Gabriel
Je m’éloigne de Clémence avec un drôle de goût dans la bouche. Qu’est-ce qui m’a pris de lui proposer ça ? Faire semblant d’être en couple ? L’idée m’avait semblé logique sur le moment, presque brillante. Après tout, Théodore ne la lâche pas, et elle semble au bord de l’épuisement. Si je peux l’aider à se débarrasser de lui, pourquoi pas ? Mais maintenant que c’est dit, maintenant qu’elle a accepté, un doute s’installe. Est-ce vraiment une bonne idée ?
Je marche dans les rues de la ville, les mains dans les poches, le regard perdu dans la foule. Mes pensées se bousculent, s’entrelacent, se heurtent les unes aux autres. D’habitude, je suis plutôt du genre à foncer dans le tas sans trop réfléchir. Je me laisse porter par le vent, je rigole, je plaisante, je profite de l’instant présent. Mais là… c’est différent. Il y a quelque chose qui cloche. Est-ce que je viens de me foutre dans une situation plus compliquée que prévue ? Une situation dont je ne pourrais pas sortir aussi facilement que je le pensais ?
Et puis, Clémence… Est-ce qu’elle va vraiment accepter ce rôle de petite amie fictive sans broncher ? Elle est déjà épuisée, et là, je lui demande de se lancer dans un jeu qui pourrait la plonger encore plus dans la confusion. Si elle s’attache… et si je m’attache aussi, moi ? Merde, qu’est-ce qui m’a pris ? Est-ce que je suis vraiment prêt à jouer ce rôle pendant un certain temps, à me retrouver dans une fausse relation avec elle ? Et qu’est-ce que ça va vraiment changer, au final ?
Et moi, dans tout ça ? Pourquoi ai-je vraiment proposé ça ? Est-ce que c’était juste pour me débarrasser des groupies qui me poursuivent, ou est-ce qu’il y a quelque chose de plus derrière tout ça ? Est-ce que je m’en suis pris à un problème qui ne me concernait pas vraiment, mais parce que j’étais fatigué de mes propres soucis ? Est-ce que je suis juste un idiot qui cherche une solution rapide à un problème qui n’était peut-être même pas le mien ?
Je serre les poings en marchant. Un sentiment de malaise m’envahit, et je m’efforce de chasser ces pensées. Ça ne sert à rien de trop réfléchir. J’ai proposé le plan, elle a accepté, et maintenant il faut voir comment ça se passe. De toute façon, je ne peux plus revenir en arrière, même si je voudrais. Une fois que c’est dit, c’est dit. Tout ce que je peux faire, c’est avancer et essayer de ne pas trop foutre en l’air cette situation. Si ça se trouve, c’était la meilleure idée que j’aie eue depuis longtemps.
Mais alors que je m’approche de chez moi, une sensation d’inquiétude me serre le ventre. Ça ne va pas être aussi simple que je le pense. Je pousse la porte d’entrée sans un mot et me laisse tomber sur le canapé du salon, épuisé mentalement. Mes colocataires sont là, comme d’habitude, chacun absorbé dans ses propres occupations. Léo est affalé sur un fauteuil, les yeux rivés sur son téléphone, un sourire en coin en décryptant des memes, tandis que Julien, fidèle à lui-même, analyse un match de foot qu’il a vu la veille, son ordinateur portable ouvert devant lui. La scène semble si banale, si normale, et pourtant je me sens comme un étranger parmi eux. Un poids invisible pèse sur moi, et je sais qu’ils vont le sentir. Léo l’a déjà probablement remarqué. Il capte toujours tout.
-Ah, voilà enfin l’âme en peine, lance Léo sans lever les yeux de l’écran. T’étais où ?
- Bibliothèque, je marmonne, mais je sais que ma réponse n’a aucun impact. Ils savent que ce n’est pas la vérité.
- Toi, à la bibliothèque ? 2 fois en 2 jours. C’est la meilleure de l’année.
Je lève les yeux au ciel, agacé, mais je ne réponds rien. Je n’ai ni la force ni l’envie de jouer le jeu ce soir. Les blagues habituelles de Léo me paraissent maintenant complètement futiles, à peine supportables. Julien ne relève même pas la tête de son ordinateur, mais je peux sentir son regard sur moi, légèrement plus attentif. Il est toujours plus discret, mais il observe avec un sérieux qui me fait presque flipper. Je sais qu’il sait que quelque chose ne va pas, tout comme Léo. Mais aucun d'eux ne dit rien. Pour l’instant.
Je m’avachis sur le canapé, mes pensées toujours tournées vers ce que j’ai fait. Léo, pourtant, finit par capter que je ne suis pas dans mon état normal. Il jette un regard furtif dans ma direction, et je vois son expression se durcir légèrement. C’est le genre de moment où il ne faut pas chercher à cacher quoi que ce soit à Léo. C’est un détective né, un observateur hors pair. Quand il veut savoir quelque chose, il n’hésite pas à me le faire savoir, et là, je sais qu’il n’est pas dupe.
- T’as une sale tête, fréro, finit-il par lâcher. T’es sûr que ça va ?
- Ouais, ouais. Juste crevé.
Le mensonge sort trop facilement de ma bouche, mais je sais qu’ils ne sont pas dupes. Ils échangent un regard furtif, et je vois un léger sourire se dessiner sur les lèvres de Julien. C’est comme s’ils savaient tous les deux que quelque chose ne va pas, mais ils préfèrent me laisser digérer ça tout seul, jusqu’à ce que je craque. Le problème, c’est qu’ils savent pertinemment que ça va finir par exploser. Et moi aussi.
La soirée s’étire, interminable, comme un mauvais film qu’on ne peut pas quitter. Je reste là, à les observer, répondant à peine à leurs blagues, à leurs provocations. À un moment donné, Julien, l’air faussement inquiet, se lève et vient se poser à côté de moi.
- Bro, c’est pas normal. Tu veux qu’on appelle une ambulance ou quoi ?
Je grogne, balayé par sa main qui vient se poser sur mon épaule. Je n’ai pas envie de parler, mais je sais que je ne peux pas ignorer ce qu’ils attendent de moi.
- Vous êtes relous, sérieux.
Mais ils ne me lâchent pas. Léo et Julien échangent un regard, se redressant d’un même mouvement. Je les vois se préparer, prêts à me faire cracher le morceau.
- Réunion de crise, annonce Léo d’un ton solennel.
- Réunion de quoi ?
- De crise, répète Léo, en croisant les bras. T’es chelou, mec. On doit en parler.
Julien hoche la tête avec sérieux. Ce n’est plus une simple blague, je sais qu’ils ont décidé que ce soir, ils allaient me faire parler, à tout prix.
- Ça fait des années qu’on te connaît, et c’est la première fois que tu rentres sans nous balancer une connerie ou sans essayer de nous éclater à FIFA. Donc, y’a un problème.
Je soupire, me passant la main sur le visage. Ils ne lâcheront pas tant que je n’aurai pas avoué ce qui ne va pas. Et franchement, ça commence à devenir fatigant. Mais je sais qu’ils ont raison. Je ne suis pas moi-même ce soir.
- Vous exagérez.
- Pas du tout, réplique Léo, insistant. Maintenant, crache le morceau. Qu’est-ce qui te travaille ?
Je les regarde un à un. Ces mecs sont mes frères, même s’ils sont parfois insupportables. Et ils ne lâcheront pas tant qu’ils n’auront pas une réponse satisfaisante. Je les connais par cœur. Et je sais que je ne peux pas leur mentir éternellement. Le problème, c’est que je ne suis même pas sûr d’avoir une réponse à leur donner.
Un silence lourd s’installe. Puis, comme si toute la pression accumulée en moi éclatait en une seule seconde, je finis par cracher le morceau.
- Bordel, j’ai proposé à Clémence de faire semblant d’être en couple !
Ils me regardent, les yeux écarquillés, comme si je venais de leur parler en une langue qu’ils ne comprennent pas. Julien est le premier à réagir.
- Attends, attends… QUOI ?
Je passe ma main dans mes cheveux, nerveux. C’est sorti tout seul, et maintenant, je me sens encore plus con d’avoir partagé ça.
- Ouais, vous avez bien entendu. Théodore lui tourne autour et elle en a ras le bol. Moi, j’ai mes propres emmerdes avec les groupies. J’ai pensé que si on faisait semblant d’être ensemble, ça arrangerait tout le monde.
Silence. Puis Léo éclate de rire, un rire bruyant, presque trop fort, comme s’il n’arrivait pas à croire ce que je viens de dire.
- Mec, t’es un génie… ou un abruti. Je sais pas encore.
Léo secoue la tête, toujours hilare.
- T’as réfléchi à ce que ça implique ?
- Non, évidemment que non ! Je sais pas ce qui m’a pris ! C’est sorti tout seul et maintenant, c’est trop tard, elle a accepté.
Julien, feignant la réflexion, se frotte le menton.
- Donc en gros, ton plan, c’est de jouer les amoureux transis avec Clémence jusqu’à ce que Théodore se lasse ?
- Un truc du genre, ouais.
- C’est complètement con, décrète Léo, en secouant la tête.
- Je sais !
Léo secoue la tête et rit encore, incapable de s’arrêter. C’est l’absurdité de la situation qui le fait éclater de rire.
- C’est le plan le plus foireux que j’ai entendu, mais j’admire l’audace.
Je secoue la tête, exaspéré par leur attitude.
- Vous pensez que je devrais annuler ?
- Oh non, maintenant, on veut voir comment ça tourne, ricane Julien.
Je soupire profondément, sentant la frustration monter. Pourquoi ai-je eu l’idée de leur en parler ? Pourquoi ai-je laissé échapper ça ?
Un silence s’installe de nouveau. Puis, Julien, qui avait jusque-là un air moqueur, finit par sourire.
- Bon, c’est con, mais on est avec toi. Si tu veux mener cette mission suicide, on te soutiendra jusqu’au bout.
Je lève les yeux au ciel, mais un léger sourire me monte aux lèvres malgré moi. Ces mecs sont définitivement les pires… et les meilleurs.
Mais soudain, Léo se redresse, plus sérieux.
- Attends… T’as son numéro, au moins ?
Je relève la tête, pris au dépourvu. Un silence s’installe à nouveau.
- … Merde, lançai-je.
Et cette fois, leurs éclats de rire résonnent jusqu’au bout de la nuit.
Après les éclats de rire qui ont suivi ma bourde monumentale, le silence s’installe quelques secondes. Puis, Julien claque des doigts, l’air inspiré.
- Bon, y’a qu’une solution. On le trouve nous-mêmes.
Je fronce les sourcils.
- Attends, quoi ?
- Son numéro, explique-t-il. On va le récupérer comme des pros.
Léo tape dans ses mains, visiblement emballé.
- Exactement. “Mission Impossible”, version campus. On a les moyens, on a la technique. Gabriel, t’auras pas besoin d’aller quémander son numéro, on va te le ramener sur un plateau d’argent.
J’hésite une seconde. Ces deux-là sont capables du meilleur comme du pire… mais surtout du pire.
- Vous êtes sérieux ?
- Évidemment, répond Julien avec un sourire en coin. Fais-nous confiance.
Spoiler : je n’aurais pas dû.
PLAN D’INFILTRATION — 22h14
L’opération commence dans une ambiance digne des plus grands thrillers. Léo, prétendant avoir des « compétences de hacker » acquises dans des recoins sombres d’internet, s’installe devant son ordinateur portable. L’éclairage est tamisé, une lueur d’écran éclaire son visage tandis qu’il ajuste sa capuche avec sérieux. La scène est presque trop dramatique. Si je ne le connaissais pas, je pourrais presque croire qu'il est un hacker de génie. Le fond sonore ? Un silence de plomb, chargé de suspense.
- J’entre dans le système, chuchote Léo en tapant frénétiquement sur son clavier.
Julien et moi retenons notre souffle. L’atmosphère est tendue, l’adrénaline commence à monter.
Chaque touche que Léo frappe semble marquer une étape vers la réussite de notre mission. Mais au bout de quelques secondes, il se fige. Son regard se fixe sur l’écran, sa concentration palpable.
- Bon… je suis bloqué sur l’écran de connexion.
C’est quoi le mot de passe ? je demande, un léger frisson d’espoir dans la voix.
- Aucune idée.
- T’es sérieux ?! lance Julien, l’air abasourdi.
- Hé, je pensais que ce serait plus simple ! proteste Léo. J’ai vu des films, normalement les mecs tapent quelques lignes de code et boum, ils sont dedans.
- Ouais, ben t’es pas dans un film, soupire Julien. Plan B ?
La tension redescend un peu, mais l’échec est amer. On se regarde, déconcertés. L’option hacker tombe à l’eau.
MISSION ESPIONNAGE — 22h42
- Plan B : aller voir la liste des élèves sur le tableau d’affichage près du secrétariat, propose Julien en haussant les épaules.
On quitte l’appartement, se faufilant discrètement dans les couloirs du campus, évitant de croiser trop de monde. Enfin, on essaie. Julien, fidèle à son style, décide de porter une cagoule « pour l’ambiance », mais elle est fluorescente, donc totalement inutile pour se fondre dans le décor.
- Enlevez ça, bordel, murmuré-je en lui lançant un regard désespéré.
- Mais c’est pour se fondre dans le décor, proteste-t-il en ajustant sa cagoule, imperturbable.
- T’AS UNE CAGOULE FLUO, IDIOT !
On arrive enfin devant le tableau des élèves, et Léo sort son téléphone. Son regard se tourne rapidement sur les noms inscrits.
- Clémence… Clémence… Ah, là !
- Génial ! Et y’a son numéro ? demande Julien, presque trop enthousiaste.
- Non, juste son groupe de TD.
On se regarde, dépités. Plan B, échec total. La frustration monte.
STRATÉGIE D’APPROCHE — 23h12
- Plan C : demander directement au groupe de TD de Clémence, annonce Léo, comme si ça allait tout régler.
On repère une des filles du groupe, Sophie, qui sort du bar, l’air bien plus détendue que nous. Léo s’avance vers elle, un sourire ultra-forcé sur les lèvres, mais son regard trahit une nervosité palpable.
- Hey Sophie, ça va ? Dis-moi, t’aurais pas le numéro de Clémence par hasard ?
Sophie le fixe, méfiante, la tête légèrement inclinée.
- Pourquoi ?
- Euh… c’est pour un projet de groupe, improvisé-je, espérant que ça passe.
- Vous êtes pas dans son groupe.
- Merde, soufflé-je.
Léo tente une ultime carte.
- C’est pour un projet… futur ?
Sophie nous jauge un instant, puis secoue lentement la tête.
- J’ai pas son numéro, désolée.
Elle tourne les talons sans un regard de plus. Échec. Encore une fois.
LE PLAN DÉSESPÉRÉ — 23h45
Après avoir échoué lamentablement à chaque tentative, on finit par rentrer, bredouilles. L’atmosphère est lourde de frustration. Julien se laisse tomber sur le canapé, exaspéré.
- On a échoué.
- Échec critique, confirme Léo avec une exagération théâtrale.
Je soupire, les bras croisés.
- Bon… j’ai plus le choix.
Ils me regardent, comme si un déclic venait d’avoir lieu.
- Attends, tu vas… ?
- Oui. Je vais lui demander son numéro moi-même.
Julien place une main sur son cœur, faussement ému.
- Il grandit si vite…
Léo renifle, simulant des larmes.
- On est fiers de toi, frérot.
Je lève les yeux au ciel, mais un sourire m’échappe malgré moi.
- Vous êtes cons.
Mais je souris. Parce qu’au fond, je sais qu’ils ont fait tout ça pour moi.
Le lendemain matin, je me dirige vers la salle de cours, un café à la main et l’esprit légèrement plus clair, après l’échec total de la veille. Clémence est déjà là, adossée contre le mur, les bras croisés, ses écouteurs en place, complètement absorbée. Elle ne remarque pas ma présence immédiatement. Sans prévenir, je passe un bras autour de ses épaules et me penche légèrement vers elle.
- Salut, ma très chère fausse copine, dis-je assez bas pour qu’on ne m’entende pas, mais assez fort pour qu’elle m’entende.
Elle sursaute et me fusille du regard avant de retirer un écouteur.
- T’es sérieux, là ?
Je lève mon téléphone devant elle, le remuant légèrement sous son nez.
- Il manque un truc essentiel à notre crédibilité.
Elle fronce les sourcils, interloquée.
- Quoi encore ?
Je secoue mon téléphone, insistante.
- Ton numéro. C’est un peu louche, non ? Un mec qui sort avec une fille sans avoir son numéro ?
Elle me fixe, l’air perplexe.
- Tu veux mon numéro ?
- Félicitations, Watson, t’as résolu l’enquête.
Elle soupire, exaspérée, mais finit par tendre la main.
- Donne.
Je lui passe mon téléphone, la laissant taper son numéro, puis je le prends quand elle a fini. Un sourire satisfait se dessine sur mon visage.
- Voilà, on progresse.
- T’es un vrai cas, toi, soupire-t-elle, mais je perçois un léger sourire sur ses lèvres avant qu’elle ne se détourne.
Je range mon téléphone, faussement sérieux.
- Bon, maintenant qu’on est officiellement un faux couple fonctionnel, je t’enverrai un message après les cours pour qu’on puisse s’arranger.
Elle arque un sourcil.
- S’arranger pour quoi ?
- Bah, on doit être un minimum coordonnés, non ? Si on veut que ça ait l’air crédible.
Elle soupire en secouant la tête, l’air résignée.
- Je sens que je vais regretter cette histoire.
Je lui lance un sourire amusé.
- Trop tard, t’es coincée avec moi maintenant.
Elle me lance un regard blasé mais ne proteste pas.
La sonnerie retentit, annonçant le début des cours. Clémence récupère son sac et me jette un dernier regard avant d’entrer dans la salle.
- N’oublie pas, alors.
Je lève mon téléphone en guise de réponse.
- Promis, je te spamme pas… Enfin, pas trop.
Elle me lance un regard de travers avant de disparaître à l’intérieur.
Je me tiens là, dans le couloir, un peu plus seul que prévu. J’ai son numéro, mais… qu’est-ce que je suis censé lui envoyer comme message maintenant ?
Merde.
En plus, je n’ai même pas cours avec elle.