Madelynn

—Tu étais où ? me demande mon père lorsque mon pied se pose dans le hall d'entrée.

—À la boxe, et j'ai mangé dehors.

—Tu peux m'expliquer la vidéo qui tourne sur le net ? Stéphanie me l'a envoyée ce matin.

Il est assis dans un fauteuil du salon. Je défais mes lacets en lui répondant :

—Le nouveau a eu des ennuis avec Will Dangrey, je l'ai aidé. C'est tout.

—C'était ton seul but ?

—Je te le promets. J'ai dit au nouveau de t'en parler mais il n'a pas voulu.

Je me relève et plante mon regard dans le sien comme pour prouver que mes propos sont vrais. Il me sonde et acquiesce sans se défaire de son air autoritaire.

Ses cheveux se grisent de plus en plus avec le temps et son visage devient terne et strié de rides malgré son âge moyen. Ses lourds sourcils et son regard invoquent le respect chez quiconque lui parle, hormis chez moi. Car je l'ai vu se transformer en ce qu'il est aujourd'hui. Car je sais qui il était avant.

—Très bien, je m'entretiendrais avec lui et Will dans ce cas. Tu n'as pas été blessée ?

Je secoue la tête.

—Non, une amie du nouveau nous a aidé à nous tirer d'affaires, tout est rentré dans l'ordre.

Je prends soin d'omettre le détail de la voiture déboulant sur le parking. Il pousse un soupire avant de reprendre la lecture de la paperasse, visiblement déjà lassé de ma présence et de cette discussion.

—Je tirerai le fin mot de cette histoire lundi, tu n'es pas punie, dit-il comme si j'aurais dû l'être.

Encore heureux ! Me punir pour avoir aidé un nouvel élève serait le comble !

Je me retiens de lui dire le fond de ma pensée. Pour lui, ne pas me punir mérite reconnaissance et gratitude de ma part. Sans lui donner satisfaction, je pars prendre une douche et m'habiller.

J'ai vraiment envie de rejoindre Léo chez Anyka mais devoir passer par le numéro de Taylor me contrarie. Surtout quand j'ai mis un point d'honneur à l'ignorer et l'éviter la semaine passée. Je vais plutôt appeler Léo une fois que je serai prête.

Je me lave puis me prépare rapidement, pressée de quitter cette maison. Mon jean préféré est de sortie, j'y ajoute un t-shirt à l'effigie d'un groupe de rock et mes baskets en tissu noires. J'attache mes cheveux en queue-de-cheval et ajoute un peu de mascara et de baume à lèvres avant d'appeler Léo. Il décroche à la seconde sonnerie.

—Ouais ?

—C'est toujours bon pour cet après-midi ?

—Ouais ! Je t'envoie l'adresse et je préviens Anyka que tu arrives.

—D'acc ! Je me mets en route.

Je raccroche et attrape un sac à main dans lequel je mets mes essentiels et un maillot de bain ainsi qu'une serviette en plus. Le soleil dehors m'incite à ne pas mettre de veste pour la première fois de l'année. Je me rends dans le hall pour attraper mes clés.

—Je sors !

—Tu vas où ? demande mon père en me rejoignant.

Il s'appuie contre le mur de l'entrée du salon et me toise durement avec ses yeux gris.

—Chez Anyka, une connaissance. Elle m'a proposé de passer chez elle pour me baigner.

—Tu veux que je t'emmène ? Je dois sortir faire des courses.

Je réfléchis avant d'accepter. Cette offre est trop rare pour gâcher le gain de temps d'un trajet en voiture.

Nous partons donc dans sa voiture toujours impeccablement propre. Il me dépose après un long silence qui a duré tout le long de l'itinéraire. Il m'indique de rentrer à une heure convenable avant de repartir.

Je m'avance sur le péron et sonne. J'entends d'ici les cris et la musique qui proviennent du jardin de cette belle maison de plain-pied.

C'est Taylor qui m'ouvre. Il a les cheveux mouillés et une serviette autour de la taille. Son torse est bien taillé quoiqu'un peu maigre. Il paraît beaucoup plus musclé que lorsqu'il est habillé. Je m'attarde un peu trop à le détailler.

—Te voilà ! Anyka est dans l'eau.

Il me laisse entrer. L'intérieur de cette maison aux inspirations indiennes est chaleureux et accueillant. Les couleurs s'entrechoquent dans un mélange qui remplit de vie le salon et la salle à manger. Je suis Taylor jusqu'au patio du jardin. Il se conduit bizarrement mais je ne m'attarde pas à chercher pourquoi. Deux carafes sont posées sur la table basse du salon d'extérieur.

—Madelynn ! s'exclame Anyka en arrivant vers nous.

—Merci encore pour l'invitation, dis-je avec un sourire.

—C'est moi qui te remercie d'être venue. Tu veux quelque chose à boire ?

—Je devrais me changer avant, non ?

—Je vais lui montrer la salle de bain, dit Taylor à Anyka en m'entraînant de nouveau à l'intérieur.

Sa main a attrapé mon bras dans un élan étrange, qui ne lui ressemble pas. Je me libère de son emprise une fois dans le salon. Le geste doit être plus brusque que voulu puisque Taylor s'arrête pour me demander :

—Quelque chose ne va pas ?

Il se retourne vers moi. Son visage se ferme un peu.

—Pourquoi tu ne m'a pas appelé ? souffle-t-il visiblement déçu.

—Pourquoi ? J'aurais dû ?

Il ne répond pas et part dans le couloir. Il ouvre une porte coulissante.

—Voilà la salle de bain, les serviettes sont aux bords de la piscine si tu n'en as pas.

Il se volatilise, me laissant seule dans la salle d'eau.

Et bah, je sais pas quelle mouche l'a piqué mais il est gravement atteint !

Je me dépêche d'enfiler mon maillot de bain deux pièces. Il est noir, simplissime. Je noue ma serviette autour de ma taille, prends mes affaires puis ressors.

Je dépose mon sac et mes vêtements sur la table de la salle à manger dont la baie vitrée est grande ouverte sur le patio. Je sors et profite du soleil qui tape particulièrement fort. Je réponds à l'appel de la limonade en prenant un verre avant de m'approcher du bord de la piscine creusée où tout le monde discute. Je pose ma serviette sur un transat et m'assieds, les pieds dans l'eau.

—Alors il te voulait quoi ton père ? m'interroge Léo.

—Rien d'important, il a vu la vidéo de la bagarre avec Will.

J'ai bien sûr raconté mes péripéties à mon ami qui m'avait félicité pour mon acte de courage. Lisa ajuste ses lunettes de soleil et tourne la tête vers moi.

—Il va faire quelque chose ?

—Il veut convoquer Will et Taylor pour en parler. C'est tout ce que je sais.

Je bois une gorgée de limonade.

—Tu as pensé à la crème solaire ? me demande Anyka en sortant de l'eau. Je vais m'en remettre, tu veux que je t'en passe aussi un peu ?

—Euh... Ouais. Merci.

Sa gentillesse me prend de court et me déstabilise un peu tandis qu'elle part chercher le flacon pour s'en étaler avant de s'asseoir derrière moi pour m'en appliquer sur le dos. Je décide de faire la conversation :

—Et sinon c'était bien le musée ?

—Absolument génial ! Tu aurais dû venir avec nous, Taylor et moi avons pu voir pleins de choses !

Je connais Anyka depuis longtemps mais nous avons toujours été de simples connaissances qui se donnaient des coups de main de temps en temps. Il faut dire que je n'ai pas l'habitude de traîner avec des gens de mon lycée, la plupart du temps je passe mes week-ends à la boxe ou dans ma chambre quand mon père n'est pas là.

—On se fera un truc à deux un de ces quatres, me propose-t-elle. Voilà ! Tu n'auras pas de coups de soleil comme ça !

—Merci.

Elle pose la crème à l'ombre près du transat et se remet à l'eau. Je discute un peu avec Léo et George qui décident ensuite de me tirer de force dans l'eau une fois leurs patiences écoulées.

—Bataille des cavaliers ! proclament Chloé depuis les épaules de George.

Anyka se précipite sur Léo et grimpe sur ses épaules. Des mains viennent m'agripper les hanches et je me retrouve sur celles de Taylor qui émerge de l'eau en m'élevant dans les airs. Mes yeux ne m'ont pas trompé : il est bel et bien plus musclé et robuste qu'il n'y paraît.

Je me laisse emporter dans la bonne ambiance générale et joue le jeu sans descendre du dos de l'irlandais qui a fini par revêtir son habituel sourire rempli d'enthousiasme.

Nous combattons pendant plusieurs minutes. Je ris lorsque Chloé tombe à la renverse après que je lui ai chatouillé les côtes. Anyka ne m'épargne pas et tente de me déséquilibrer. C'est finalement Léo qui met fin au combat en faisant un croche-patte à mon destrier. Nous finissons tous les deux sous l'eau.

Anyka profite de sa victoire tandis que je repousse mes cheveux que j'avais détachés vers l'arrière de mon crâne. Taylor ressort de l'eau à son tour. Je lui jette un coup d'œil et nous éclatons de rire. Il me coule une fois, en me poussant en arrière. Nous nous retrouvons encore sous l'eau face l'un à l'autre. Je garde les yeux ouverts tout comme lui. Mes cheveux nagent de part et d'autre de ma tête mais tout semble s'arrêter. Il se comporte bizarrement, il ne s'approche pas mais ne s'éloigne pas non plus. Il me sonde de ses yeux qui étaient bien plus timides il y a quelques jours. Quelque chose, une alchimie se propage entre nos deux corps. Nous restons là, sous l'eau qui brûlent nos pupilles, à nous regarder, figés hors du temps.

À bout de souffle je remonte à la surface. Taylor fait de même. Nous ne nous adressons pas un mot, conscient de ce qu'il s'est produit sous l'eau sans vouloir l'admettre. Je nage vers le bord de la piscine où je m'accoude. Léo et George plongent en faisant une bombe. Anyka et moi explosons de rire en voyant Chloé protéger comme elle peut des projections ses lunettes de soleil qu'elle tenait à la main. L'instant hors du temps se dilue dans le présent, où les sourires règnent. Cette après-midi est sans conteste, une des meilleures de ma vie.