La dame du café était plutôt silencieuse. Elle ne parlait jamais. Elle ne hurlait jamais. Elle chuchotait. Hein ? Pardon ? Peux-tu répéter ? Je n'ai pas entendu. On ne l'entendait jamais. Elle ne se répétait que rarement. Non rien. Rien. Elle ne parlait pas. Elle ne hurlait pas. Elle pleurait souvent. Mais que lorsque personne ne pouvait entendre.
Comment peut-on voir autant de gens chaque jour et être aussi seul en même temps ?
C’était la tristesse et la colère qui la faisaient tenir. Debout, le dos bien droit, les dents serrées. Un sourire ? Elle en voulait au monde entier et surtout à elle-même. Elle voulait hurler et chialer sa vie entière, même les moments qu’elle n’avait pas encore vécus. Et le soir, lorsqu’ils venaient jouer de la guitare sur la terrasse de son Café, elle s’inventait des histoires. Elle se parlait de lui. Elle repensait à ces moments à deux, comme ils étaient beaux. Dieu qu’ils étaient beaux. C’était lui, elle le savait. C’était forcément lui. Parce qu’elle se sentait si laide sans lui. La vie est si laide sans lui. Et se souvenir, qui la réconfortait, s’aiguise et la tue. Si seulement elle pouvait vider sa tête aussi vite qu’elle vide les cendriers. Plus elle tente de faire le vide, et plus elle a des choses à raconter. Mais à qui en parler ? Qui pourrait la comprendre ? A qui raconter cette fois où il l’a embrassé, et il s’est écarté de quelques centimètres, pour lui sourire. Et à ce moment là, le coeur de la bonne femme du Café s’est senti tellement vivant. Son coeur, il a vite compris ce que tout son corps hurlait déjà : je suis à toi. Aujourd’hui, il faut être indépendant. Aujourd’hui, il faut être la seule cause de son bonheur. Alors comment pourrait-elle leur dire cet amour fusionnel. Comment leur expliquer qu’elle ne se sentait belle que quand il la regardait lui. Qu'elle aimait sa voix que quand il la suppliait de chanter leur chanson. Qu’elle n’avait pas d’envie, pas de rêve, rien d’autre que lui. Tant qu’il lui tenait la main, elle se sentait bien. Et que depuis, elle n’a plus l’impression d’être en vie. Elle est juste. Et elle vit dans leurs souvenirs.
Comment s’appartenir à nouveau ? On lui a dit de laisser faire le temps. La seule chose qu’elle aime à propos du temps, c’est que chaque jour passé, la rapproche un peu plus de leur retrouvailles. Chaque jour, elle se rapproche de la mort. Et parfois, elle serre fort ses paupières, et la mort à ses yeux à lui, et elle serait prête à tomber à nouveau. Raide amoureuse. Raide morte.
Elle observe une goutte de condensation roulée le long du verre de bière bien fraîche et tombée sur la table. Et c’est reparti pour le balai des pintes et des cendriers à vider. C’est reparti pour faire vivre le café.