Taylor

Je pose mon premier pied depuis des mois dans ma ville natale. J'ai le cœur plus léger qu'à mon départ. Quitter Madelynn n'aura pas été facile, mais je suis soulagé que le moment des 'au revoir' soit passé. Je me dis que je suis plus proche de la revoir à chaque seconde qui passe. Ma tête fait un rapide calcul.

3 628 800 secondes nous séparent.

Je grimace, d'accord, je trouverai plus motivant plus tard.

Le vol de nuit m'a permis de me reposer dans l'avion, il est à présent un peu moins de sept heures du matin ici. Le jetlag me fatigue un peu mais je le tolère assez bien.

Ma mère et ma sœur m'attendent devant l'aéroport. Kaly tient une pancarte avec marqué 'Bon retour TayTay !'. Je souris en m'élançant vers elle, traînant ma valise derrière moi.

—Taylor ! s'exclame ma mère en me voyant.

Kaly tourne son regard vers moi. Dès qu'elle m'aperçoit, elle se met à courir en ma direction, laissant tomber le morceau de carton. Je lâche mes sacs ainsi que ma valise pour l'attraper et la faire tournoyer dans les airs. Ses cheveux bouclés volent dans tous les sens. Elle serre de toutes ses forces ses bras autour de mon cou.

—TayTay ! dit Kaly en me serrant encore plus fort.

—Tu vas m'étouffer Kaly... dis-je doucement.

Finalement elle me lâche et je la repose à terre. Je m'avance vers ma mère pour la prendre à son tour dans mes bras.

—Tu m'as manqué, me dit-elle.

J'inspire l'odeur de son parfum, me rendant compte à quel point il m'avait manqué.

—Toi aussi, je chuchote.

Kaly tire sur ma manche.

—Alors tu as ramené une dent de requin ?

Elle affiche un sourire taquin. Je lui ébouriffe les cheveux.

—Toujours pas, je réponds.

Ma mère sourit en voyant ses deux enfants réunis.

—Aller, en avant mauvaise troupe ! On y va !

Nous partons donc vers le parking. Ma soeur porte un de mes sacs les plus légers tandis que ma mère me débarrasse de ma valise pour la tirer derrière elle.

Je retrouve la vieille voiture de ma mère. Je m'installe à l'avant après avoir mis mes bagages dans le coffre.

—Ton père va changer cette voiture, me déclare ma mère sans transition. Comme il a enfin réussi à ouvrir un prêt pour la maison, il veut en profiter pour changer ça aussi.

J'acquiesce, je commence à être habitué à ses annonces inattendues.

—Et du coup on a une date précise pour le déménagement ? je demande en tapant un message à Madelynn qui doit dormir puisqu'il est deux heures du matin chez elle.

—Dans une petite semaine, ton père a déjà commencé à regarder pour la location d'un camion, même s'il veut aussi changer certains meubles.

Autant de changements d'un coup ! Ma mère roule des yeux quand je lui lance un regard étonné.

—Il avait besoin de ce poste pour avoir le prêt. Maintenant, il veut profiter et nous offrir le meilleur.

—Et la librairie ? dis-je en regardant le paysage défiler sous le lever de soleil.

Ma mère me jette un regard en coin.

—Pour la boutique, j'ai réussi à le convaincre de me laisser la gérer quelques mois pour lui laisser le temps de choisir s'il veut la vendre ou non. Il ne veut toujours pas attendre que j'ai retrouvé ma forme depuis maintenant des années, mais il commence à comprendre qu'il ne pourra pas me forcer à me reposer toute ma vie.

Je hoche la tête et passe une main dans mes cheveux. Mon père a toujours refusé que ma mère travaille à cause des soucis de santé qui sont apparus après la naissance de Kaly. C'est à ce moment-là qu'il a quitté son ancien emploi pour fonder sa propre boutique. Ça marchait bien au début, mais quand les ventes ont baissé et l'inflation augmenté, nous avons dû revoir nos dépenses à la baisse.

Je suis étonné de savoir que ma mère va occuper un emploi : elle était secrétaire autrefois, mais elle n'a jamais retravaillé après son arrêt maternité. D'une part à cause de sa santé, mais même après son rétablissement, mon père insistait pour qu'elle se ménage. Néanmoins, ma mère ne pouvait pas supporter de se reposer pendant qu'il se tuait à la tâche. Elle a dû insisté des jours et des jours pour qu'il accepte qu'elle travaille avec lui. Et depuis, elle contribuait donc à l'aider à la boutique où il pouvait veiller sur elle.

Je me perds dans mes pensées en tentant de réorganiser le chaos qu'est mon esprit.

—Elle te manque ? me demande soudainement ma mère. Madelynn, précise-t-elle.

Non pas qu'elle n'ait besoin de le faire, puisque je ne pense qu'à elle. Je mords l'intérieur de ma joue.

—Oui, beaucoup.

—Elle vient quand ?

—Dans 6 semaines, une fois que ses examens sont passés. Son père veut lui trouver un appartement d'ici là.

Ma mère fronce les sourcils.

—Mais elle peut venir à la maison, il y aura plus de place que dans notre appartement et puis comme ça elle pourra visiter elle-même les logements pour son année ici.

Je souris de toutes mes dents.

—Vraiment ?

—Mais bien sûr ! Ça ne dérangera personne ! N'est-ce-pas Kaly ?

—Hein ? dit ma petite-sœur qui jouait sur sa nouvelle console de jeu.

—Tu es d'accord pour que la copine de Taylor vienne dans quelques semaines ?

—Ouiii ! s'exclame-t-elle.

Je ris face à son enthousiasme avant de répondre à ma mère :

—Merci beaucoup, je lui en parlerai.

Elle acquiesce et ajoute :

—J'en discuterai avec ton père. En attendant, Mélanie va venir te donner tous les cours que tu as loupé, je compte sur toi pour réussir à tout reprendre avant tes examens !

Mélanie est la déléguée de ma classe. Je ne suis pas spécialement proche d'elle, mais je sais que sa mère est une amie de la mienne.

—Ne t'en fais pas, j'ai bien travaillé là-bas donc je n'ai pas perdu de temps et puis j'ai tenté de m'avancer sur les programmes pour ne pas avoir de retard ici.

—Je suis fière de toi, répond ma mère. Et je suis heureuse de voir que tu es resté sérieux malgré toutes tes péripéties. Ton père attend avec impatience un résumé complet de tes aventures !

Je pouffe.

—Je compte bien tout vous détailler !

—Tu nous montreras des photos ? m'interroge Kaly en se penchant vers mon siège.

—Bien sûr ! J'irai en faire imprimer, tu n'auras qu'à m'accompagner.

Elle accepte avant de retourner à son jeu.

J'écris à Madelynn :

"Je suis bien arrivé, tout va pour le mieux, je déménage la semaine prochaine. J'ai hâte de pouvoir t'appeler, j'ai des choses à te dire !

Je t'aime même à 6000km, dors bien <3"

Je décide ensuite d'envoyer un message au groupe de discussion de la bande :

"J'ai atterri, tout s'est bien passé. Je vous enverrai des photos de ma ville dans quelques jours. Le temps est bien moins clément ici ! Vous me manquez.

N'oubliez pas d'assurer à vos examens ! On s'appelle un de ces quatres !"

Une fois tout ça fait, je verrouille mon téléphone et pose ma tête contre la vitre. C'est étrange de se retrouver ici après tout ce qu'il s'est passé. Je sais que j'ai encore pas mal de choses à faire, entre le déménagement, les cours, les examens et l'inscription à l'université, je ne vais pas avoir le temps de me reposer. Je repense à tous les moments passés là-bas, me promettant d'y retourner et de tous les revoir.

Mon téléphone vibre.

"Super ! J'allais aller me coucher (j'ai eu une petite insomnie mais j'en ai profité pour réviser). Moi aussi j'ai hâte et tu me diras tout ça dans quelques heures.

Je t'aime aussi, même à 6000km. Passe une bonne journée <3"

Je souris, c'est bien Madelynn ça. Je suis sûr qu'elle a juste attendu que je lui dise que j'étais arrivé. Je songe que je pourrais l'appeler ce soir tandis qu'un sourire naît sur mes lèvres. Nous arrivons peu à peu vers chez moi, où du moins ce qui le sera encore pour une semaine, avant de repartir dans une nouvelle maison.

Une nouvelle maison, pour une nouvelle personne.

J'ai beaucoup changé lors de ce voyage : je suis plus assuré, Madelynn m'a beaucoup influencé. Lisa et Anyka aussi d'ailleurs. George m'a aidé à rester attentif aux autres, tandis que Léo m'a appris à me défendre et imposer mes limites. Et Davis m'a enseigné à voir à travers le masque de Madelynn et de bien d'autres personnes.

Je ne suis plus le même, et c'est pour le mieux.

En sortant de la voiture, j'inspire l'air humide du matin.

J'ai encore bien des choses à faire, ne traînons pas.

Je monte mes valises, prêt à reprendre mon ancienne vie, et surtout, prêt à la remanier à la manière de mon nouveau moi.