Madelynn
—Mettez-vous en rang s'il-vous-plaît ! nous indique notre professeur d'histoire.
La classe se regroupe sur le côté du car. Le temps s'est gâté depuis hier après-midi. Aujourd'hui est probablement un des derniers jours de pluie avant l'arrivée de l'été.
Je fourre mes mains dans les poches de ma doudoune que j'ai ressortie du placard d'hiver. Taylor se rapproche de moi. Personne n'a loupé le fait qu'il soit toujours à mes côtés. Je suis presque certaine que toute la classe se doute de notre relation, si on peut l'appeler comme ça.
—On se mettra à côté dans le bus ? me lance-t-il doucement.
—Si tu veux, mais je me mets du côté de la fenêtre.
Il pousse un faux soupir d'indignation avant d'hocher la tête.
Lisa est collée à Noah depuis qu'elle est arrivée. Évidemment elle nous évite avec soin pour ne pas éveiller les soupçons, mais nous gardons contact avec un groupe de discussion sur les réseaux sociaux.
La vidéo publiée par Will ou Noah n'est plus disponible (elle a probablement été retirée à cause des signalements) mais nous avons pris soin de garder des captures d'écran et des enregistrements comme preuves. Taylor me sort de mes pensées en me tirant par la main.
Le professeur nous fait enfin monter dans le car. Je m'installe à une place à mi-chemin entre l'arrière et l'avant du transport.
Le reste de la classe monte puis nous nous mettons en route sans attendre. Il y a une petite heure de trajet. Je regarde le paysage défiler lorsque Taylor reprend ma main dans la sienne. Sans un regard, je pose ma tête sur son épaule.
Notre soirée d'hier a été simple : un film et des révisions, rien de plus. Il m'a aussi parlé de son départ, prévu dans deux semaines et demie. Je sens mon coeur de serrer rien que d'y penser. Je soupire et m'interdis de songer à ça. Je ne veux pas le laisser partir, mais la date de son départ me paraît encore trop loin pour m'en soucier dès maintenant : il y a plus urgent.
Finalement, le trajet passe vite : j'écoute de la musique avec Taylor durant toute la route et lorsque nous arrivons enfin, l'orage menace d'éclater. On entend même le tonnerre, mais la pluie n'est pas encore là.
—Allez les jeunes ! On va faire vite pour voir le maximum de choses avant de nous prendre une averse. Ne vous inquiétez pas, il y a une salle où nous pouvons nous abriter, précise M. Habsbourg.
Je reste près de Taylor. Will et Noah sont, comme à leur habitude, particulièrement turbulents. Ils ne manquent pas de me bousculer en sortant du car. Lisa rigole un peu trop fort : elle joue une comédie bien ficelée afin de faire tomber Noah sous son charme.
Une fois dehors, Taylor entrelace nos doigts et m'attire à lui. Le vent fouette nos visages tandis que le froid s'insinue dans nos vêtements. L'altitude de ce site n'aide pas vraiment aux baisses de températures.
Le paysage est pauvre : c'est un immense terrain de gravats et de pierres. Rien d'étonnant pour un site apparemment historique.
Nous suivons le groupe dans des ruines de je-ne-sais quelle civilizations. Je ne m'intéresse pas vraiment à l'Histoire, et encore moins à ce que nous raconte le guide.
—Vous pouvez découvrir par vous-même les alentours, mais restez proches ! Si la pluie débarque, revenez ici, déclare le professeur au bout d'une heure de visite qui parut durer une éternité.
Taylor m'entraîne à l'écart. Il lit un panneau planté devant un fossé où des vestiges de murs retiennent la terre, le tout forme un petit labyrinthe.
—J'ai entendu ta conversation hier, avec Lisa. Tu veux tout révéler pendant l'assemblée ?
Je suis surprise qu'il me parle de ça maintenant. Mon cerveau, qui s'était mis sur pause durant la visite, redémarre.
—Ça serait le meilleur moyen d'être sûr que tout le monde soit au courant, et puis mon père ne pourra pas nier les faits.
—Ça va surtout provoquer un scandale, dit-il en fronçant les sourcils. La réputation du lycée va en pâtir.
—Peu importe, le mal a été fait et pas qu'une fois. Lisa et moi sommes en train de récolter les témoignages d'autres filles dont Will aurait abusé.
Il se tourne vers moi, les yeux écarquillés.
—Ce n'était pas la première fois ?!
Je secoue la tête.
—Je l'avais déjà surpris dans les toilettes, il y a un an je crois. La fille n'avait pas voulu porter plainte. Elle avait simplement disparu peu de temps après. Je n'ai pas pu la retrouver.
Lorsque nous étions en couple, je me rappelle avoir entendu des filles m'avertir qu'il se servirait de moi. J'en étais consciente mais je me suis réellement rendu compte de son petit jeu lorsqu'il s'est empressé d'aller trouver une autre fille après que j'ai refusé de coucher avec lui.
Taylor mord sa lèvre en passant sa main libre dans ses cheveux. Un geste que je reconnais bien et qui signifie qu'il est nerveux.
—Qu'est-ce qu'il y a ?
—Si tu savais qu'il était capable de ça, pourquoi tu n'en as pas parlé avant ?
—Qui m'aurait cru ? Même mon père ne m'aurait pas écouté et la victime s'est enfuie avant que je ne puisse réagir.
Il fait un signe de tête vers le côté.
—Je m'en veux, pour ce qu'il s'est passé. Si je ne t'avais pas laissé le suivre, si je m'étais écouté ça-
Je tire sur sa main pour le mettre face à moi. Je plante mon regard dans le sien.
—Taylor, tu n'y es strictement pour rien, d'accord ? Arrête de t'en vouloir. J'ai été naïve.
Je suis encore en colère de m'être laissé embobiné de la sorte, mais Will avait bien prévu son coup et l'arrivée de l'irlandais m'a fait baisser ma garde. Will est le seul fautif mais j'aurais voulu être plus prudente.
Taylor se penche et m'embrasse délicatement avant de replacer une mèche de cheveux derrière mon oreille. Le vent me décoiffe directement après, ce qui lui fait lâcher un petit pouffement.
—Tu as raison, pour l'assemblée. C'est très risqué, dis-je. Mais je ne vois pas d'autres moyens de faire éclater la vérité.
Il s'assied sur un banc en pierre. Le tonnerre gronde : l'averse arrive à grand pas.
—Alors on va faire ça. Si tu penses que c'est la meilleure solution, je te suis, déclare le brun.
Je m'assois à côté de lui.
—Merci, d'être là.
Il sourit.
—Merci à toi, de m'avoir ouvert ta carapace, mademoiselle la bad girl !
J'éclate de rire à l'écoute de ce surnom puéril.
—Ça, ça vient de Lisa ! dis-je.
—Oui ! répond Taylor en riant à son tour.
Il passe son bras autour de ma taille, me ramène vers lui et embrasse mon front. Je me cale contre lui pour regarder le paysage. Une montagne, des ruines, des nuages sombres mais surtout, une petite lueur dans ce monde de brute qui est assise à côté de moi.
Je relève la tête, embrasse avec passion cette petite étincelle. Ma main droite caresse sa joue, tandis que l'autre se pose son torse. Il passe ses doigts dans mes cheveux pour me maintenir contre lui. Contre sa bouche. Le froid de l'extérieur nous semble alors bien loin, alors que la chaleur de nos corps s'intensifie.
Des gouttelettes commencent à tomber sur nous. Et pourtant, Taylor ne s'arrête pas. Il me mord la lèvre inférieure ce qui m'enivre de plus belle. Je sens mon estomac se tordre de bonheur et de désir. Une sensation à laquelle je n'ai jamais goûté et dont je suis déjà addict.
Ce baiser est digne d'un film hollywoodien.
Nous nous séparons alors que la pluie tombe franchement, nous trempant les cheveux, les visages et les vêtements. Je me lève et lui tends une main qu'il attrape sans se faire attendre.
—Aller, allons nous mettre à l'abri.
Il acquiesce en se levant. Avant de partir, il se colle de nouveau à moi pour déposer de nouveau ses lèvres sur les miennes dans un baiser bien plus court et léger que le précédent.
Nos téléphones vibrent sur le chemin vers le cabanon où se trouve déjà toute notre classe. Je sors le mien sous la pluie et lui le message :
Lisa : "J'aurais le téléphone de Noah d'ici ce soir, on se retrouve chez Davis, il va falloir faire vite avant que je ne doive le lui rendre."