Clémence
La chaleur de la nuit enveloppe ma peau encore frissonnante. Je suis allongée contre Gabriel, ma tête posée sur son torse, et j’écoute le rythme apaisant de son cœur. Ses doigts effleurent distraitement mon bras, traçant des cercles invisibles sur ma peau nue. Il a attrapé une couverture et l’a installée sous nous, évitant que l’air frais ne nous refroidisse après… après ce qu’on vient de vivre.
Je ferme les yeux un instant, laissant les émotions me submerger.
Qu’est-ce que je ressens exactement ?
Mon corps est encore vibrant de ce moment intense, de cette connexion que je n’aurais jamais imaginé partager avec lui. Tout était… électrique. Puissant. Comme si chaque barrière entre nous avait explosé en une seule nuit. Ce n’était pas simplement du désir, c’était plus profond que ça. Je me sens en sécurité, comblée d’une manière que je n’aurais jamais cru possible.
Gabriel resserre légèrement son étreinte autour de moi, et un sourire étire mes lèvres en sentant son souffle chaud effleurer mes cheveux. Sa main trace distraitement des cercles sur ma peau nue, un geste à la fois apaisant et terriblement intime. J’inspire profondément, imprégnant mes poumons de l’odeur mêlée de la nuit et de lui, cette odeur familière et pourtant différente après ce qu’on vient de partager.
- Tu penses à quoi ? demande-t-il d’une voix rauque, vibrante de fatigue et de quelque chose de plus profond, plus doux.
Je relève la tête pour croiser son regard, et mon cœur rate un battement. Il est là, détendu, la lumière tamisée des lanternes dessinant des ombres sur son visage. Son air satisfait, presque nonchalant, me fait sourire.
- À tout, à rien… À ce qui vient de se passer, murmuré-je.
Il arque un sourcil, un éclat malicieux dans les yeux, et son sourire en coin me fait frissonner.
- Hmm, et c’est une bonne chose ou une mauvaise chose ?
Je fais mine de réfléchir, laissant le suspense planer juste assez longtemps pour voir une lueur d’incertitude passer dans son regard.
- Je dirais… une très bonne chose.
Son sourire s’agrandit, et il attrape ma main pour entrelacer nos doigts. Son pouce caresse distraitement ma peau, et ce simple geste me donne envie de me fondre un peu plus contre lui.
- C’est bon à savoir, souffle-t-il, son regard accroché au mien.
On reste là, blottis l’un contre l’autre, à profiter du calme qui nous entoure. C’est une parenthèse suspendue dans le temps, un moment volé à la réalité, et je m’y accroche comme si je craignais qu’il disparaisse d’un instant à l’autre.
Gabriel brise le silence en me racontant une anecdote sur Julien et Léo qui ont failli faire exploser la cuisine en essayant de flamber des crêpes. J’éclate de rire en imaginant la scène, et il enchaîne avec une imitation désastreuse de la panique de Julien, ce qui me fait rire encore plus.
- T’aurais vu sa tête, reprend-il en secouant la tête, amusé. Il a lâché la poêle et a couru chercher un extincteur alors que Léo essayait d’éteindre les flammes avec une bouteille d’eau gazeuse.
Je ris de plus belle, et il m’observe avec un sourire tendre, comme s’il voulait graver ce moment dans sa mémoire.
Puis, le silence s’installe à nouveau. Mais ce n’est pas un silence gênant. Au contraire, il est confortable, apaisant. De ceux qui n’ont pas besoin d’être comblés par des mots.
Je laisse mes doigts glisser sur son torse, traçant des lignes invisibles sur sa peau, savourant cette proximité que je n’aurais jamais imaginé possible entre nous.
J’aurais pu rester ici toute la nuit.
Le calme de la nuit est brusquement brisé par un bruit lointain. Un brouhaha confus, étouffé par la distance qui nous sépare de la maison. Je fronce les sourcils, tentant de tendre l’oreille pour mieux discerner ce qu’il se passe, mais le murmure du vent dans les feuilles rend tout indistinct.
Gabriel aussi a perçu quelque chose. Son corps se tend légèrement sous moi, et je sens son rythme cardiaque accélérer sous ma main.
- C’est… moi ou ça vient de la fête ? murmure-t-il en plissant les yeux vers la maison, à peine visible derrière la haie.
Je me redresse légèrement, le cœur battant.
- On est loin… ça doit être un truc entre eux, ils vont gérer.
Il hoche la tête, pas totalement convaincu. Mais alors que je m’apprête à m’allonger à nouveau contre lui, un cri plus distinct fend l’air, transperçant la tranquillité du jardin secret.
Mon prénom.
- CLÉMENCE !
Mon souffle se coupe net. Un frisson glacé me traverse l’échine.
Le ton paniqué de la voix me pétrifie un instant. Mon esprit se brouille, essayant de mettre un visage sur ce cri, de comprendre pourquoi quelqu’un hurle mon prénom comme ça, avec cette urgence qui me retourne l’estomac.
Gabriel se redresse en une fraction de seconde, son corps entier passant en mode alerte. Son regard accroche le mien et, dans l’ombre, j’y lis une inquiétude brute.
- C’était bien ton prénom, pas vrai ?
J’acquiesce d’un mouvement de tête raide, encore incapable de formuler une phrase cohérente.
Lui ne réfléchit pas plus longtemps. Il se lève d’un bond et m’attrape la main, me tirant avec lui.
- On y va.
Je trébuche presque en me relevant précipitamment, mon cœur tambourinant furieusement contre ma cage thoracique. L’adrénaline remplace en un instant la douceur de notre étreinte précédente, effaçant la chaleur rassurante de Gabriel contre moi pour la remplacer par une tension glaciale.
Sans perdre une seconde, on se précipite vers la maison, courant à travers le jardin plongé dans l’obscurité. Nos pas résonnent sur le sol meuble, et chaque seconde qui passe resserre un peu plus l’étau autour de ma poitrine.
Qu’est-ce qu’il se passe là-bas ?
Pourquoi quelqu’un hurle mon prénom comme ça ?
Et pourquoi est-ce que j’ai un si mauvais pressentiment ?
L’air est encore chargé de l’adrénaline de notre course quand on atteint enfin la maison. Je suis légèrement essoufflée, et mon cœur cogne si fort dans ma poitrine que j’ai l’impression qu’il va exploser. Gabriel resserre sa prise sur ma main alors que nous arrivons sur la terrasse du jardin, où une scène chaotique se déroule sous nos yeux.
Théodore.
Il est là, debout, le visage déformé par une colère incontrôlable. Son regard est noir, fou de rage, et sa poitrine se soulève rapidement comme s’il venait de courir un marathon. Il hurle, gesticulant violemment, tandis qu’Aurélie tente désespérément de le retenir en s’agrippant à son bras.
- Arrête, Théodore ! s’écrie-t-elle, la voix tremblante.
Mais il la repousse d’un geste brusque, ne lui accordant même pas un regard.
L’affrontement
Puis, son attention se pose sur moi.
Et l’espace d’une seconde, un silence lourd s’abat sur la terrasse.
L’air semble s’épaissir autour de nous, chaque respiration devient plus difficile, plus pesante. Je sens mon ventre se nouer, cette vieille boule de malaise qui remonte brutalement à la surface. Mon instinct me hurle de reculer, mais mes jambes restent figées.
Théodore me fixe avec une intensité malsaine, une rage brute qui fait briller ses yeux d’une lueur incontrôlable. Ses traits sont crispés, déformés par une frustration qu’il ne cherche même pas à masquer.
Je n’ai même pas le temps de réagir que Gabriel se place immédiatement devant moi.
Son corps se tend, chaque muscle prêt à intervenir. Sa posture est un avertissement en soi, une barrière entre Théodore et moi, un mur infranchissable de protection. Et en une fraction de seconde, Léo et Julien se joignent à lui, créant un rempart instinctif, un front uni contre la tempête qui s’annonce.
Théodore ne bronche pas. Il ne détourne pas le regard.
Il est enfermé dans sa propre spirale destructrice.
Julien prend la parole en premier, sa voix grave et menaçante.
- Qu’est-ce que tu fous ici, Théodore ?
Le ton est bas, presque un grondement, chargé d’une tension prête à exploser.
Mais Théodore ne l’écoute même pas. Il continue de me fixer, ignorant totalement les garçons comme s’ils n’étaient que des ombres dans son champ de vision.
Puis, sa voix claque brusquement, brisant le silence comme un coup de fouet.
- C’est ça ?! Tu ne réagis même pas ?!
Je sursaute légèrement sous la violence soudaine de ses mots.
- De quoi tu parles ?
Ma propre voix me semble incertaine, un peu tremblante.
Il ricane, mais c’est un rire sans joie, dénué de toute légèreté.
- Putain, Clémence ! Tu savais que j’étais avec Aurélie, et ça ne t’a rien fait ?! Tu n’as même pas eu une once de jalousie ?!
Sa voix est si forte que les conversations autour de nous s’arrêtent net. Certains invités se figent, d’autres chuchotent, l’air curieux et mal à l’aise.
Je sens Gabriel se raidir davantage devant moi, comme une corde qui se tend au maximum avant de rompre. Sans réfléchir, je pose une main sur son dos, tentant de canaliser cette tension électrique qui vibre dans son corps.
Mais je dois répondre.
- Théodore, c’est terminé depuis longtemps entre nous, je n’ai aucune raison d’être jalouse, dis-je en essayant de garder une voix posée.
Je veux croire que mes mots suffiront à calmer les choses.
Mais je me trompe.
Au lieu de s’apaiser, son visage se ferme encore plus. Son regard s’assombrit, ses poings se serrent si fort que ses jointures blanchissent.
- Tu comprends pas, hein ?! explose-t-il soudainement.
Sa voix monte encore, vrille l’air autour de nous, créant un sentiment d’urgence incontrôlable.
- J’en ai rien à foutre d’Aurélie ! Je couchais avec elle juste pour me vider et espérer qu’un jour, quand tu l’apprendrais, tu serais jalouse et tu reviendrais vers moi !
Un silence glacé s’abat sur l’assemblée.
Un silence lourd. Horrifié.
Aurélie recule brusquement d’un pas, comme si elle venait de recevoir un coup en pleine poitrine. Son visage se fige, et ses yeux, brillants d’incompréhension et de douleur, se posent sur Théodore.
- Espèce de connard… souffle-t-elle, la voix brisée.
Mais il ne la regarde même pas.
Elle n’existe pas pour lui.
Il n’y a que moi.
- Mais non, toi, rien ! Même en sachant ça, tu ne ressens rien pour moi ! hurle-t-il, la voix déraillant sous l’émotion.
Ses mots ricochent en moi, mais ils ne trouvent aucune prise.
Il ne reste plus rien.
J’ouvre la bouche pour répondre, mais Gabriel me devance.
Sa voix tombe, glaciale.
- T’as fini ton numéro, mec ? Parce que si tu crois que tu peux venir ici foutre ta merde et balancer tes conneries devant tout le monde, t’es encore plus pathétique que je le pensais.
Son ton est calme.
Trop calme.
Ce qui le rend encore plus dangereux.
Léo et Julien s’avancent légèrement, un mouvement subtil mais chargé de menace.
Théodore comprend enfin.
Il sait qu’il a perdu.
Mais il ne veut pas partir sans blesser une dernière fois.
Son regard oscille entre Gabriel et moi avant qu’un sourire amer n’étire ses lèvres.
- Tss… Amuse-toi bien avec elle, mec. Tu verras, elle est douée pour se faire désirer.
La violence de ses mots me coupe le souffle.
C’est la goutte de trop.
Gabriel n’attend même pas une seconde de plus.
- Dégage.
Sa voix claque comme un ordre irrévocable.
Léo et Julien n’hésitent pas.
Ils attrapent Théodore chacun par un bras et le traînent sans ménagement vers la sortie. Il se débat, crache des insultes, tente de se libérer, mais il n’a aucune chance.
Quelques secondes plus tard, il disparaît dans la nuit.
Mais son ombre plane encore sur la soirée.
L’ambiance festive s’est évaporée, laissant place à une atmosphère lourde, pesante. Les invités murmurent entre eux, certains commencent à partir, d’autres restent figés, ne sachant pas comment réagir.
Je suis fatiguée.
Épuisée, vidée par cette confrontation que je n’ai jamais voulue.
Gabriel pose doucement une main sur mon dos.
- Viens.
Et cette fois, je me laisse guider sans résister.
Le salon est plongé dans une semi-obscurité, seulement éclairé par les dernières lueurs vacillantes de la soirée. Les derniers invités sont partis, laissant derrière eux une maison enfin apaisée après le chaos de tout à l’heure.
On est tous affalés sur le canapé, le silence pesant encore de ce qu’il vient de se passer. L’ambiance est étrange, un mélange de fatigue, de tension retombée, et d’incompréhension face à l’attitude de Théodore.
C’est Léo qui finit par briser le silence, sa voix grave résonnant dans la pièce.
- Où vous étiez, sérieux ?
Gabriel s’appuie contre le dossier du canapé et croise les bras, son regard posé sur lui.
- J’ai emmené Clémence au jardin secret, répond-il simplement. Elle n’était pas à l’aise à la soirée.
Léo et Julien échangent un regard, mais aucun d’eux ne pose plus de questions. Ils doivent sentir que ce n’est ni le moment ni l’endroit pour insister.
Un soupir échappe à Julien, et il passe une main sur son visage fatigué.
- Quelle merde, souffle-t-il.
Personne ne répond.
Il n’y a rien à dire.
On reste là encore un moment, dans un silence partagé, jusqu’à ce que la fatigue finisse par s’installer pour de bon.
Julien s’étire longuement avant de se lever.
- Bon… moi, je vais dormir.
Léo hoche la tête, baillant à s’en décrocher la mâchoire.
- Ouais, pareil.
Ils nous lancent un dernier regard avant de disparaître à l’étage, nous laissant seuls dans le calme feutré du salon.
Je n’ai pas bougé.
Toujours recroquevillée dans mon coin du canapé, les jambes repliées sous moi, mes pensées encore embrouillées par tout ce qu’il vient de se passer. Je n’ai même pas l’énergie de me lever pour rejoindre ma chambre.
C’est alors que je sens un mouvement à côté de moi.
Gabriel s’est légèrement tourné vers moi, son regard sombre et tranquille posé sur mon visage.
Puis, doucement, il attrape ma main.
- Aller vient ici, murmure-t-il.
Je relève la tête vers lui, un peu surprise.
Il me tire délicatement vers lui, m’invitant à venir me blottir contre lui. Son geste est doux, naturel, comme une évidence.
J’hésite une seconde.
Mais l’épuisement, autant physique qu’émotionnel, prend le dessus.
Alors je me laisse faire.
Je me love contre son torse, trouvant immédiatement une sensation de chaleur et de réconfort dans son étreinte. Son bras se referme autour de moi, protecteur, et je soupire doucement en sentant sa main glisser lentement sur mon bras, un geste apaisant qui me fait frissonner.
- Ça va aller ? demande-t-il d’une voix basse, presque un murmure.
Je ferme les yeux un instant avant d’hocher la tête contre lui.
- Oui.
On reste ainsi un moment, sans parler, juste à écouter la respiration de l’autre.
Puis, après un long silence, je l’entends murmurer :
- Tu veux en parler ?
Je secoue légèrement la tête.
- Pas ce soir.
Il ne pose pas plus de questions. Il se contente de resserrer un peu son étreinte, son souffle chaud effleurant mes cheveux.
- D’accord.
Le silence s’installe de nouveau, mais c’est un silence paisible cette fois.
Je me sens bien.
Et, bercée par sa présence, je finis par sombrer, ma respiration se calquant inconsciemment sur la sienne
Je me réveille lentement, encore enveloppée dans une douce torpeur.
Quelque chose me paraît étrange.
D’abord, la sensation de chaleur contre moi, bien plus réconfortante que d’habitude.
Puis, le poids d’un bras enroulé autour de ma taille, une étreinte ferme mais apaisante.
Et enfin…
L’odeur familière qui m’entoure, mélange subtil de savon, de bois et de quelque chose de plus indéfinissable.
Je fronce légèrement les sourcils, papillonnant des paupières pour m’extirper du sommeil.
Et c’est là que je réalise.
Je ne suis plus sur le canapé.
Je suis dans un lit.
Un lit qui n’est pas le mien.
Mon cœur rate un battement alors que je baisse les yeux sur moi-même.
Un t-shirt beaucoup trop grand recouvre mon corps. Un t-shirt qui, évidemment, ne m’appartient pas.
Je tourne légèrement la tête…
Et mon regard tombe sur Gabriel.
Ses bras sont enroulés autour de moi, sa main posée sur ma hanche, me maintenant contre lui même dans son sommeil, son souffle chaud effleurant mon front. Il a l’air paisible, totalement détendu.
Et moi ? Moi, je me fige d’abord, avant qu’un sourire ne vienne doucement étirer mes lèvres.
Je me détends presque instantanément, savourant cette bulle de tranquillité, ce moment suspendu hors du temps, me laissant aller contre lui.
Je pourrais rester comme ça encore longtemps.
Puis, il bouge légèrement, son étreinte se resserrant instinctivement autour de moi. Il cligne des yeux, encore embrumé de sommeil, avant de baisser son regard sur moi.
Un petit sourire fatigué étire ses lèvres.
- Bien dormi ? murmure-t-il, sa voix rauque du matin me faisant frissonner.
Je le fixe quelques secondes avant d’acquiescer.
- Mieux que jamais… et toi ?
Un coin de ses lèvres se soulève légèrement.
- Très bien.
Il resserre légèrement son étreinte, et pour la première fois depuis cette fichue soirée, je me sens vraiment en sécurité