Quelque jours plus tard, la salle informatique était plongée dans une demi-pénombre, éclairée seulement par la lumière blafarde des écrans encore allumés. L’ambiance avait quelque chose de suspendu, comme un instant arraché au reste du monde.
Assise seule, au fond de la pièce, Maël attendait. Elle feuilletait distraitement un cahier, sans vraiment lire. Ses yeux revenaient sans cesse vers la silhouette penchée sur le bureau, là-bas, à l’avant.
Léa corrigeait des copies, concentrée, les cheveux relevés en un chignon un peu flou, les manches retroussées. Elle ne parlait pas, mais ses sourcils se fronçaient parfois, puis se relâchaient quand une copie la surprenait agréablement.
— T’as bientôt fini ? demanda Maël doucement, sans bouger.
Léa leva les yeux vers elle, surprise par la voix. Elle esquissa un sourire fatigué.
— Encore deux ou trois… Pourquoi ? Tu t’ennuies ?
Maël haussa une épaule, le coin des lèvres relevé.
— Pas quand je te regarde.
Léa leva les yeux au ciel, mais elle rougit. Et son sourire s’agrandit un peu.
Maël glissa de la table, s’approcha lentement. Elle passa derrière Léa, effleura ses épaules, puis s’arrêta à sa hauteur.
— T’es sexy quand t’as l’air épuisée, murmura-t-elle à son oreille.
Léa la fusilla du regard, mais ses joues se teintèrent aussitôt d’une chaleur délicieuse.
Maël tira doucement la chaise roulante de Léa vers elle, s’y assit à califourchon, un genou de chaque côté de ses cuisses. Ses bras passèrent autour de son cou, ses mains se posèrent contre ses omoplates, fermes et sûres.
— Maël…, souffla Léa, hésitante, troublée.
Mais déjà, elle sentait le souffle chaud de la jeune fille contre sa joue, puis ses lèvres effleurant les siennes. Un baiser rapide. Trop rapide. Un autre, plus lent cette fois, plus profond. Puis une main qui glissait lentement le long de sa taille, s’arrêtant à sa hanche.
— Dépêche-toi, murmura Maël entre deux souffles. Ou je ne tiendrai pas jusqu’à la maison. Déjà que je trouve que les journées passent pas assez vite, au lycée…
Léa ferma les yeux une seconde, sa main cherchant instinctivement celle de Maël.
— Tu joues avec le feu.
— Et toi, t’as oublié à quel point j’aime ça.
Leurs fronts se frôlèrent, et pendant quelques secondes suspendues, le monde entier semblait réduit à cette chaise, ce bureau, et leurs deux corps frémissants de retenue.
Léa se mordit doucement la lèvre, le regard planté dans celui de Maël. Elle savait qu’elle devrait lui dire de partir. Que n’importe qui pouvait passer devant la salle, ouvrir la porte par réflexe. Mais tout en elle hurlait de rester là. Juste là.
— Il reste trois copies, murmura-t-elle.
— Alors finis-les vite, répondit Maël, en caressant distraitement le col du pull de Léa du bout des doigts. Parce que si tu crois que je vais simplement rentrer chez moi et attendre sagement que tu m’envoies un message, tu rêves.
Elle se leva, tout en douceur, comme on ferme un livre à regret, et rajusta sa veste.
— J’irai t’attendre chez toi finalement. Pas trop longtemps, hein. Tu sais comme je m’impatiente vite.
Léa mit presque deux minutes à se souvenir qu’elle tenait un stylo. Trois autres pour écrire ne serait-ce qu’un commentaire cohérent. Mais elle termina. Parce que l’attente en valait la peine.
Le silence régnait dans l’appartement, à peine troublé par les pas feutrés sur le parquet. Maël s’était installée sur le canapé, jambes repliées sous elle, un coussin contre le flanc. Elle portait ce sweat trop large qu’elle avait piqué à Léa, et qu’elle ne rendait plus. Quand Léa entra, déposant ses affaires sur le buffet, elle s’arrêta un instant pour la regarder. Cette silhouette tranquille, cette façon qu’avait Maël de l’attendre, comme si c’était devenu la chose la plus naturelle du monde.
— Je t’ai manqué ? demanda Léa, la voix plus joueuse qu’elle ne l’aurait cru.
Maël leva les yeux vers elle, un sourire en coin.
— J’ai failli t’envoyer un message toutes les dix minutes… Et puis j’ai eu peur d’avoir l’air accro.
Léa s’approcha, détacha ses cheveux dans un geste absent, puis s’assit face à elle sur le tapis, jambes croisées.
— Tu peux. Si un jour t’as besoin, tu peux. Même si c’est juste pour dire que t’attends.
Maël tendit la main, effleurant les mèches sur le visage de Léa.
— J’attends plus maintenant. T’es là.
Un silence s’installa, doux. Les lumières tamisées du salon jouaient sur les murs. La radio en fond diffusait un vieux morceau de piano, presque imperceptible.
Léa se pencha, doucement, posa ses mains sur les cuisses de Maël, les yeux levés vers elle.
— Tu m’as dit de me dépêcher, tout à l’heure…
Maël la regarda, intense, avant de faire glisser lentement le coussin sur le côté. Elle écarta un peu les jambes pour accueillir Léa entre elles, et ses mains vinrent retrouver les hanches de l’adulte.
— Il est peut-être déjà trop tard pour qu’on reste sages, murmura-t-elle.
Léa posa un baiser juste au creux de son ventre, par-dessus le tissu. Elle leva les yeux.
— Alors je prends mon temps.
Ses mains remontèrent lentement sous le sweat, découvrant une peau tiède, douce, frémissante. Maël soupira, s’inclina un peu vers elle, son front touchant celui de Léa. Il n’y avait plus d’empressement, seulement cette envie tranquille d’être là, complètement, l’une pour l’autre.
Léa se redressa, laissa ses mains glisser sous les cuisses de Maël, puis l’attira doucement vers elle. Leur baiser reprit, moins timide, plus profond. Maël se laissa emporter, ses doigts agrippant les épaules de Léa, cherchant ce contact qu’elle avait attendu toute la journée.
Le reste se fit sans précipitation. Le pull rejoignit le sol, suivi d’un murmure étouffé dans le creux d’une épaule. Le canapé devint leur monde pour quelques heures — un monde fait de soupirs, de gestes tendres et de regards brûlants, où rien d’autre ne comptait que la chaleur de leurs corps, et cette évidence, enfin assumée.