Le vendredi après-midi, le lycée s’était vidé dans une langueur tranquille. Léa rangea ses affaires, referma la porte de sa salle avec une lenteur presque douce. Pour une fois, elle n’était pas éreintée. Juste… apaisée. Cette semaine, Maël avait levé la main. Participé. Rendu un devoir à l’heure. Un sourire avait même effleuré son visage. Rien d’extraordinaire, mais dans le calme fragile qui s’était installé, chaque geste prenait des allures de victoire.

Et aujourd’hui, elles avaient rendez-vous.

Pas pour une convocation. Pas pour un recadrage. Juste… un nouveau pas.

Maël l’attendait devant les grilles, bonnet enfoncé sur le front, sac trop grand sur les épaules. Elle ne disait rien, mais ses yeux trahissaient une certaine nervosité.

— Prête ? demanda Léa avec un demi-sourire.

— J’imagine, ouais.

Elles marchaient tranquillement, le bruit de leurs pas sur le trottoir rythmant la conversation. À quelques mètres du lycée, la librairie de Nora n’était jamais bien loin. Léa, qui avait pris l’habitude de s’y arrêter chaque semaine pour discuter un peu, regarda Maël du coin de l’œil. La jeune fille semblait attentive, mais restait sur la réserve.

— Elle tient une petite librairie, tu verras. C’est un endroit à part. Doux. Elle cherche quelqu’un pour l’aider quelques heures par semaine. Et elle est du genre à laisser sa chance aux gens.

— Tu veux dire, aux cas désespérés ? ironisa Maël, la voix à moitié taquine.

Léa leva les yeux au ciel, un petit sourire en coin.

— Je veux dire… aux gens qui ont du potentiel mais pas encore l’espace pour le montrer.

Maël grommela quelque chose d’à peine audible, mais ça semblait moins acerbe qu’avant. Peut-être que, quelque part, l’idée de trouver un peu d’espace pour respirer la tentait.

Quelques minutes plus tard, elles arrivèrent devant la librairie. La porte en bois, un peu usée, s’ouvrit sur l’intérieur chaleureux. Des étagères débordant de livres, des piles un peu partout, et une odeur de papier et de café flottant dans l’air.

Nora se leva du comptoir dès qu’elle les aperçut.

— Léa ! Maël ! Je vous attendais, dit-elle, avec un grand sourire. L'air de rien, elle n'avait pas changé depuis leurs années d'enfance. Elle semblait plus sereine, plus ancrée dans cette petite ville qu’elle avait choisie, mais son accueil restait le même : simple, ouvert, et sans prétention.

Elle guida Maël à travers la boutique, montrant les différents espaces. Les rayonnages, le coin lecture, l’arrière-boutique où elle triait les nouveaux arrivages. Tout ici semblait avoir sa place, un peu comme si la librairie elle-même était un refuge pour ceux qui cherchaient à s’y perdre.

— Voilà, dit Nora en désignant un petit coin du magasin. Ici, c’est plutôt calme, mais on pourrait peut-être t’y faire aider un peu. Si ça te tente. Il y a des moments où on est un peu débordé, mais pas trop non plus. Et puis, il y a des clients fidèles, assez sympas.

Maël hocha la tête, observant chaque recoin avec une attention presque studieuse, comme si elle était déjà en train d’analyser l’endroit. Léa, à côté, souriait en la voyant prendre part à la visite, plus présente qu’auparavant.

Après un moment, elles se posèrent toutes les trois sur les chaises près du comptoir, et Nora commença à expliquer un peu plus en détail comment elle voyait le travail ici.

— C’est tranquille, dit-elle. Je cherche vraiment quelqu’un qui puisse venir me donner un coup de main, peut-être quelques heures par semaine. Rien de bien contraignant, juste pour l’instant. Et si tu as une idée d’activité à faire ici pour intégrer tes études, ça pourrait être sympa aussi, tu sais.

Léa écoutait, attentive. Elle savait que cette offre serait une bonne opportunité pour Maël, mais il y avait encore une question essentielle à résoudre.

— C’est déjà super, Nora, vraiment, la remercier Léa. Ça va vraiment soulager Maël. Mais maintenant, il ne lui reste plus qu’à trouver un petit endroit où vivre, un chez-soi. Ce serait un poids en moins pour elle, et elle pourrait se concentrer sur ses études.

C’est alors que Nora, après un instant de silence, se tourna vers elles, comme une idée lui étant venue soudainement.

— Tu sais… Quand je suis arrivée ici, il y avait un logement de fonction juste au-dessus de la librairie. Maintenant, il est un peu à l’abandon. Je ne m’en sers plus depuis que j’ai emménagé avec mon copain. Il n’est pas grand, mais il est juste à côté, et ça pourrait être une bonne option pour toi. Tu serais à quelques pas du lycée, et tu n’aurais plus à te soucier de chercher un endroit ailleurs.

Maël la regarda, surprise, sans vraiment savoir quoi dire au début. Nora lui sourit doucement, un regard rassurant.

— Ce n’est pas grand-chose, mais si tu veux, tu peux aller le visiter. Il faut juste un peu de ménage, quelques petites choses à arranger, mais… Si ça t’intéresse, il est à toi.

Maël, toujours un peu surprise par la proposition, se laissa pourtant doucement convaincre. Elle détourna les yeux, réfléchissant un instant. Puis, après avoir soupiré, elle tourna son regard vers Léa, un sourire timide aux lèvres.

— Si ça peut m’aider… je suis preneuse, je crois.

Nora acquiesça, un sourire chaleureux s'étirant sur ses lèvres.

— Parfait. Il n’y a plus qu’à le visiter, et si tu veux, tu peux y emménager. Ça te permettrait de souffler un peu. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est un début.

Léa, émue par la proposition et l'aide de Nora, se tourna vers Maël avec un regard plus doux.

— Et tu sais, j’habite pas très loin. À même pas cinq minutes de la librairie, en fait. Ce qui ferait de nous presque des voisines, si tu veux. Donc, la moindre difficulté, tu sais où me trouver.

Elle la regarda dans les yeux, un sourire rassurant sur les lèvres.

— Vraiment, Maël, tu ne seras pas seule. Si ça peut t’aider à avancer, je serai là, tout près. Pour tout ce dont tu as besoin.

Maël sembla marquer une pause, et Léa crut voir un éclat d'espoir dans son regard, quelque chose de plus léger, de plus ouvert. Elle ne répondit pas immédiatement, mais son sourire était un peu plus franc, moins sur la défensive.

Nora, qui observait la scène, se contenta de sourire avec simplicité.

— Ça pourrait vraiment t’aider. Ce petit coin à toi, juste à côté, tu verras… C’est un bon compromis, et je serai là si tu as besoin de conseils ou de m’aider à arranger quoi que ce soit. On ne se laisse pas tomber, hein ?

Léa se tourna à nouveau vers Nora, un éclat de gratitude dans les yeux.

— Merci, vraiment. C’est une grande aide pour Maël. Ce premier pas est plus important que tu ne crois.

Nora haussait les épaules, humble dans sa réponse.

— C’est normal. On s’entraide, c’est tout.

Les trois femmes échangèrent un dernier regard, et dans l’air qui flottait autour d’elles, quelque chose avait changé. Ce n’était pas encore une solution parfaite, mais c’était un début. Un premier fil tendu, une première main tendue, un pas dans la bonne direction.