Madelynn
Quelques heures plus tôt
Je toque à la porte du bureau de la CPE.
—Oui ?
J'entre. La conseillère d'orientation et la CPE se tiennent derrière le bureau, penchées sur l'ordinateur.
—Madelynn ! Ça fait longtemps que je ne t'ai pas vue. C'est ton père qui t'envoie ? me demande Madame Jew, la CPE.
—Non, c'est moi qui vient vous demander conseil en réalité.
Les deux femmes, accessoirement meilleures amies, ne cachent pas leur surprise. Elles ont toujours été là lorsque ça n'allait pas, du moins au lycée. Je me souviens des jours où elles me couvraient lorsque j'avais fait une petite bêtise ou répondu à un professeur.
—Assieds-toi et dis-nous tout, me dit Madame Fynn, la conseillère d'orientation.
J'obtempère.
—Avant que tu ne commences, dit Madame Jew. Je n'étais pas présente à l'assemblé mais j'ai appris pour ce qu'il s'est passé avec Will et Noah, enfin tout le corps enseignant est au courant maintenant, précise-t-elle en murmurant. Je suis désolée.
Je secoue la tête.
—Ce n'est pas de votre faute, mon père n'a jamais donné suite aux signalements que lui ont faits les victimes, c'est lui le fautif.
Madame Fynn se pince les lèvres.
—Alors, que veux-tu ?
Je prends une bouffée d'air avant de me jeter à l'eau :
—J'aimerai, après les examens, partir en école de langues en Irlande.
Elles me regardent les yeux écarquillés. D'accord, peut-être qu'il y avait une meilleure façon d'approcher le problème. Madame Fynn se penche sur son bureau.
—Tu veux partir en Irlande ?
Je hoche la tête. Madame Jew se mordille la lèvre inférieure.
—Ton père au courant ?
—Il n'est pas contre, après ce que j'ai fait, je n'habite plus avec lui. Mais je me suis dit que si je réussissais mes examens vous pourriez peut-être m'aider à trouver comment faire pour partir ?
Les deux femmes me font des sourires rassurants et la conseillère d'orientation confirme :
—C'est faisable, si tu obtiens de bons résultats. Je vais me renseigner, d'accord ? Je t'enverrai un mail avec ce que je trouve. Tu as déjà pensé à une université en particulier ?
—J'en cherche une près de Waterford, mais je pense qu'aux alentours de Dublin ça serait plus facile de trouver.
Madame Fynn acquiesce.
—Ecoute, on va regarder ça, je vais me renseigner sur les démarches à faire.
—Toi, concentre-toi sur les examens qui arrivent, ajoute Madame Jew. Si tu obtiens de bons résultats, ça sera facile de t'envoyer là où tu le souhaites.
Il est vrai que mes résultats actuels pourraient être meilleurs, mais j'ai de bonnes raisons d'avoir délaissé mes cahiers ces dernières semaines. Néanmoins, je doute que même les meilleures excuses me conduisent à être accepté dans une université en Europe. J'acquiesce donc en me promettant mentalement de reprendre un travail plus sérieux.
—Merci beaucoup.
—On est là pour ça voyons ! Aller, file en cours ! me congédie Madame Jew.
Je les remercie de nouveau en sortant du bureau. Je regarde l'heure sur mon portable. Avec un peu de chance le professeur me laissera intégré sa classe malgré mon quart d'heure de retard.
En me dirigeant vers la sortie de l'administration, je croise la documentaliste. Elle me salue d'un sourire.
—Madelynn ! Je peux te parler une seconde ?
—Bien sûr.
Bon, apparemment je ne vais pas retourner en cours de sitôt.
Travailler plus sérieusement... C'est ça non ?
Elle récupère un dossier auprès du secrétaire administratif et m'invite à la suivre.
Nous allons dans son bureau, au CDI. Elle me présente un siège sur lequel je m'assieds, curieuse de savoir ce qu'elle me veut.
—Après ton intervention, le proviseur a demandé à lancer une campagne de prévention pour remonter la réputation du lycée et faire taire les rumeurs.
—Je sais, c'est moi qui lui ai soufflé l'idée, dis-je sans émotion.
Il a toujours eu le chic de s'approprier des idées qui ne sont pas les siennes.
—Ça ne m'étonne pas, répond-elle en souriant doucement. Je suis désolée pour ce qu'il t'est arrivé, j'ai bien vu qu'avec Noah tu avais eu des soucis quand vous étiez venus. J'aurais dû réagir, je suis navrée.
Je vois dans ses yeux qu'elle s'en veut réellement. Les gens n'ouvrent les yeux qu'après les évènements, mais bon , je peux pas lui en vouloir, elle n'est pas la seule à être passée à côté.
—Ce n'est pas de votre faute. Mais j'accepte les excuses, merci.
Elle hoche la tête, rassurée que je le prenne comme ça.
—Et donc, ce dont je voulais te parler c'est de cette campagne. Le proviseur m'a dit que tu serais intéressée pour m'aider à la mettre en place et la présenter ?
Je secoue la tête de haut en bas.
—Oui, je suis d'accord.
Son regard rayonne.
—Parfait ! Alors déjà il faut décider de quand et comment la faire... commence-t-elle en sortant un bloc de papier et un stylo d'un tiroir.
Nous passons bien une heure et demie voire deux à tout planifier, à mettre au propre des idées et réfléchir à la planification. Bizarrement, ce compromis avec mon père me semble bien plus attrayant que lorsque je l'ai présenté : je vais pouvoir parler devant des élèves, prévenir des conséquences d'agressions et surtout sensibiliser les personnes à ce fléau. Je sais bien que ça va peut-être me demander de travailler sur moi et sur mon traumatisme, mais en y pensant, je me rends compte que je dois le faire.
Pour moi, pour celles avant moi et pour éviter qu'il n'y en ait après nous.
La documentaliste finit par me recommander de voir des psychologues et psychothérapeutes en me fournissant des adresses chez qui je pourrais trouver un rendez-vous rapidement. Je n'y ai pas encore songé mais je lui promets d'y réfléchir prochainement.
Je finis par me rendre au self après avoir envoyé un message à Lisa. La pause déjeuner ne va pas tarder à commencer et Anyka est déjà devant l'entrée de la cantine. Je la salue.
Nous papotons jusqu'à l'arrivée de Lisa puis allons trouver une table où nous déjeunons en parlant des derniers ragots au sujet du bal et des examens.
—Vous pensez que le bal va être avancer ? demande Lisa.
—Possible, répond Anyka en grignotant une frite. Après tout, nous finissons les cours juste après les examens. Je vois mal comment ils pourraient l'organiser autrement.
—De toute manière Taylor sera déjà reparti, dis-je avec un peu de tristesse.
Les filles me regardent avec empathie.
—Tu sais, commence Lisa. Rien ne nous oblige à attendre le bal du lycée pour fêter le nôtre.
Anyka s'illumine, preuve qu'elle vient d'avoir une idée.
—Et si on en organisait un avec tous nos amis ! On pourrait le fêter avant que Taylor ne parte et puis ensuite nous n'aurons plus qu'à attendre celui du lycée pour conclure notre scolarité ici !
Je souris.
—C'est une très bonne idée les filles je-
Le téléphone d'Anyka me coupe en vibrant, elle jette un coup d'œil avant d'afficher un rictus moqueur.
—Qu'est-ce-qu'il se passe ? demande Lisa en se penchant vers l'écran.
—On dirait bien que le petit iralandais a sorti les crocs !
Elle me montre la photo de Taylor mettant un coup de poing à Noah. Je ne peux pas réprimer un rire. Les filles me rejoignent à leur tour.
Il est devenu incroyablement dingue.
Et c'est justement à cet instant qu'il décide d'apparaître à l'entrée du self. Mes lèvres s'étirent à sa vue.
Je crois que je commence à vraiment beaucoup l'aimer.