PDV Omniscient
—Gagné ! dit Hugo en levant les mains.
Ça faisait déjà trois parties d'affilée qu'il gagnait contre tous les amis de Taylor à un jeu de voiture.
—Tu triches ! se plaignit Sébastian en s'enfonçant dans le canapé.
—Mais non, il a juste plus joué aux jeux-vidéos que nous tous réunis, rétorqua Nick. Au détriment de ses études... ajouta-t-il pour taquiner le concerné.
—Eh ! C'est pas vrai ça ! protesta Hugo.
Toute la bande de garçons rit.
—Voilà la limonade les gars ! proclama Alice en entrant dans le salon, un plateau à la main. Tout va bien Taylor ?
Ce dernier se rongeait les ongles depuis quelques minutes. Il n'avait pas la tête à jouer avec ses amis.
—C'est juste que les résultats de Madelynn tombent aujourd'hui, ça me stresse un peu.
—T'en fais pas ! Tu vas la revoir ta chérie ! dit Hugo en se moquant de l'attitude de son ami.
—C'est vrai qu'on ne peut pas en dire autant de toi, lui répliqua Alice. Puisque tu n'en as pas !
Hugo rit face à cette pique.
—Je suis sûr que tout va bien se passer, dit Nick en regardant Taylor. Pour elle comme pour toi. J'ai hâte de la rencontrer, depuis le temps que tu nous parles d'elle !
C'est vrai que le sujet de conversation préféré de Taylor était sa copine. Il pensait à elle chaque minute, il lui envoyait des messages régulièrement pour savoir si elle allait bien, si elle avait bien mangé, ce qu'elle faisait de sa journée. Enfin, ça s'était lorsqu'il était sûr qu'elle ne dormait pas, donc tôt le matin ou tard le soir. Il était perçu comme un 'canard' aux yeux de ses amis, mais à lui comme à elle, ça leur convenait parfaitement.
Vivre en différé avait des avantages ceci-dit. La journée il pouvait ne penser qu'aux cours ou qu'à ses amis sans avoir à se soucier de savoir comment allait Lynn ou ce qu'elle faisait.
Le déménagement jusqu'à son nouveau chez-lui s'était aussi très bien passé. Il avait une nouvelle chambre, et dans sa large penderie il avait pris soin de laisser des étagères de libre pour accueillir les affaires de Madelynn.
Il avait aspergé de son parfum sur son oreiller tous les trois jours depuis qu'il était rentré. Il l'aimait. Il l'aime si fort.
Ça n'avait pas échappé à sa mère d'ailleurs. Elle lui rappelait que le temps s'écoulait plus vite lorsqu'il n'y pensait pas. Elle s'amusait à lui faire des petites surprises comme une journée à la plage ou un tour au karting pour lui changer les idées lorsqu'il avait un coup de mou.
Enfin, les deux premières semaines avaient été dures, mais au final, Taylor avait su voir le bon côté des choses et attendre sans avoir de peine à cause du manque.
Il expira et secoua sa tête pour reprendre sa journée avec ses amis.
Ce n'était qu'une question de temps après tout...
Le voyage qui devait être un simple échange s'était révélé être un tournant dans sa vie. Il avait appris et découvert des choses, des aspects de lui-même dont il n'avait pas conscience. Il avait promis à sa sœur de l'emmener là-bas un jour, enfin, ça c'était si elle ne faisait pas le même échange que lui quand elle sera plus grande. Ses parents, quant à eux, avaient été fiers de le voir revenir aussi changé, plus confiant, plus ouvert et sociable.
Il avait réussi à enfin connaître plus profondément les membres de l'équipe de basket dont il faisait partie depuis des années. Ça l'avait d'ailleurs amené ici : chez un de ses nouveaux amis, pour une après-midi avec d'autres lycéens.
Là où l'ancien Taylor n'aurait pas ouvert la bouche après l'entraînement, il avait réussi à leur proposer d'aller boire un verre. Et de fil en aiguille il s'était imposé comme un membre fort de l'équipe. Même si l'année se finissait, il était heureux de ne pas avoir loupé des moments pareils.
Le basket était peut-être terminé, mais son été ne faisait que commencer, et il promettait d'être très spécial.
De l'autre côté du globe, quelques heures plus tard...
Le soleil tapait fort en Californie. Les pas des élèves du Westminster Union HighSchool tapaient encore plus fort sur le sol des couloirs de l'établissement.
Les résultats.
Ceux pour lesquels ces étudiants avaient tout donné ou rien du tout. Madelynn avait la boule au ventre, elle n'avait pas fermé l'œil de la nuit et aurait très sûrement du mal à se rendre au bal de promo le lendemain soir. Elle avançait, la tête haute comme toujours, mais ses sourcils étaient froncés et son visage crispé, trahissant son angoisse.
Même lorsqu'elle avait dû passer devant de nombreuses classes pour présenter le programme de prévention, elle avait été moins préoccupée qu'à cet instant. Elle avait répété, des tonnes de fois, des discours contre le harcèlement, contre les agressions et avait donné tout son être pour qu'enfin les victimes libèrent leurs voix. Ce qui avait fonctionné, puisque quelques jours après, le bureau d'assistance aux élèves mis en place par le proviseur sous la supervision de sa fille et de sa collaboratrice, la documentaliste, avait été rempli de rendez-vous pour divers motifs. Tout en anonyme, le directeur s'était engagé à aider les victimes dans le chemin du rétablissement. Il avait pris contact avec des associations pour mettre en place l'année prochaine un événement caritatif qui profiterait à celles-ci. Et au final, la réputation du lycée avait augmenté face à autant de mouvement après un scandale. Le proviseur avait félicité sa fille publiquement et cette dernière s'était montrée fière de tous ces accomplissements.
Mais à présent, les souvenirs avaient déserté son esprit. Tout ce qui lui importait, c'était son avenir dont les dés avaient été jetés lorsqu'elle avait rendu ses copies d'examens.
Jouant des coudes jusqu'au panneau des résultats, elle priait intérieurement que ses efforts aient payé et qu'elle puisse retrouver son petit-ami sereinement.
Madeleine Parker : admise avec les honneurs (: équivalent de la mention bien aux Etats-Unis)
Elle poussa un cri de joie avant de sortir de la foule. Elle sauta dans les bras de Léo en disant :
—J'ai réussi ! J'ai eu les honneurs !
Elle sautilla de joie pendant de longues minutes. Ses amis eurent tous le plaisir de voir qu'ils avaient réussi eux aussi.
Ni une ni deux, dès qu'ils furent sortis, Madelynn appela Taylor en vidéo. Il décrocha malgré l'heure tardive, éclairé pas sa lampe de chevet.
—Alors ? demanda-t-il en frottant ses yeux.
—On l'a tous eu ! s'exclama Madelynn avec un sourire qu'elle n'avait encore jamais eu.
Un mélange de soulagement, de paix, de joie et d'euphorie. Taylor le ressentit aussi et sourit à son tour.
—Bravo ! Félicitations à tous !
Après quelques minutes de joie et de discussion sur les projets de chacun, Madelynn revint à la réalité :
—Et toi ? tu auras tes résultats quand ? interrogea-t-elle l'irlandais.
Il avait passé ses examens une semaine après les américains mais apparemment les délais seraient plus longs pour lui.
—Je ne sais pas, probablement dans une ou deux semaines.
Madelynn hocha la tête.
—Je vais prendre un billet dès ce soir, je te tiens au courant pour la date d'arrivée, ça te va ? dit-elle à son petit-ami.
—Bien sûr. Le plus tôt que tu le souhaites, je me tiens prêt à prendre la voiture à tout moment.
Madelynn sourit : elle allait enfin revoir le garçon dont elle était tombée amoureuse il y a quelques mois.
—Je vais te laisser aller dormir, on se rappellera un peu plus tard ?
Taylor acquiesça.
—Je t'envoie un message quand je me réveille.
—Parfait, bonne nuit. Je t'aime, dit Lynn avec un air un peu trop niais pour être celui de la badgirl de son lycée.
—Passe une bonne journée, je t'aime aussi chérie.
Il raccrocha, et comme à chaque fois qu'il appelait Madelynn ainsi, elle rougit.
—Bon, on va à la plage pour fêter ça ? demanda Lisa à la troupe.
—C'est parti ! répondit George et Anyka bras-dessus bras-dessous.
L'euphorie contagieuse les faisait rire sans motif, ce qui faisait sourire les autres étudiants. Ils montèrent en voiture et partirent en direction de la plage.
La fin des six semaines loin de son petit-ami arrivait, elle allait bientôt pouvoir déposer sa candidature dans l'université de son choix, en Irlande et retrouver Taylor. L'été s'annonçait déjà chargé.
Sur la route, elle regarda le ciel en pensant à sa mère.
Tu as vu ça maman ? J'ai réussi. Je t'aime.
Et presque comme une réponse, le soleil sembla briller plus fort pendant quelques secondes. Lynn sourit.
Je vais partir, pour le rejoindre.