Maël entra dans le lycée, sac à l’épaule, l’air encore marqué par la fatigue de la veille. Elle avait cours avec Léa, c’était écrit noir sur blanc sur son emploi du temps. Une heure qu’elle attendait, à ressasser le baiser, à espérer un regard, un mot.
Mais à peine arrivée, elle sentit quelque chose d’étrange. Des murmures, des regards fuyants, une agitation discrète. Une élève de terminale, croisée dans le couloir, lâcha en passant :
— Le cours de madame Dumas est annulé. Indéfiniment, apparemment.
Maël s’arrêta net.
— Quoi ?
L’autre haussa les épaules, déjà repartie. Maël, elle, resta figée. Son cœur tambourinait. Elle sortit son téléphone. Aucun message. Rien. Pas un mot.
Elle sentit la colère monter. Non, pas la colère — la panique. L’abandon. Encore. Elle tourna brusquement les talons et quitta le lycée sans un mot.
De son côté, Léa venait tout juste de rentrer. L’entretien avec Gauthier l’avait lessivée. Elle avait parlé, presque tout dit. Maintenant, il n’y avait plus de retour possible. En rentrant, elle avait filé sous la douche, cherchant à dissoudre la culpabilité, le doute, le vertige. L’eau chaude ruisselait sur sa nuque, sur ses pensées embrouillées.
Quand la sonnette retentit, elle crut d’abord avoir rêvé. Puis un deuxième coup, plus insistant. Léa attrapa rapidement une serviette, ses cheveux encore humides collés à sa nuque, et alla ouvrir.
Maël.
Elle était là, debout sur le palier, les yeux rouges et gonflés. Elle avait pleuré, c’était évident. Et sans un mot, elle entra d’un pas furieux.
— Tu m’aides, tu t’approches, y’a des rumeurs, tu t’éloignes. Tu reviens, on s’embrasse, on couche ensemble… et là, tu redisparais ? Pourquoi ?
Léa referma doucement la porte, trop sidérée pour parler tout de suite.
— C’est un jeu pour toi ? continua Maël, les mains tremblantes. Moi je tiens à toi, Léa. J’avais confiance. Et toi, tu m’abandonnes. Comme les autres. Comme tout le monde.
Léa avança vers elle, doucement, et sans réfléchir, elle posa ses mains sur son visage et l’embrassa. Un baiser calme, pas fougueux, mais vrai. Quand elle recula, Maël restait là, sans voix.
— C’est bon, t’as fini ? Je peux parler ? dit Léa, doucement.
Maël ne répondit pas, mais son regard parlait pour elle.
Léa inspira un grand coup.
— Je t’ai pas quittée. J’ai juste compris que ce qui s’est passé à Paris… c’était pas rien. Pas un simple moment volé. C’était un point de bascule. J’ai compris des choses sur moi. Sur nous.
Elle marqua une pause, cherchant les mots.
— Je crois que je t’aime. Non. J’en suis sûre.
Maël ouvrit la bouche, mais Léa leva doucement la main.
— Mais notre histoire… elle est interdite. Je suis ta prof. Et je veux pas qu’on soit salies par ça. Si je prends du recul, c’est pas pour fuir. C’est pour nous protéger. Pour qu’on ait une chance.
Elle s’approcha encore, leurs fronts presque collés.
— Tu peux venir ici autant que tu veux. Me hurler dessus si t’en as besoin. Ça changera rien. Ce que je ressens, c’est là. C’est ancré.
Elle sourit, un peu triste.
— Faut juste trouver un moyen de faire coexister nos deux mondes. Et je veux pas attendre que tu quittes le lycée pour t’aimer. Parce que chaque fois que je fais semblant… ça me déchire.
Un silence. Long. Chargé.
Maël baissa les yeux. Sa colère était tombée, remplacée par quelque chose de plus brut. De plus vrai. Elle se jeta dans les bras de Léa, la serrant fort, comme pour s’assurer qu’elle était bien là. Léa referma les bras autour d’elle, les yeux fermés, le cœur enfin un peu plus léger.
Elles ne dirent rien de plus. Ce n’était pas nécessaire. Le déclic était là. Un lien plus fort que la peur, né dans l’épreuve. Et cette fois, elles ne fuiraient plus.
Maël n’était pas repartie. Bien sûr que non.
Elle était restée, sans rien dire, juste là, sur la banquette un peu trop étroite du salon, les jambes repliées sous elle. Léa, encore en serviette, avait glissé un pull trop large sur ses épaules avant de la rejoindre. Elles s’étaient assises côte à côte, sans trop savoir quoi faire de tout ce qui venait d’être dit.
Le silence n’était plus tendu, cette fois. Il avait changé de texture. Apaisé. Dense. Comme une couverture chaude posée sur une plaie à vif.
Leurs épaules se frôlaient. Puis leurs mains. Les doigts de Maël vinrent chercher ceux de Léa, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Elles s’entrelacèrent. Un geste simple, mais qui disait tout.
— T’as les mains froides, murmura Léa.
— Et toi, t’as les cheveux tout mouillés, souffla Maël, un demi-sourire au coin des lèvres.
Léa haussa les épaules, un peu gênée. Maël se pencha pour glisser une mèche derrière son oreille. Un geste d’une tendresse désarmante.
Elles restèrent ainsi. Parfois un mot. Parfois un rire. Parfois un baiser rapide, volé, comme un secret échangé. Léa effleurait distraitement la paume de Maël du bout des doigts, et Maël posait parfois sa tête contre son épaule.
Pas besoin de combler le silence. Il n’était pas vide.
— Et maintenant ? demanda Maël, au bout d’un moment, dans un souffle.
Léa tourna la tête vers elle. Leurs regards se croisèrent.
— Maintenant… rien. On reste là. Juste nous deux. Juste là.
Maël hocha la tête, doucement, et s’appuya un peu plus contre elle.
— On verra demain.
— Oui. Demain. Mais ce soir, on est bien là.
Et elles restèrent ainsi, à l’abri du monde, les corps enlacés dans la lumière douce du salon, le cœur un peu plus léger.