Taylor

J'enfile pour la troisième fois une chemise que je laisse ouverte par-dessus mon débardeur blanc. Lisa m'a totalement relooké et est surexcitée depuis cette après-midi. Nous avons reçu un message sur le groupe que les membres de la classe régissent sur les réseaux sociaux. Madelynn donne une fête ce soir et Lisa est impatiente de pouvoir y aller. Malgré les tensions entre les deux filles, Lisa m'a assurée que sa présence ne ferait pas de scandale : c'est le genre de soirée à laquelle tout le lycée est invité. Dans le cas de celle-ci, les seuls à être hors de la liste sont Will et sa bande.

Je passe une main dans mes cheveux que Lisa a tenu à coiffer elle-même.

—Tu vas faire tomber Anyka raide dingue !

—Anyka ?

C'est vrai que nous sommes assez proches elle et moi, mais je la vois simplement comme une amie. J'aime son ambition et son goût pour l'aventure, cependant je ne ressens rien pour elle. Lorsque je pense à l'état de mes mains ou de mon ventre lorsque je croise notre hôte de ce soir... Ce n'est rien de comparable avec Anyka, ni même avec mes amourettes de collège passées.

S'il y a bien une chose dont je suis sûr, c'est qu'elle ne m'intéresse pas.

Je fais mine de ne pas avoir compris.

—Ne me dis pas que tu n'as pas remarqué ! râle la blonde en ajustant mon col.

Je commence à triturer mes doigts et me mordre la joue. Lisa fronce ses sourcils parfaitement redessinés.

—Qu'est-ce-qu'il y a ?

Je pousse un soupir et m'assieds sur le bord de son lit.

—Anyka est vraiment belle, gentille et intéressante...

—Mais tu es resté bloqué sur Madelynn, coupe Lisa en se coiffant devant son miroir.

Je sens de l'agacement dans sa voix.

—Tu sais, Madelynn ne s'est jamais montrée sérieuse depuis des années et je ne l'ai pas vu sortir plus d'un mois avec un autre gars que Will. Tu devrais considérer Anyka comme un moyen de te la retirer de la tête ?

J'avais bien compris que Madelynn avait eu une aventure avec le cancre de service, ce qui explique d'ailleurs l'acharnement de ce dernier à lui pourrir la vie. Néanmoins, personne n'a su me dire pourquoi ils avaient rompu, mais des rumeurs expliquent la fin de leur relation par le manque "d'ouverture des cuisses" de Lynn à l'égard de Will. Mais si c'était le cas, pourquoi Will s'acharne t-il sur Madelynn ? Car il est trop frustré pour la laisser tranquille ?

C'est une théorie plausible mais elle ne me paraît pourtant pas être la bonne. Je reviens sur la proposition de Lisa :

—Utiliser Anyka ? C'est ça ton conseil ?

Mon ton est plus sec que prévu. Je racle ma gorge avant de clôturer cette discussion :

—Laisse tomber, Anyka ne m'intéresse pas, point final. Et je me fiche totalement de Madelynn aussi. Je suis venu ici pour les études et la culture, pas pour avoir une amourette.

Même moi je n'arrive pas à me croire.

Lisa finit de se maquiller et raccroche un sourire à son visage.

—La culture ? Aller en soirée c'est culturel ?

Je rigole et acquiesce :

—Ça fait partie de la vie de lycéen, donc théoriquement oui !

Elle rit à son tour.

—Vu comme ça !

Je n'ai pas participé à beaucoup de soirées de lycéens en Irlande, j'étais bien trop occupé à aider mon père à la librairie le vendredi soir ou le mercredi après-midi pour sortir avec mes amis. J'en avais d'ailleurs très peu. Je n'ai jamais eu le courage d'adresser plus de deux mots aux personnes que je côtoyais. Je parie même que certains membres de l'équipe de basket de mon lycée ignorent encore mon prénom.

J'y repense avec un léger regret. Celui de ne pas avoir osé apprendre à faire connaissance avec eux. Maintenant que je vois la relation que j'ai avec Lisa et tout le groupe, je me dis qu'un pas vers mes camarades pourrait être le déclencheur de belles amitiés.

J'arrangerai ça à mon retour.

Nous finissons de nous préparer et partons tous les deux. Le reste de la bande nous rejoindra sur place et je me surprends à imaginer la maison de notre hôte.

Et après j'ose dire que je n'ai pas de fixette sur elle. Le déni.

Lisa se gare quelques rues plus loin de la maison et m'ouvre la voie vers celle-ci. Je la suis, le téléphone ancré dans ma poche.

J'ai dû résister à l'envie d'envoyer un message à Lynn toute l'après-midi pour savoir si je pouvais venir ou non. Lisa et Chloé m'ont assuré que tout le monde était invité afin de me convaincre. En y repensant, j'espère que Will et Noah ne se montreront pas. Même si je doute qu'ils se gênent de venir malgré l'absence d'invitations à leurs égards.

—Détends-toi, dit Lisa. Tu es très beau comme ça.

Je n'avais pas remarqué mais j'étais en train de passer une énième main dans mes cheveux. Le débardeur moulant que Lisa m'a choisi me colle et met en avant le muscle que j'ai acquis avec le temps et les entraînements de basket en Irlande. Mon jean bleu est celui que j'avais ce matin au pique-nique, et Lisa m'a débusqué une chemise noire qu'elle m'a mise par-dessus mon haut. Elle a aussi coiffé mes cheveux avec du gel et épilé les sourcils. Et bien sûr je me suis laissé faire... Il faut dire qu'il y avait Chloé qui assistait au spectacle et je savais qu'à elles deux, elles m'auraient contraint à le faire de toute manière.

Petit joueur.

Le pique-nique s'est d'ailleurs très bien passé : comme prévu, j'ai apporté des fraises et du chocolat et cela a ravi les convives. Je me suis régalé avec les plats d'Anyka et de Lisa. George a bien sûr englouti la plupart des sandwichs et s'est ravi de me voir sortir la petite cagette de fraises de mon sac.

Nous avons passé le début d'après-midi dans l'herbe. Avant de recevoir la fameuse invitation et de décider de rentrer pour nous préparer. Je passe peu de temps chez ma famille d'accueil au final, mais cela n'a pas l'air de déranger Madame Berkley. Je les informe la plupart du temps de mes sorties. Elle me laisse tranquille tant que je ne pose pas de problèmes et que je mets la main à la patte pour les tâches ménagères.

Lisa est bien sûr ravie de pouvoir sortir avec moi dès qu'elle s'ennuie. J'ai vu beaucoup plus de choses que je ne croyais en voir en si peu de temps. Je dois aussi trouver le temps de rappeler ma famille avec laquelle je communique uniquement par messages depuis que mon dernier appel les a réveillé en pleine nuit.

Je reviens au moment présent : nous sommes devant une jolie bâtisse à un étage, je crois. La noirceur de la nuit me joue des tours. Un énorme arbre camoufle une partie de la façade. La musique s'étouffe entre les murs mais réussit à sortir par bribes sonores dehors.

—C'est parti ! s'exclame Lisa en entrant sans même sonner.

Je la perds immédiatement de vue, aveuglé par les lumières qui vacillent dans le salon. Je décide d'aller me chercher quelque chose à boire. J'attrape un gobelet dans la cuisine et me serre d'une bouteille au hasard. Je bois quelques gorgées avant de retourner vers le salon en dissimulant une grimace. Ma gorge me brûle déjà.

Je reviens vers le cœur de la fête et je la vois immédiatement : debout sur la table basse de son salon, habillée d'une robe moulante à paillette bleu argenté, elle scintille. Comme le plus beau des diamants.

Elle porte un peu de maquillage, je le remarque alors que je m'avance. Un rouge à lèvre rouge orne ses lèvres. Ses cheveux sont relâchés dans son dos comme de longues et élégantes vagues brunes. Je voulais la rejoindre lorsque je sens une main m'agripper le bras. Je me retourne et tombe sur Anyka.

—On est installé dans un coin, suis-moi ! me dit-elle en se penchant vers mon oreille.

Elle garde ma main dans la sienne et me tire à travers la foule, loin de la jolie sirène que j'admirais quelques instants plus tôt, hypnotisé par sa danse. Lisa a raison : j'ai une fixette sur elle.

Du coin de l'œil, je vois aussi une haute tignasse blonde entrer. Will, et ses chers amis. Ils s'infiltrent dans le salon comme si c'était le leur et personne ne semble le remarquer, ou réagir.

Noah a déjà les yeux rivés sur Madelynn qui continue son déhanché en attirant une autre fille avec elle. Will, quant à lui, me fixe de son regard malsain. Les lumières des néons vacillent, une tension s'installe entre nous. Le sang afflue dans mes veines et mon cœur se remplit de la colère des fois précédentes.Cette fois-ci, ça sera différent. L'alcool me monte à la tête.

Ça suffit d'être piétiner.