Language : English
Les commandes l’ont éreinté. La sieste réparatrice d’après-mangé l’avait cassé en deux. Et pourtant, son sourire ne la quittait plus depuis que les musiciens de rue étaient revenus siéger sur la terrasse de son café.
Après avoir passé la journée comme ensommeillée, voilà que ses paupières dansaient à nouveau : de la joie. Les yeux cernés mais le cœur bien ouvert, elle s'empressa de leur apporter un autre verre, et même des cacahuètes, de peur qu’ils décident soudainement de s’en aller De peur qu’ils n’aillent conter leurs vers dans d’autres cafés. De peur qu’ils ne deviennent trop tôt des quadragénaires angoissés par les pensions alimentaires, l’appareil dentaire de la petite dernière et le décolleté de la nouvelle stagiaire. De peur qu’ils ne viennent plus. De peur qu’ils ne vivent plus. De peur qu’ils ne la fassent plus danser pour lui faire sentir la vie au détour d’une assiette de tomates cerises et d’un accordéon.
Ah ! L’accordéon ! Que de souvenirs ! Si vert était le jardin qu’ils lui chantaient. Si moroses étaient les draps froids qui l’attendaient. Elle était la princesse prisonnière de ce café qui avait fini par aimer ce dragon quotidien fait de rencontres, d’habitués, de commandes, du rugissement de la caisse, du ronronnement de la machine à café et de la fumée de cigarette.
Puis voilà qu’arrivent les preux chevaliers dressant le dragon du quotidien pour lui faire le récit d’un monde libéré de ses chaînes, et où les rêves prennent vie sur scène. Son monde à lui, avant. A elle aussi, un peu, quand il la laissait entrer. A eux.
Ah la bohème ! Que de souvenirs !
