Depuis l’entretien, Léa se sent à la fois perdue et troublée par ce qu’elle a appris sur Maël. Les révélations sur son passé, cette histoire tragique qu’elle ignorait, la hantent. Elle n’arrive plus à la regarder de la même manière. L’empathie qu’elle ressent pour elle est entachée par cette distance qu’elle a créée, consciemment ou non, depuis ce fameux rendez-vous. Léa aurait voulu agir autrement, trouver les mots justes, mais elle est incapable de le faire. Chaque fois que ses yeux croisent ceux de Maël, elle se sent un peu plus désemparée, un peu plus étrangère.
En classe, les choses ne s’arrangent pas. Dès le début du cours, Léa se sent gênée. Elle a l’impression que toute l’atmosphère de la classe est changée. Le comportement de Maël, son air distant, comme si elle était toujours en dehors du groupe, la perturbe profondément. Pourtant, elle essaie de rester concentrée sur la matière, d’aller droit au but, comme si de rien n’était, mais elle se rend compte qu’elle est moins présente qu’avant. Sa voix est plus froide, son regard plus détaché, et chaque mot semble peser davantage. Elle passe d’un élève à l’autre sans vraiment les voir. Quand Maël lève la main pour poser une question, elle lui répond, mais le ton est plus sec que nécessaire. C’est comme si un mur invisible s’était dressé entre elles, un fossé qu’elle ne sait pas comment combler.
Maël, de son côté, reste calme. Trop calme. Elle ne réagit pas à la froideur de Léa, mais un petit sourire qui n’atteint pas ses yeux laisse parfois penser qu’elle sait. Qu’elle sait que quelque chose a changé. Elle ne le dit pas, mais son comportement en dit long. Les autres élèves semblent n’avoir rien remarqué. Pour eux, la situation reste à peu près normale. Mais Léa, elle, sent le malaise se creuser petit à petit. Plus le temps passe, plus elle se sent étrangère à elle-même, comme si la barrière invisible qu’elle a érigée autour de Maël était la même qu’elle a dressée autour d’elle. Elle a peur de trop s’impliquer. Elle a peur de ne pas savoir comment gérer, de s’effondrer sous le poids de ses émotions.
Ce matin-là, après une intervention de Maël qui semble aussi sèche qu’un constat, Léa ne peut plus le supporter. Elle se permet une pause, une fraction de seconde où elle ferme les yeux, prise dans le tourbillon de ses pensées. Quand elle rouvre les yeux, elle voit Maël. Maël qui ne la regarde même pas, qui est encore plus renfermée que la veille, comme si elle se protégeait de tout ce qui pouvait encore arriver.
Les heures défilent, mais rien n’arrange la situation. Léa se trouve de plus en plus désorientée. Elle n’a jamais été confrontée à un tel conflit intérieur. Elle veut être professionnelle, garder cette image de prof qui garde son calme, mais elle se sent perdue. Comment répondre à un silence aussi lourd ? Comment réagir face à une adolescente qui a tout perdu et qui semble ne rien vouloir laisser transparaître ? La frustration de Léa monte, mais elle la garde pour elle. Elle évite les contacts visuels et tente de se concentrer sur les autres élèves, mais elle a l’impression que tout glisse. Maël continue de ne pas participer, de ne pas réagir. Elle s’isole dans sa bulle, et Léa ne sait plus comment la faire sortir de là.
Au bout d’une heure, elle ne supporte plus cette atmosphère glaciale. La sonnerie sonne, mais avant que les élèves ne s’éparpillent, elle intercepte Maël, qui s’apprête déjà à sortir. Sa voix est plus froide que ce qu’elle voulait, mais elle est aussi un peu plus tremblante.
— Maël, tu veux bien me parler deux minutes ?
Maël, sans même un regard, hoche la tête et reste plantée là. Léa déglutit, mais ne sait pas vraiment comment commencer. Elle aurait voulu lui dire qu’elle était désolée de la traiter comme ça, que ce n’était pas ce qu’elle avait voulu. Mais les mots sont bloqués, comme un nœud dans sa gorge.
— Je sais que c’est pas facile en ce moment, lui dit-elle finalement. Mais tu ne peux pas juste te fermer comme ça.
Maël ne répond pas immédiatement. Elle la regarde, mais d’un regard lointain, presque comme si elle ne la voyait pas vraiment. Puis, doucement, elle murmure :
— Je suis là. Je fais ce qu’on me demande. Vous me demandez d’être là, de faire mon travail. C’est tout.
Léa se sent trahie par ces mots. C’est comme si Maël avait déjà abandonné toute forme de dialogue, comme si elle avait mis un point final à leur relation. Et pourtant, Léa n’arrive pas à lâcher prise. Elle n’arrive pas à se dire que c’est tout. Qu’elle ne pourra pas la forcer à changer, à s’ouvrir. Elle aurait aimé lui dire qu’elle pouvait l’aider, mais elle ne sait pas comment. Tout ce qu’elle sait, c’est que plus elle essaie de faire avancer les choses, plus elle se sent comme une étrangère dans cette situation.
Elle se mord la lèvre inférieure, son regard glissant un instant sur les autres élèves qui quittent la salle. Elle est fatiguée. Fatiguée d’être une simple spectatrice de la détresse de Maël, sans pouvoir agir, sans pouvoir lui tendre une main sincère.
— Je suis vraiment désolée, commence-t-elle finalement, sa voix plus douce. Je crois que je ne trouve pas encore l’équilibre pour te parler normalement. Et ça peut paraître un peu froid, mais… Saches que ce qui s’est passé l’année dernière n’entache en rien ce que je pense de ton travail. Et je pense vraiment que tu mérites d’avoir toutes les clés en main pour obtenir ton diplôme et pouvoir continuer ta vie. Parce que même si tu ne le vois pas maintenant, tout ne s’est pas arrêté l’année dernière. Tu peux encore avancer.
Léa sent son propre cœur se serrer alors qu’elle dit ces mots. Mais elle ne sait pas pourquoi, elle sent que quelque chose a changé dans la pièce, dans l’air. Maël, de son côté, reste silencieuse, sans bouger, mais Léa peut percevoir un petit frémissement, quelque chose d’imperceptible.
Maël ne répond pas immédiatement. Elle reste là, les yeux fixés sur le sol. Léa, elle, attend. Elle se demande si cette simple conversation a pu faire naître quelque chose chez Maël. Un premier déclic, peut-être. Peut-être que cette parole, cette ouverture, allait tout changer. Peut-être que Maël était prête à accepter un peu d’aide. Ou pas.
Léa, troublée, regarde Maël une dernière fois avant de s’éloigner. Elle ne sait pas ce qui va se passer, mais au fond d’elle, elle se dit que c’était un début. Un début d’espoir, même fragile.