Léa arriva au lycée avec presque une heure d’avance.
Elle n’avait pas fermé l’œil de la nuit, et après avoir tourné en rond dans son studio, elle s’était décidée à partir. Elle préférait de loin affronter les murs blancs de la salle des profs que son propre reflet dans la bouilloire.
Le couloir était encore calme à cette heure. À peine un ou deux agents qui passaient, une main levée en guise de bonjour. Elle poussa la porte de la salle des professeurs avec une certaine appréhension. Personne. Ou presque.
— Ah ! Bonjour !
Une voix vive, un peu trop réveillée pour l’heure. Une jeune femme était assise sur un des canapés fatigués, un mug dans les mains et un ordinateur posé sur les genoux. Cheveux châtains noués à la va-vite, sweat à capuche gris clair, regard pétillant. Elle se leva presque aussitôt.
— Je t’ai pas encore vue ici. T’es nouvelle ?
Léa hocha la tête.
— Oui. Léa Dumas. Prof d’informatique.
— Abby. Création de contenu numérique. Enfin, officiellement, on dit "Techno appliquée et médias", mais personne comprend ce que ça veut dire. T’as bien fait de venir tôt, le café est buvable à cette heure-là.
Elle rit. Léa esquissa un sourire.
— Je me disais que j’avais le temps de m’installer un peu. Et de me calmer aussi. Je t’avoue que je suis un peu… stressée.
Abby lui tendit un mug et servit une dose de café.
— Première affectation ?
— Oui. Je… j’ai l’impression de jouer un rôle. J’ai peur de pas être prise au sérieux.
— T’inquiète. Au début, c’est normal. Tu vas trouver ton ton. Ta manière d’être. Et si vraiment t’as besoin de souffler, je suis là. On a quelques TP en commun d’ailleurs, j’ai vu ça.
— Ah oui ? C’est bon à savoir. Merci.
— Toujours partante pour faire front à deux. Et t’as une bonne bouille, je suis sûre que les élèves vont pas te bouffer. Pas trop en tout cas.
Léa rit, un peu plus détendue.
Quand la cloche sonna, elle prit une grande inspiration et se dirigea vers sa salle. Elle avait prévu de commencer doucement : présentation du logiciel de montage, exploration libre, discussion. Mais dès l’entrée, elle comprit que quelque chose clochait.
La salle était en ébullition. Certains lançaient des boulettes de papier, d’autres avaient branché des enceintes sur les ordinateurs. Un élève avait même inversé les claviers. Elle tenta de se faire entendre une première fois. Puis une deuxième. En vain.
— Bon… S’il vous plaît… Est-ce qu’on peut commencer ?
Des rires. Zéro réaction.
C’est à ce moment-là qu’elle sentit une présence à ses côtés. Elle tourna la tête. Maël était là, appuyée contre le chambranle de la porte, les bras croisés. Elle n’était pas dans son groupe à cette heure-là. Elle n’avait rien à faire ici.
Elle la fixa un instant, puis glissa, doucement, presque à voix basse :
— Si vous prenez pas votre place, quelqu’un d’autre la prendra pour vous.
Une phrase. C’est tout. Et pourtant, elle se planta dans l’esprit de Léa comme une flèche.
Quelque chose en elle se tendit. Elle inspira. Longuement.
Puis claqua les mains. Fort.
Le silence tomba, surpris.
— Stop. Ça suffit. Je vous ai laissés vous installer, j’ai été sympa pour le début, mais là, c’est terminé.
Les élèves la fixaient, mi-interloqués, mi-amusés.
— Vous êtes censés bosser en TP. C’est censé être plus cool que des cours magistraux. Mais si vous êtes pas capables de respecter un minimum de cadre, on passera à une autre méthode. Et croyez-moi, recopier des pages de théorie toute l’année, c’est pas ce que je préfère. Ni vous.
Un silence s’étira. Puis, doucement, les élèves se rassisent. Rebranchèrent leurs ordis. Les chuchotements reprirent, mais plus discrets. Léa se tenait droite, mains sur les hanches, le cœur battant, les paumes moites. Mais elle avait tenu.
Juste pour aujourd’hui, elle avait tenu.
Au fond de la salle, Maël avait disparu. Mais Léa sentit encore son regard. Comme une petite présence, presque imperceptible. Un déclic.