple le plus fake du siècle.
Je soupire, croise les bras et réfléchis. Il marque un point.
- D’accord… Mais que des petits bisous. Pas de roulage de pelle.
Il esquisse un sourire satisfait et lève les mains en signe de paix.
- Ça me va. Je saurais me contenter de ta réserve.
Je lève les yeux au ciel, mais il n’en a visiblement rien à faire. Il a l’air bien trop amusé par la situation.
- Et les obligations de chacun ? demandé-je, histoire de ramener un peu de sérieux dans cette conversation.
Gabriel lève son stylo et me pointe du doigt.
- Toi, tes études passent en priorité. Si t’as besoin d’espace pour bosser, t’as juste à me le dire et je te lâche.
J’hoche la tête, satisfaite.
- Et toi ?
- Mon équipe de hockey. J’ai des entraînements, des matchs, et je peux pas me permettre de zapper quoi que ce soit à cause de ça.
- Ça me va.
Il note tout ça dans son carnet avec un sérieux presque comique, et je le regarde faire, un peu incrédule.
- T’es toujours aussi méthodique ?
- Toujours.
- Ça me fait un peu peur.
Gabriel rit doucement, s’appuyant contre le dossier du canapé.
- Tu vas voir, Clem, on va gérer ça comme des pros.
Je l’espère. Mais j’ai comme un doute.
Je suis encore en train de digérer tout ce qu’on vient de mettre en place quand Gabriel lève la tête vers moi avec un air sérieux.
- Ah, et encore une chose : tu ne dis rien à personne, même pas à ta meilleure amie.
Mon froncement de sourcils est immédiat.
- Non, je veux le dire à Aurélie. Je ne peux rien lui cacher.
Il secoue la tête, catégorique.
- Si elle le dit devant toi une seule fois et que quelqu’un l’entend, notre plan tombe à l’eau. Ta meilleure amie n’est pas discrète.
Je croise les bras, mécontente.
- C’est faux.
Gabriel hausse un sourcil, visiblement amusé par ma tentative de défense.
- Ah ouais ? La dernière fois qu’elle a eu un secret, il a tenu combien de temps ?
Je garde le silence. Il marque un point. Aurélie parle souvent avant de réfléchir. Pas par méchanceté, juste… parce qu’elle est comme ça. Spontanée, entière, incapable de garder un truc trop longtemps pour elle.
- Fais-moi confiance, insiste Gabriel. Plus on est discrets, plus ce sera facile.
Je serre les dents. Je n’aime pas ça. Ça me donne l’impression de trahir Aurélie. Mais en même temps… il n’a pas tort. Je finis par soupirer et hocher la tête.
- Ok. Mais si elle le devine toute seule, je ne pourrai pas lui mentir.
- Ça me va, répond-il avec un sourire satisfait. Bon, je crois qu’on est prêts.
Il repose le stylo et se laisse tomber en arrière sur le canapé avec un air confiant. Moi, en revanche, je ne partage pas son assurance. Ce plan me semble de plus en plus incontrôlable.
Gabriel tend alors la main vers moi, un sourire en coin.
- Marché conclu ?
Je le fixe un instant, hésitante. Une partie de moi me hurle de ne pas faire ça. Que c’est une idée complètement folle et qu’on va droit dans le mur. Mais l’autre partie… l’autre partie sait qu’il a raison. C’est la seule solution.
Dans un soupir, je serre sa main.
- Marché conclu.
Un sourire sincère se dessine sur ses lèvres tandis qu’il serre ma main avec assurance. J’ai l’impression que je viens de signer pour quelque chose qui me dépasse complètement…
Il tapote la place à côté de lui sur le canapé.
- Allez, viens t’asseoir.
Je fronce les sourcils.
- Pourquoi ?
Il lève son téléphone avec un sourire innocent.
- Il faut bien qu’on rende notre couple crédible, non ?
Je plisse les yeux, méfiante.
- Et donc ?
- Une photo. Juste une, histoire de marquer le coup.
Je pousse un profond soupir avant de finalement céder et m’installe à côté de lui. Il passe un bras autour de mes épaules avec une facilité déconcertante et approche son téléphone.
- Détends-toi, mon ange, murmure-t-il avec amusement.
Je lui lance un regard assassin, mais il prend la photo avant que je ne puisse protester.
Quelques secondes plus tard, son téléphone vibre entre ses mains.
- Et voilà, postée.
Je me fige.
- Attends… Tu viens de la mettre sur Instagram ?!
Il hoche la tête, l’air fier de lui.
- Bien sûr. Autant que tout le monde soit au courant en même temps, non ?
- Gabriel, t’es sérieux ?!
Je me couvre le visage de mes mains, déjà terrifiée par les conséquences. Je sens mon téléphone vibrer presque immédiatement. Mon cœur rate un battement. Je l’attrape en vitesse et l’allume.
Un message d'Aurélie apparaît à l'écran.
Aurélie : Clémence, c'est quoi ce bordel ?! »
Un frisson glacé me parcourt l'échine.
Aurélie.
Je ne lui ai rien dit.
Elle doit se sentir trahie de l’apprendre en même temps que tout le monde.
Je me tourne lentement vers Gabriel, qui me regarde avec un sourire satisfait, visiblement ravi de son coup.