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PetitePlume
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Chapitre 8 – Dix-huit ans

Ce matin-là, Maël n’était pas en classe.

Pas un mot, pas un mail. Pas même un message échappé à la hâte. Rien.

Et pourtant, Léa avait guetté. Du regard, du cœur, sans se l’avouer. L’attente s’était installée discrètement, dès les premières minutes du cours, comme une note en suspens. Une absence trop silencieuse.

Elle tenta de se concentrer. De faire comme si. Elle lança le cours, corrigea des exercices, répondit à une question sur un bug de code mal fermé. Mais chaque mouvement lui coûtait un effort, comme si une partie d’elle continuait de fixer cette chaise vide au fond, près de la fenêtre.

La matinée passa, à moitié floue.

C’est en salle des profs qu’elle croisa Abby, accoudée à la machine à café. Elle semblait l’attendre. Ou peut-être pas. Peut-être que c’était juste un hasard.

Mais dès qu’elle vit son visage, elle fronça doucement les sourcils.

— Tu sais qu’elle est pas là, hein ?

Léa ne répondit pas. L’inquiétude avait creusé un sillon discret entre ses sourcils.

Abby soupira, posa son gobelet, et dit simplement :

— C’est son anniversaire aujourd’hui. Elle a dix-huit ans.

Un blanc.

Comme une évidence qu’on aurait dû deviner. Comme un poids supplémentaire sur la poitrine.

Dix-huit ans.

Pas un jour anodin. Pas pour Maël. Pas après ce qu’elle avait traversé.

Léa hocha la tête, lentement. Elle voulait dire quelque chose, mais les mots restaient coincés.

L’après-midi, entre deux corrections, seule dans la salle d’informatique, elle alluma son écran. Elle ne savait pas exactement ce qu’elle cherchait. Peut-être un signe. Une trace. Un point d’ancrage. Elle n’avait pas le droit de fouiller, elle le savait. Mais elle était trop inquiète pour s’en tenir à ce que le cadre autorisait.

Elle accéda à l’espace personnel de Maël. Quelques lignes de code suffirent. Rien de compromettant. Rien d’alarmant. Juste… des silences, encore.

Et puis, dans les données de navigation d’une application de cartographie, une localisation récente. Un point épinglé.

Le cimetière.

Elle sentit son cœur se serrer.

Sans un mot, elle ferma l’ordinateur, éteignit l’écran.

Elle hésita longtemps.

La fin de journée approchait. Le soleil, timide, jetait des reflets pâles sur les vitres de la salle. Il y avait encore des copies à corriger, des mails à traiter, un emploi du temps à boucler. Mais elle n’arrivait pas à se concentrer. Tout ce qu’elle faisait sonnait faux. À côté.

Alors, elle prit ses affaires, attrapa sa veste, et sortit.

Le cimetière n’était pas loin. Une dizaine de minutes à pied depuis le lycée. Elle n’y était jamais allée. Pas ici. Pas dans cette ville. Mais le trajet s’imposa à elle comme une évidence silencieuse.

En chemin, elle se surprit à penser à mille choses. À Maël, évidemment. À ses silences, ses coups d’éclat, ses regards en coin. À ce qu’elle savait d’elle — et à tout ce qu’elle ne savait pas. À cette phrase qu’elle avait osé lui dire, presque malgré elle, quelques jours plus tôt.
Ta vie ne s’est pas arrêtée l’an dernier.

Elle s’en voulait un peu maintenant. Ce genre de phrases, parfois, ça peut heurter plus qu’aider. Mais sur le moment, elle avait cru que c’était juste. Qu’il fallait le dire.

Léa poussa le vieux portail en fer. Le grincement résonna dans le calme du cimetière. Elle avança, lentement, sans vraiment savoir où aller. Son souffle était calme, mais ses pas hésitants.

Et puis, au détour d’une allée, elle l’aperçut.

Maël, assise sur un petit banc en pierre, devant une tombe. Le dos un peu voûté. Les mains croisées sur ses genoux. Elle ne pleurait pas. Ne bougeait presque pas. Elle semblait juste… présente. Comme figée dans le moment.

Il faisait froid.

Pas le froid mordant de l’hiver, mais un de ces froids traîtres du printemps, qui s’infiltrent doucement sous les vêtements quand on reste trop longtemps immobile. Maël était assise là depuis des heures, sans bouger, et ça se voyait. Son visage était pâle, ses épaules rentrées, ses mains rougies.

Léa l’observa un instant, puis, sans un mot, retira sa propre veste. Elle la posa délicatement sur les épaules de Maël. Le geste était simple, presque maladroit, mais il portait toute la tendresse qu’elle n’arrivait pas à exprimer autrement.

Maël tressaillit, puis tourna lentement la tête vers elle.

Et sans rien dire, elle pencha doucement la tête contre l’épaule de Léa.

Un frisson passa dans le dos de cette dernière. Mais elle ne bougea pas. Elle resta droite, silencieuse, le regard perdu devant elle.

Alors Maël parla, d’une voix basse, comme si elle glissait ses mots entre deux respirations :

— Je les revois encore. Ce matin-là. Mon père voulait pas qu’on parte, y avait du brouillard. Mais ma mère, elle disait que c’était pas grave, qu’ils avaient l’habitude… Je leur ai dit au revoir vite fait. J’avais un truc à faire, je me souviens même plus quoi. Et puis... voilà.

Elle inspira, trembla un peu. Léa sentit son épaule se mouiller légèrement.

— J’ai pas su quoi faire après. J’ai tout mis dans une boîte. Mon enfance, les souvenirs, les anniversaires. J’ai verrouillé. Et j’ai attendu que ça passe. Mais ça passe pas, en fait. Ça s’empile.

Elle releva à peine la tête, sans vraiment regarder Léa.

— J’crois que j’en ai marre d’attendre que ça passe.

Léa tourna légèrement le visage vers elle.

— Alors on va faire autrement.

Un silence. Puis elle reprit, plus doucement :

— Et si, chaque 14 avril, on plantait quelque chose ensemble ?

Maël releva légèrement la tête, intriguée.

— Un truc simple, ajouta Léa. Une graine, une fleur, un arbre... Peu importe. Quelque chose qui pousse, chaque année. Quelque chose qui reste.

Elle marqua une pause, puis sourit légèrement :

— Tu choisis le lieu. Et on le fait à deux. Si t’as envie. Pas pour tourner la page, pas pour oublier... Juste pour faire une place. Une petite place à ce qui continue.

Maël ne répondit pas tout de suite. Mais elle ne s’éloigna pas non plus. Sa tête resta posée là, contre elle, un peu plus détendue.

Et dans l'air figé de ce début de soirée, Léa se surprit à espérer.

Peut-être qu’au creux de cette journée silencieuse et douloureuse, quelque chose venait de s’amorcer.
Un lien.
Un chemin.
Ou un tout petit début de lumière.

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