Maël poussa la porte de la salle des profs, sans hésitation. Il y eut quelques regards surpris, mais elle les ignora. Ses yeux cherchaient une seule personne. Lorsqu'elle aperçut Abigail au fond, penchée sur des copies, elle s'avança.
— Madame ? Vous avez deux minutes ?
Abigail leva les yeux, un peu intriguée par la tension dans la voix de Maël. Elle acquiesça.
— Viens.
Elles s’isolèrent dans un petit bureau adjacent. Maël ferma la porte, s’adossa une seconde, le cœur battant. Puis elle laissa tomber, d’un souffle :
— C’est à propos de Léa.
Abigail attendait, silencieuse, attentive.
— Je sais que vous êtes au courant. De ce qui s’est passé. Et je sais aussi que Léa... elle est prête à tout risquer. Même sa carrière. Parce qu’elle m’aime. Et moi aussi. Alors je me suis dit : si c’est moi le problème, je dois être la solution.
Abigail haussa légèrement les sourcils, sans parler.
— J’ai réfléchi. Voilà ce que je veux proposer : vous corrigez mes devoirs. Vous surveillez mes notes, mes rendus, tout. Léa ne s’en occupe plus. Et au lycée, rien. Pas de gestes, pas de mots, pas un regard de trop. Une relation platonique dans les murs. Mais vous, vous saurez. Et comme ça, il n’y a pas de traitement de faveur. Rien à lui reprocher.
Elle fit une pause, les yeux plantés dans ceux d’Abigail.
— Elle m’a pas sauvée. Elle m’a juste... vue. Et maintenant, c’est à mon tour de l’aider. Elle mérite de finir l’année. J’ai juste besoin que vous m’aidiez.
Abigail la fixa un instant, puis ferma les yeux, secoua doucement la tête — un soupir, mais pas de découragement. De l’émotion. Puis elle murmura :
— D’accord.
Quelques minutes plus tard, elles frappaient à la porte du bureau du proviseur.
Monsieur Gauthier les écouta, les bras croisés, le visage dur. Il posa plusieurs questions, tenta de démonter l’idée, souligna les risques.
— Vous réalisez dans quelle situation vous vous placez, mademoiselle ? Vous mettez votre enseignante dans une position encore plus délicate.
Mais Maël tint bon.
— Elle mérite de finir l’année. Elle a jamais cherché à profiter. C’est moi qui suis venue à elle. Alors maintenant, je veux faire les choses bien.
Abigail confirma, calme et ferme. Elle assumerait le suivi pédagogique de Maël. Un filet de sécurité.
Un long silence suivit. Puis, enfin, Gauthier hocha la tête, lentement.
— Très bien. Sous ces conditions… Elle peut revenir. Mais la moindre faille, et c’est fini.
Maël sortit du bureau, vidée mais soulagée.
Elle fila a son travail à la librairie. Nora l’y attendait, les sourcils froncés en la voyant arriver comme une tornade.
— Qu’est-ce que t’as encore fait ?
Maël s’effondra sur la chaise en face, un sourire au bord des lèvres.
— Je viens de sauver l’année de Léa Dumas.
Noa cligna des yeux.
— Hein ?
Maël sourit un peu plus grand, les yeux brillants.
— J’t’explique.
En fin de journée, alors que les rues prenaient cette teinte douce des fins d’après-midi, Maël quitta la librairie à grandes enjambées. À peine la porte refermée derrière elle, elle se mit à trottiner, pressée, le cœur battant. Cinq minutes, peut-être moins. Juste le temps de traverser la placette, de longer la haie, de gravir les quelques marches de l’immeuble de Léa.
Elle frappa deux fois. La porte s’ouvrit presque aussitôt.
Léa, encore en chaussettes, parut surprise. Elle n’eut pas le temps de dire un mot que Maël entra, essoufflée mais souriante.
— J’ai une solution, balança-t-elle, sans attendre. J’en ai parlé à Abby. On est allées voir Gauthier. Il a accepté.
Léa cligna des yeux.
— Accepté quoi ?
— Que tu reviennes. À certaines conditions, mais… tu peux finir l’année. Je t’expliquerai tout. Mais… voilà. C’est fait.
Un silence. Léa posa sa main sur la joue de Maël, comme pour vérifier qu’elle était réelle.
— Merci, souffla-t-elle.
Maël haussa les épaules, un sourire en coin.
— C’est mon tour de te voir.