Tu te souviens du bon à rien au jardin,
C’est comme ça que l’appelait ton père,
Ce pauvre homme à la rue, le bon à rien.
Une balafre sur un banc,
La canaille du jardin.
Le protecteur des fleurs.
L’autre.
Il m’avait toujours foutu la frousse.
La peur, n’y a-t-il rien de plus humain ?
Mortellement humain ?
La peur de l’inconnu.
La méfiance.
Et lui qui dormait sur son banc, et les histoires d’horreurs qu’on connaissait tous.
Tu te souviens des légendes sur les monstres nocturnes du jardin des fleurs ?
Des enfants pendus à leur balançoire et des mamans au fond de la marre aux canards ?
C’est ton cousin qui nous les avait racontés, lors d’une énième panne d’électricité.
Et il faut dire que la balafre sur son banc donnait des frissons
Avec sa tunique noire
Et sa capuche noir
Et ses cheveux blonds, sales, noirs
Et son sourire dissimulé sous une barbe non entretenu.
Parfois, il se parlait à lui-même pour combattre la solitude,
Le fou,
Et pour être sûr que quelqu’un l’écoute.
On faisait les courses d’endurance dans ce jardin,
Et on accelerait tous la cadence quand nous passions près de son coin,
De son banc,
Non loin des balançoires,
Et de la marre aux canards.
A l’ombre d’un arbre,
Une ombre sur un banc,
Arrivé en bout de course.
Aujourd’hui, le banc a perdu sa balafre.
Les fleurs ont perdu leur gardien.
La nuit a perdu son monstre.
Il était mort au matin
De froid, sur son banc,
Seul.
Tout ça à cause du foutu temps.
Et déjà on en entend parler.
Et déjà des histoires de fantômes se font entendre.
Et déjà ce banc est connu comme le banc maudit,
Le banc balafré,
Où un monstre est mort une nuit,
Pendant que les œillets dormaient
et que nous fermions les yeux.