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PetitePlume
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Chapitre 6 – Zones grises

La classe était agitée. Trop de tensions, trop de silences mal gérés, de regards fuyants ou provocateurs. Léa le sentait : si elle ne reprenait pas la main maintenant, elle allait les perdre.
Alors elle avait décidé de proposer un projet. Un cadre, une consigne, une respiration.

— Vous allez travailler en binômes, annonça-t-elle en début d’heure.
Elle balaya la salle du regard. Quelques soupirs, quelques chuchotements excités.
— L’idée, c’est de créer une mise en scène numérique d’un souvenir heureux. Peu importe le format : page web, diaporama interactif, petite appli, vidéo montée. Du moment que ça raconte quelque chose, que ça vous ressemble, et que ça mobilise ce qu’on a vu en cours.
Elle marqua une pause.
— Je veux que ça vienne de vous. Que ce soit sincère. Ou au moins... vrai.

Elle distribua une fiche d’instructions, quelques exemples, puis laissa les groupes se former naturellement. Il y eut des appels discrets, des signes de tête, des sourires soulagés. Mais au fond, comme toujours, Maël ne bougea pas.

Léa s’approcha.

— Tu veux travailler avec qui ?
— Personne.
Le ton était sec, sans appel. Pas agressif. Juste… verrouillé.

Léa hésita. Son réflexe aurait été de l’obliger à s’intégrer. De lui rappeler que l’objectif, c’était aussi d’apprendre à collaborer.
Mais elle repensa à leur dernière conversation.
À ce qu’elle avait tenté de lui dire, maladroitement peut-être.
Tu peux encore continuer.
Elle ne savait pas si ses mots avaient laissé une trace. Mais elle voulait croire que oui.

Elle hocha doucement la tête.

— D’accord. Mais tu rends quelque chose.

Maël ne répondit pas, les yeux rivés à l’écran. Léa s’éloigna, le cœur un peu serré.

La journée passa. Puis la suivante. Le week-end s’approcha. Léa corrigeait des copies, notait des idées pour le projet, les yeux embués de fatigue. Elle s’apprêtait à fermer son ordinateur quand une nouvelle notification s’afficha.
Un mail. Pas de texte. Juste une pièce jointe.

Objet : Projet
Fichier : mes années à vos côtés.html

Elle hésita un instant. Puis ouvrit.

Un écran noir. Quelques carrés colorés disposés de façon irrégulière. En cliquant sur l’un d’eux, une photo apparut : un gâteau au chocolat, un visage d’enfant surexcité, deux mains posées sur ses épaules. En dessous, quelques lignes :

14 avril 2010 — J’avais 3 ans. J’ai soufflé les bougies deux fois. Papa disait que c’était de la triche. Maman riait.

Elle cliqua sur un autre.
14 avril 2015 — On avait fait un pique-nique. J’avais pleuré parce qu’il n’y avait plus de chips. Papa était allé en racheter.

Chaque carré était une année, un anniversaire, un instant de bonheur figé. Il y avait des extraits sonores : un chant maladroit, le bruit d’un feu de cheminée, un éclat de rire étouffé. Les textes étaient sobres, délicats, sans grand effet. Mais tout transpirait d’un amour profond, d’un lien presque sacré.

Et puis le dernier carré.

14 avril 2024 — Le dernier. J’avais 17 ans. Depuis, j’apprends à faire comme si ça allait.

Léa resta immobile, la gorge serrée. Ce n’était pas un devoir. C’était une confidence. Un cri retenu, déguisé en projet scolaire.

Elle relut la phrase encore, et encore.
Et se demanda, les yeux embués, si ce travail-là ne valait pas plus que n’importe quel bulletin de notes.

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