Madelynn

La musique change. Je descends de ma petite scène improvisée et continue de danser jusqu'à atteindre le bord de la piste de danse. Noah m'y attend, visiblement ravi du spectacle que je viens d'offrir.

—Je vois que vous avez eu vent de ma petite fête.

Je ne peux pas exiger qu'ils partent, ça risque de dégénérer et Léo est absent ce soir à cause d'un empêchement de dernière minute. Noah me sourit avec fierté. Il sait que je n'ai pas le choix de les laisser se taper l'incruste dans ma propre maison.

—Comment rater la soirée de la petite princesse du proviseur ?

Je serre les dents. Il me provoque car il sait que je ne peux rien faire. J'allais répliquer lorsque des cris fusent derrière moi.

Ils sont arrivés il y a dix minutes et il y a déjà des embrouilles ?

Je délaisse Noah et joue des coudes pour arriver vers la provenance des insultes.

—Fais attention où tu mets les pieds crétin ! jappe Will, le t-shirt trempé.

Taylor est devant lui. Sérieusement, il n' aurait pas pu se passer de venir ?

C'est Will qui n'aurait pas dû venir. Pas Taylor.

Je ne suis pas sûre d'avoir plus envie de voir l'irlandais que le colosse blond et sa bande. Je pensais qu'il serait trop timide, mais d'un regard à la foule, je repère Lisa qui nous surveille d'un peu plus loin. C'est elle qui a dû le pousser à venir.

—Excuse-moi, répond calmement Taylor sans intérêt.

Il est plus confiant et lorsque je le détaille, je remarque qu'il porte un débardeur qui lui va vraiment bien. Ça change de ses t-shirts un peu trop larges.

—Will, ça suffit. Viens, on va rincer ça, interviens-je.

Ce n'est pas la meilleure solution, mais je ne tiens pas à avoir une bagarre dans mon salon. En tant qu'hôte je dois régler le souci avant qu'ils ne se mettent sur la gueule. Et vu le nouveau comportement de Taylor, je ne suis pas sûre qu'il éviterait le combat.

Will a un rictus et me suit gentiment. Je lance un regard réprobateur à Taylor qui fronce les sourcils.

Je conduis le colosse dans la cuisine. Il connaît déjà ma maison, lorsque nous sommes sortis ensemble il a pu la découvrir. Ça remonte à l'année dernière, nous étions en seconde. Je l'ai quitté lorsque j'ai appris qu'il avait essayé de faire des avances très entreprenantes auprès d'une élève de notre classe.

Noah nous rejoint, comme son chien de garde. J'ouvre l'eau et passe un essui-tout sous l'eau avant de le donner à Will.

Il le regarde bizarrement et enlève son t-shirt sans gêne.

—Tu rates pas une occasion pour te montrer, dis-je avec un soupir.

—Dit celle qui dansait sur sa table basse, rétorque-t-il.

Touché.

Je passe son haut sous l'eau froide et le frotte dans mes mains. Comment j'en suis arrivée là ?

Il y a deux ans, je ne les connaissais pas, mais dès mon arrivée à Westminster Union, j'ai été l'objet des convoitises de Will et sa bande. Malheureusement pour lui, notre histoire n'a pas fini comme il le voulait et je n'ai pas figuré sur sa liste de conquête. Et depuis, il fait en sorte de m'agacer dès que l'envie lui prend. Quant à Noah, si j'avais su dès cet été qu'il connaissait Will et rejoignait notre lycée, je ne l'aurai pas approché à plus de quatre mètres.

—Tu veux un shot ? me propose le brun en en tendant un à Will qui le boit d'une traite.

—Ouais.

Il part m'en chercher un et Will me pousse pour prendre le relais et nettoyer son t-shirt.

—C'est que de la bière, ça tâche pas trop, dis-je en m'appuyant sur le plan de travail.

Il ne répond pas. Noah revient rapidement et me tend un verre que je bois sans réfléchir. L'alcool descend dans ma gorge et laisse une sensation de brûlure. Je me sens tout de suite plus détendue. Noah m'observe bizarrement. Je détourne le regard.

Will essore le tissu avant de le secouer et de le remettre. Ma vision tangue. Je passe la main dans mes cheveux et penche la tête en arrière. Je me cogne contre un placard et pousse un grognement en frottant mon crâne.

—Madelynn ça va ?

Noah et Will se regardent, je crois, et sourient. Mon esprit s'embrume mais je parviens à comprendre ce qu'il se passe. Ma vision se brouille alors que je tente de sonner l'alerte dans mon esprit.

Ils m'ont drogué.

Cette affirmation résonne et je décide de retourner au salon. J'atteins l'encadrement en poussant toutes les personnes sur mon passage. Je renverse même quelques verres pour passer. Noah et Will me suivent à la trace. Ce sont des chasseurs tandis que je suis celle qui est devenue leur proie dès leur arrivée.

Je tente de débusquer quelqu'un de familier, mais Davis est sûrement déjà bourré et je ne parviens pas à trouver Taylor ni ses amis. Je n'ai pas de temps à perdre : ils sont derrière moi et arrivent à grands pas. Je m'engouffre dans la foule en titubant. La musique résonne dans ma tête tandis que mes oreilles sifflent. Une nausée monte mais je réussi à la contenir. D'ici quelques minutes je n'aurais plus aucun contrôle. Je sais déjà ce que la drogue peut me faire. Encore une des mauvaises expériences retenues de mon histoire avec Will. Au vu de mon état actuel, ils ont dû mettre la dose.

Je trouve enfin Taylor, dansant avec Anyka. La rage me prend aux entrailles, sans raison. Je m'approche de lui mais me stoppe lorsque je vois Anyka se penchant en avant pour poser ses lèvres sur celles de Taylor qui se laisse faire. Le temps se stoppe devant cette image. J'avais vu juste : Anyka était bien plus intéressée par Taylor qu'elle ne le laissait paraître.

Je passe à côté d'eux et ne manque pas de les bousculer. Mon équilibre vacille mais j'arrive à atteindre mon jardin. Ma conscience et mes forces ont déserté. Peut-être que l'air frais m'aidera à recouvrir mes esprits.

—Alors, comment va la petite princesse ? ricane Noah.

Visiblement ils m'ont rattrapé sans effort. Mes jambes ne répondent plus, je m'appuie sur le tronc de l'oranger de mon père, toujours dos à mes assaillants.

Une main m'attrape le bras et me retourne. Will est face à moi, Noah se tient plus en retrait, le téléphone à la main. Il nous filme.

—Bah alors ? Tu as trop bu ? demande Will en approchant son visage du mien.

Je tente de le repousser sans succès. Tous mes muscles se détendent, je ferme les yeux pour tenter de reprendre le contrôle de mon corps. C'est alors que Will me plaque contre l'arbre pour m'embrasser de force.

La panique et le dégoût se logent dans ma poitrine. J'ouvre les yeux avec un effort qui me paraît surhumain. Je le frappe faiblement. Il force la barrière de mes lèvres et pose ses mains sur mes hanches, relevant ma robe de quelques centimètres. Les larmes montent. J'assiste à ses gestes, les subit sans pouvoir rien faire. Ma vue se brouille, mes paupières se serrent sur mes yeux.

C'est un cauchemar, je veux me réveiller !

—J'ai toujours voulu voir ce que ce corps avait à offrir... Ce que la princesse avait à offrir... souffle-t-il dans mon oreille avant de lécher ma gorge et mon décolleté.

Il passe ses doigts affreux sur mon corps, les baladent comme s'il lui était dû. Je n'ai plus aucune autre sensation que celle de son contact qui me révulse.

Je ne sens plus le bas de mon corps. J'allais tomber à genoux mais il me retient, une main à la gorge pour m'empêcher de détourner la tête. Je manque de souffle. Il continue ses baisers malgré mes gémissements de supplications accompagnés de mes larmes.

—Salopard !

J'entends quelqu'un tomber et rouvre les yeux.

Will est détaché de moi et se fait assommer par un poing. Je m'effondre au sol. Le dos appuyé contre le tronc d'arbre, ma robe est remontée sur mes hanches. L'air à peine froid caresse ma peau où la présence des doigts du blond persiste, comme ancrée dans mes cellules. Ma tête est trop lourde, mes paupières se referment en laissant ma conscience me quitter totalement.

Quelqu'un me secoue.

—Madelynn ! Ouvre les yeux ! Qu'est-ce-qu'il se passe ?

Je dois user de tout ce qu'il reste de ma volonté pour m'exécuter. Anyka se tient devant moi, accroupie. Will est en train de se battre avec quelqu'un. Je plisse les yeux en essayant de distinguer le mouvement des corps et leurs propriétaires, en vain. J'arrive à percevoir la tignasse blonde se faire rapidement assommer et tomber à terre.

—Lynn !

Taylor, légèrement blessé, accourt vers moi et se jette à genoux. Il retire sa chemise et me la mets par-dessus mon corps qui frissonne. Je n'avais pas remarqué que j'avais froid.

—Je vais l'emmener dans sa chambre, déclare Taylor à Anyka. Toi, tu préviens Lisa et George.

Il passe un bras sous mes jambes et un dans mon dos. Il me soulève comme si je ne pesais qu'une plume. Ma tête vient se poser contre son épaule. Plus aucun de mes muscles ne rechigne ou ne répond.

—Reste éveillée Lynn, chuchote-t-il.

Mais je suis déjà bien loin dans l'inconscience.