Taylor
Je m'affale sur mon matelas. Cette soirée s'est éternisée jusqu'à la fermeture du Bowling, après minuit. J'ai le sourire aux lèvres. Madelynn était si heureuse, ça m'a fait un bien fou de la voir ainsi.
Le gâteau commandé par Léo était extra, un subtile mélange de chocolat et de mousse à la vanille. Les cadeaux ont fait monter les larmes de Madelynn qui n'a pas été aussi gâtée depuis des années.
Elle m'a parlé de ses derniers anniversaires et je n'ai pu que tenter de rattraper le coup. J'ai toujours fêté le mien avec ma famille et mes amis depuis ma naissance. Ma mère fait toujours en sorte de m'obtenir un gâteau et un cadeau chaque année. Même sans une fête grandiose, cette journée est rendue spéciale par mes proches. Lorsque j'ai su pour ce qui en était de Lynn, j'ai ressenti un pincement au cœur en me mettant à sa place.
La voir sourire ce soir à été mon premier objectif et j'ai réussi. Je ne l'ai jamais vue aussi détendue et heureuse depuis mon arrivée.
Je pousse un soupir. La fatigue s'installe peu à peu mais je la refoule : j'ai encore une chose à faire ce soir.
Je compose un numéro sur mon téléphone.
—Taylor ! Ça me fait plaisir de t'entendre !
La matelas grince sous mon corps alors que je m'assieds. Mia, la chatte de Mme Berkley, entre dans ma chambre pour venir se frotter contre mes jambes. J'en profite pour caresser sa tête.
—Salut Maman. Comment ça va ?
—Bah super et toi ? C'est bien l'Amérique ? s'enthousiasme-t-elle
—C'est génial.
—Il est quelle heure chez toi ?
—Une heure du matin passée, je rentre d'un anniversaire, dis-je.
—Oh ! L'anniversaire d'un de tes amis ?
—Oui, enfin d'une amie.
Je sens son envie de me poser des questions. Cependant, elle marque un temps avant de reprendre la conversation sur tout autre chose :
—Ton père doit passer un entretien aujourd'hui.
Le changement de sujet est violent, il me laisse bouche bée quelques secondes.
—Vraiment ?
—Il a réussi à trouver un poste dans la ville voisine, qui comblerait largement nos fins de mois difficiles. Il était très stressé en partant. Il a dit que du coup s' il arrivait à décrocher le travail, on pourrait emménager dans un appartement plus grand, voire une petite maison.
J'entends sa voix se tordre d'émotion à travers l'appareil. Mon esprit se retient de poser un million de questions au sujet de la librairie et de ce qu'il adviendra d'elle si mon père se fait embaucher.
—Ça serait génial !
—Oui ! Kaly lui a fait répéter sa présentation tous les soirs. Il se donne vraiment du mal pour nous... dit ma mère, une pointe de tristesse dans ses mots.
—Elle va bien d'ailleurs ? repris-je en lui changeant les idées.
—Tu connais bien ta sœur, rien ne peut l'abattre ! Mais je pense que tu commences à lui manquer.
—Ça fait à peine un mois que je suis parti !
—Je sais bien, mais elle a hâte de te revoir.
C'est vrai que j'ai déjà laissé s'écouler plus de la moitié de mon séjour ici. Rien que d'y penser, mon coeur se resserre. Je déglutis à la pensée de repartir. Ma mère perçoit mon malaise et relance :
—Et toi alors ? Tu vas bien ?
—Oui ! Ça va. J'ai de super amis, on sort beaucoup. Les cours sont globalement faciles. Mais je dois bien avouer que je dois avoir triplé ma consommation de fast-food depuis que je suis arrivé !
—Ça ne m'étonne pas de toi ça ! Si je ne suis pas là pour te rappeler de manger tes légumes, tu les oublies bien vite ! rigole-t-elle.
Nous rions. C'est vrai que je n'ai jamais été penché sur les aliments végétaux. Lorsque j'étais enfant, ma mère les cachait dans des plats que j'adorais : des lasagnes à la courgette, des spaghetti aux brocolis... Elle a toujours été très créative pour me faire manger des légumes.
—Tu devrais nous envoyer des photos de toi avec tes amis ! Je pourrai en faire imprimer pour la famille !
De là, elle commence un monologue sur le mariage de ma tante, programmé l'année prochaine. Le baptême de la cousine, le nouvel petit-ami d'une autre. Elle me raconte tous les appels vidéos que j'ai loupé : la famille a pour habitude de s'appeler toutes les deux semaines.
—C'est génial tout ça, dis-je une fois qu'elle finit par me laisser la parole.
Je mordille ma langue, hésitant. J'ai besoin de ses conseils pour l'histoire de Madelynn mais je ne sais pas comment aborder le sujet.
—Enfin bref, tout le monde va bien, soupire ma mère.
Un ange passe. Je me décide enfin à lui demander :
—Maman, j'avais une question...
—Dis-moi ?
—Tu penses qu'une jeune fille pourrait porter plainte sans le soutien de son responsable légal ?
—Pourquoi cette question Taylor ? Il s'est passé quelque chose ?
Son ton devient sérieux, prenant conscience de la gravité d'une telle question. Je soupire. Je ne voulais pas en parler à ma mère, mais on dirait que je n'ai plus vraiment le choix.
Je commence par lui expliquer ma rencontre avec Lynn, les disputes, la distance et enfin l'épisode de la soirée. Je ne rate aucun détail. Je ne cache pas non plus que nous nous sommes embrassés, ni que nous avons une relation proche d'un couple.
Même si ce n'est pas encore réellement le cas.
—Je vois... dit ma mère dans le combiné, je l'entends lâcher un soupire avant de reprendre. Je ne sais pas comment est la loi en Amérique mais je suppose qu'elle pourrait déjà montrer les preuves à son père.
—Elle n'acceptera jamais. Connaissant Madelynn, elle préfèrera frapper un grand coup pour révéler à tous les méfaits des deux abrutis. Et puis son père pourrait toujours dire que c'est du faux, même avec la vidéo.
Cette pensée me noue l'estomac de frustration face à mon impuissance si ça devait se passer ainsi.
—Ce n'est peut-être pas une mauvaise idée de le révéler au public alors. Si elle fait suffisamment de bruit, son père sera obligé de reconnaître les faits, admet ma mère après un moment.
—Ça l'empêcherait de se défiler... Tu as raison.
—J'ai toujours raison mon fils. C'est mon super-pouvoir !
Je rigole doucement.
—C'est ça !
—Et donc cette fille te plaît vraiment ? me demande-t-elle avec une voix un peu aiguë.
—Je crois bien que oui. Elle m'a paru vraiment froide au début, mais plus j'apprends à la connaître plus elle me plait.
—Tu m'enverras une photo ! Je veux pouvoir voir le visage de celle qui fait chavirer mon fils !
Je rigole.
—D'accord, je t'envoie ça !
—Et tu nous appelleras en vidéo avec elle aussi ! renchérit ma mère.
—On verra ça. Je ne tiens pas à ce que tu la fasses fuir tu sais.
Je l'entends pouffer.
—Tu exagères !
—Je n'en suis pas si sûr.
Je ris encore alors qu'elle énumère des arguments pour me prouver que j'ai tort. Une fois qu'elle a fini, je ne prends même pas la peine de répondre à ces derniers et conclus :
—Bon, je vais devoir te laisser, mon lit m'appelle.
—Oui mon chéri, va te reposer !
—Je t'aime, on se revoit bientôt.
—Je t'aime aussi, dors bien.
—Bisous.
Je raccroche. J'enfile un pyjama et me glisse sous les draps. Mia a annexé le second oreiller de mon lit. Elle ronronne lorsqu'elle me sent la caresser doucement avant de fermer les yeux.
Il me reste encore plus de trois semaines ici. J'essaye de ne pas penser à la séparation avec Lynn, ni avec la bande. Je ne sais pas comment ça va se passer. Je pense en parler à Lisa, et à Madelynn. De toute manière, d'ici quelques jours nous risquons de nous revoir durant une énième sortie. Il me semble avoir entendu parler d'un projet d'un autre pic-nique durant la fête au bowling.
Je réfléchis pendant de longues minutes avant de réussir à trouver le sommeil, malgré mes nombreuses inquiétudes.
Dans mes rêves, je revois le magnifique sourire de Madelynn, le bracelet à son poignet, tous mes amis réunis. Tout cela s'est bâti en si peu de temps, et pourtant j'ai l'impression que ça a duré des années.
Tout ça, car j'ai osé.