Madelynn
Nous descendons du bus après un trajet qui a retourné ma tête encore plus qu'elle ne l'était avant. Mon équilibre ne s'est pas rétabli, c'est pourquoi Taylor garde son bras sur mes épaules et bizarrement, ce contact ne me repousse pas.
Pas du tout même.
J'arrive à ouvrir la porte de chez moi et nous entrons enfin. Je retire mes chaussures, Taylor fait de même. Enfin, je me dirige en traînant les pieds à l'étage.
—Prends ce que tu veux dans le frigo si tu as soif, dis-je doucement.
Il n'en fait rien et me suit jusqu'à ma chambre. Je m'allonge dans mon lit après avoir enlevé mon jean. Taylor s'est bien sûr tourné le temps que je me mette dans les draps. Il ferme les rideaux avant d'allumer une petite guirlande lumineuse.
L'ambiance tamisée me réchauffe un peu le cœur.
—Alors demain c'est ton anniversaire ? demande Taylor assis sur la chaise de bureau.
Je hoche la tête doucement. Je pose mon avant-bras sur mon front et ferme les yeux. J'entends le garçon bouger puis sortir de la pièce. Je soupire. Ma tête me lance : je ressens les pulsations de mon sang dans mes tempes.
Quelques minutes plus tard, il revient. Je le sens s'asseoir sur le lit et déposer quelque chose sur mes jambes, ce qui me fait rouvrir les yeux. Il y a posé un plateau, rempli de deux verres de jus d'orange, d'un comprimé et de plusieurs paquets de gâteaux.
—Je ne sais pas ce que tu voulais, donc j'ai un peu dévalisé tes placards.
Je souris, touchée par l'attention. Ça fait plusieurs jours que mes assiettes deviennent de plus en plus petites, ce qui doit expliquer le fait que je sois un peu tombée malade. À vrai dire, mon dernier vrai repas doit remonter aux tacos que j'ai fait dans le week-end. Ça, associé à des nuits courtes et irrégulières, je comprends que mon corps ait lâché l'affaire.
Je l'aurais fait depuis longtemps.
Je me redresse et m'assieds en m'adossant à la tête de lit. Je tapote la place à côté de moi, Taylor me rejoint. Il me tend le verre de jus de fruit avec le comprimé.
—Merci...
J'avale le petit médicament avec une gorgée de boisson. J'ouvre un paquet de biscuits nappés de chocolat et lui en tends un à mon tour. Il me remercie en souriant.
Et nous voilà, tous les deux, après une semaine de distance, assis dans mon lit, à partager un goûter.
Ça n'a aucun sens.
—Tu veux en parler ? commence le brun avec un regard prudent vers moi. De... la soirée.
—Pour dire quoi ? Ça n'a aucune importance.
Il relâche son souffle, comme s'il avait eu peur que je me braque. Il finit son biscuit avant de reprendre :
—C'est faux Lynn. Ça t'a marqué. La preuve : tu ne te souviens de rien après.
—C'est à cause de la drogue, ça n'a rien à voir.
—Je t'ai vu après, j'étais avec toi ! Tu n'allais pas bien ! argumente-t-il avec assurance.
—C'était sur le moment.
Je reste calme, lassée, et trop fatiguée pour m'énerver. À mon tour, j'engloutis le petit gâteau en réfléchissant.
—Il s'est passé quoi après ? je demande en tournant ma tête vers la sienne. On s'est réveillé habillés dans le même lit, mais avant, qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Il tourne sa tête vers la mienne et plante son regard dans le mien, comme pour savoir si je demande sincèrement ou si je bluff.
—Rien d'important, conclut-il.
Il tourne de nouveau sa tête devant lui, rompant notre contact visuel. Il serre les mâchoires, reflex que je lui ai découvert il y a peu lorsque je l'observais d'un coup d'œil en classe. Si c'est ce sujet de conversation qui le mène à cet état alors...
Les souvenirs qui me manquent sont plus importants que ce que je pensais. Je soupire et pose le plateau sur ma table de chevet. Je me sens apaisée, beaucoup plus que ces derniers jours. J'ai fait des crises d'angoisse et des cauchemars, mais là, à cet instant précis, je me sens bien. Mes yeux dérivent en observant ma chambre et finissent par se poser de nouveau sur Taylor.
C'est lui qui m'apaise comme ça.
Je tente de me contredire mentalement, mais je me souviens de la sensation de mon cœur lorsque je l'ai vu embrasser Anyka. Je me souviens des fois où je le voyais dans les couloirs avec ses amis, sans avoir l'occasion de lui parler. Je me souviens de son regard sur moi à chaque fois que je fumais dans la cour. Et je me rappelle de sa réaction lorsque Noah a posé sa main sur ma cuisse.
Il me protège, il m'apaise, il est là pour moi.
—Merci de m'avoir ramené chez moi.
Je pose ma tête sur son épaule. Il pose la sienne sur la mienne. Nous restons figés, effrayés de rompre ce moment en bougeant ne serait-ce que d'un millimètre.
Il caresse du bout du doigts le dos de ma main et finit par oser me la prendre avec tendresse.
On dirait des enfants. Lui comme moi. Deux morveux.
Et comme lors du premier amour, mon cœur s'emballe.
Ce n'est pas bon.
Mais je m'en fiche. Pour l'instant j'ai besoin de le sentir avec moi. J'ai besoin de lui à ce moment précis. J'expire une bouffée d'air et décide de me recoucher correctement. Taylor m'observe, le regard indescriptible.
Il se lève, séparant nos doigts entremêlés afin de sortir de ma chambre une deuxième fois. Je me mets sur le dos, attendant patiemment qu'il revienne, guettant malgré moi le bruit de la porte d'entrée.
Je ne veux pas qu'il parte.
Au bout de quelques longues minutes, je me risque à l'appeler :
—Taylor ?
À cet instant même, il revient avec une petite serviette mouillée.
—Désolé, j'ai mis du temps à trouver le rangement de tes serviettes.
Je soupire de soulagement.
—J'ai cru que tu étais parti.
Il se penche vers moi pour déposer la serviette tiède sur mon front. Il s'assoit au bord du lit, sans me quitter des yeux.
—Pourquoi ? Ça t'aurait attristé que je parte ? appuie-t-il avec un demi-sourire.
Je mords ma lèvre et acquiesce à contre-coeur.
Je ne sais pas si c'est la maladie qui me rend aussi... ouverte à discuter mais il semble se détendre et sourit à ma réponse.
—Tu veux vraiment savoir ce qu'il s'est passé avant que tu t'endormes ? m'interroge Taylor, le regard plus sombre.
Je hoche la tête, le ventre se tortillant d'impatience.
Il passe une main dans ses cheveux, lance un regard sur le côté avant de revenir vers moi. Je le sens se tendre, être stressé, comme lorsque je l'ai rencontré, dans le bureau de mon père. Néanmoins, cette fois-ci, il ne laisse pas sa peur le paralyser. Il pose sa main sur ma joue, il la caresse doucement. Je me sens rougir.
Mon coeur loupe un battement lorsqu'il s'approche de moi et me chuchote à l'oreille :
—Je t'ai embrassé, deux fois.
Il se recule en gardant son visage à quelques centimètres du mien. Son souffle se répercute sur mes lèvres et mon rythme cardiaque s'accélère.
Je n'en ai aucun souvenir, pourtant mon corps m'envoie les sensations que j'ai dû ressentir à ce moment. Mon ventre papillonne, le poids qui pesait dessus s'est envolé. Mes mains deviennent légèrement moites. Mes émotions sont un chaos sans queue ni tête à l'intérieur de ma cage thoracique.
Je fixe ses lèvres. Ces lèvres que j'ai envie d'embrasser de nouveau. Pour me souvenir de leur effet sur moi. J'ai envie de les goûter pour la première fois, enfin non, troisième fois.
Je penche légèrement ma tête vers lui et l'invite à poser ses lèvres sur les miennes. Il comprend l'invitation et s'exécute, dans la plus grande des douceurs.