Il était tombé amoureux d'elle, comme on tombe sous le charme d'un poème. Il voulait en connaître chaque rimes, chaque rythme, sur le bout des doigts, par cœur.
C'était une fille poète.
Elle n'avait aucun sens, et c'est probablement ce qui en faisait la beauté.
Elle tenait plus de la bombe à eau que de la fille canon, mais attention, ce n'était pas une fille bateau, même si elle naviguait sur les vers comme d'autres se perdent en mer.
Le triangle des Bermudes était un endroit dans sa tête, où ses sentiments tels des épaves tentaient à coup de rame de rester à flot mais ses pensées se confondaient en tourbillon, avant de s'échouer lamentablement sur le bout de sa langue, qu'elle ne tournait jamais sept fois dans sa bouche avant d’évacuer ces quelques mots qui venaient chatouiller les profondeurs du ciel créant des vagues dans l'atmosphère, et dans son âme.
Ces phrases n'en finissaient plus, les points n'existaient pas, elle se contentait de laisser sourire son stylo entre ses doigts ; l'amour, disait-elle, ne devait pas user de point, et sa passion étant le parcours du cupidon, n’avait pas de fin ni de chute, alors elle violait la ponctuation pour mieux se satisfaire de son exigeante maîtresse, qui pourtant ne se gênait pas pour la tromper quelques fois, laissant retomber l'ivresse créatrice comme un cheveux sur la soupe. Plus de poésie, plus de peinture, ah quoi bon lui servait d'être encore capable de respirer ?
Elle sombrait ainsi dans le néant, comme d'autres nagent dans le vide, lorsque l'inspiration la jetait par-dessus bord; elle refusait pour autant d'abandonner sa gouache et ses aquarelles, et elle finissait par se noyer dans ses jours noirs de pages blanches, à courir après une obscure figure de style éthérée ou éphémère qui volait toujours hors de sa portée, lui tirant la langue tel un jet d'eau moqueur et arrosant ses joues les nuits tout aussi blanche que ses pages.
Elle décidait soudainement qu'elle n'aimait plus rien et elle partait des heures entières, vers des endroits inconnus de contrée sans nom, elle disparaissait comme les nuages sont chassés par le vent après un orage d'été, et sans sa présence le monde perdait sa raison d’exister, le temps s'arrêtait et il ne savait même plus marcher.
Puis, une de ces nuits d'Août illuminées, quand la Lune fait de l'ombre au soleil et que les étoiles jacassent paisiblement entre elles, heureuses de se voir refléter dans les yeux couleur océan d'un homme attendant inlassablement le retour d'un ange, voilà qu'un battement de cils se faisait entendre, le papillon revenait avec sa flamme et d’une métaphore elle dégelait ses larmes redonnant à ses yeux la couleur de la terre tandis que d’une hyperbole, elle faisait réapparaitre la magie dans ce monde.
Elle dégainait son outil comme une épée et d'un coup de pinceau placé au bon endroit, elle le faisait rire aux éclats, elle adoptait sa posture de combat pour assassiner tous les éoliens qui risqueraient de chasser encore une fois sa capricieuse amante, pendant que lui observait, tapis silencieusement, son ombre danser sur la neige. Et sur ses lèvres sans rivages des mots se formaient dans un brouhaha incompréhensible, et venait embrasser son visage faisant naître une jouissance insoupçonnée défiant tous les néologismes du monde, qu’il ne parvenait pas à comprendre sans penser à un tapis volant dans le ciel de l’Atlantide.
Du haut de ses envolées lyriques, elle jouait tantôt les cyniques, tantôt les romantiques, sans un brin de logique : une tasse de café heurte le récif et voilà qu'en un éclat, la fin du récit, son crayon fait la moue et sa mine devient boudeuse.
Et oui, je crois bien que, si cette fille-poète il n'arrivait pas à la décrire sans en perdre la tête, c'est probablement parce qu’il en était follement amoureux.
Et la folie ne peut mener qu’à la tragédie.