Madelynn
La voiture s'immobilise et j'en sors sans attendre, mon père à ma suite.
—Me faire arriver en retard à la rentrée ! Tu comptes me faire un autre coup foireux ? peste-t-il en accélérant le pas.
—Tu n'avais qu'à me laisser à la maison !
Et puis la rentrée d'avril n'est pas si importante que ça ! Si ?
—Et te laisser rater ta scolarité ? Rêve toujours ! Aller suis-moi, je vais te faire un mot pour que tu ailles en cours, conclut-il en rajustant sa cravate.
Il pousse les portes du bâtiment dont les couloirs sont vides et marche rapidement jusqu'à son bureau. Je le suis malgré mon manque d'envie d'aller retrouver mes chers camarades. Il fait un léger signe de tête en saluant sa secrétaire qui se lève à sa vue. Je la vois rajuster sa jupe.
Je préfère ne pas savoir pourquoi elle fait ça.
Elle commence à parler mais mon père entre dans son bureau sans l'entendre.
—Oh !
Il s'arrête devant moi et se racle la gorge.
—Quoi ? T'as vu le concierge se taper une élève ?
Je passe devant lui et découvre un garçon. Il se tient debout, visiblement gêné ou anxieux. Ou bien les deux.
C'est qui lui ?
—Taylor ! C'est ça ? commence mon père en s'approchant du jeune homme qui semble plus stressé que mon père devant mon bulletin.
Il acquiesce avec une tentative de sourire ratée. Son regard passe de mon père à moi.
—Excuse-moi de mon retard ! s'exclame mon père en mettant son masque de proviseur. J'ai eu un petit contre-temps. Assieds-toi, indique-t-il en s'asseyant à son bureau non sans me lancer un coup d'œil mauvais.
Je m'avance, attendant mon billet de retard. Le garçon est crispé et n'ose même pas bouger un doigt.
Pathétique...
Mon père sort un bout de papier et écrit dessus tout en parlant avec ce nouvel élève.
—Tu es là pour l'échange, c'est ça ?
—Oui, bafouille-t-il en passant une main dans ses cheveux châtains.
Mon père s'empresse de chercher dans ses tiroirs et tire un dossier de l'un d'eux. Je me racle la gorge. Il va me le donner mon billet ou bien ? Il ignore mon appel et passe son doigt sur une feuille avant de déclarer :
—Alors Taylor Olin, tu es en première C ! Ça tombe bien, ma chère fille va pouvoir t'accompagner, appuie-t-il avec un regard dur en ma direction.
Je pousse un soupir pour exprimer mon mécontentement. J'ai une tête de babysitter ? Le garçon ne m'accorde pas un mot et prend les documents que lui tend mon géniteur avant de se lever.
—Bonne journée ! nous expédie mon père après m'avoir donné mon bout de papier.
Je sors rapidement du bureau, suivi par le dénommé Taylor. Je presse le pas vers la salle de cours. Il me suit de près et n'ose toujours pas ouvrir son bec. Je monte les escaliers quatre à quatre. Je l'entends s'essouffler mais je ne ralentis pas pour autant. Arrivé devant la salle, il se plie en deux pour reprendre son souffle.
—C'est un cours de quoi ? demande-t-il en se redressant.
Il plante son regard brun dans le mien. Il a finalement réussi à faire une phrase sans bredouiller. Je garde mon attitude hautaine et réplique d'une voix indifférente :
—Mathématiques.
Je mets ma main sur la poignée.
—Bonne chance, dis-je avant d'entrer sans lui laisser le temps de répondre.
Je pose le billet sur le bureau de ma professeure qui s'interrompt en me voyant entrer. Elle ne fait pas de commentaire et jette un coup d'œil sur ce dernier. Je vais m'installer à côté de mon meilleur ami Davis, au fond de la classe. Taylor entre doucement à ma suite puis parle avec la professeur à voix basse. Elle hoche la tête et s'adresse à la classe :
—Je vous présente Taylor Olin, votre nouveau camarade pour la fin d'année. Soyez gentils avec lui et faites lui un bon accueil s'il vous plaît. Tu peux aller t'asseoir là-bas, à côté de Lisa.
Cette pouffiasse lève la main.
Ses cheveux blonds décolorés me donnent envie de vomir. Elle se dandine sur sa chaise pour enlever son sac de la place voisine.
Ew, pauvre Taylor. Sur ce coup là je te plains un peu.
—Bah alors ? Tu te tapes le nouveau avant son arrivée ? me taquine Davis en se penchant vers moi.
Ses boucles rousses lui tombent sur le visage. Je lui donne un coup d'épaule.
—Non, ça a visiblement été la punition de mon père pour l'avoir mis en retard ce matin.
Il secoue la tête en riant doucement. La professeure reprend son cours que je ne suis pas. Je m'intéresse à Lisa et Taylor. Ils ont l'air de bien s'entendre : elle glousse à toutes ses paroles comme une imbécile.
Et dire que j'ai été amie avec elle...
Je me souviens de nos anciennes discussions, de nos moments de rires et de pleurs aussi, au collège. Mais une de nos anciennes querelles à la vie dure et ne semble pas prête à nous laisser renouer. De toute manière, je suis bien mieux avec Davis.
Je détourne le regard de ces deux-là et me concentre sur mon portable que je sors en enfilant mes écouteurs sans fil. Je lance ma playlist et pars dans mes scénarios imaginaires, abandonnant complètement le cours. Je gribouille des traductions des chansons que j'écoute sur une feuille et tente de dessiner entre les mots.
La cloche sonne après deux longues heures. Je prends mon sac avant de sortir de la classe à toute allure. Je bouscule au passage le nouveau. Je m'extrais du bâtiment pour retrouver l'extérieur. La chaleur du printemps réchauffe l'ancien air froid de l'hiver. J'extirpe mon paquet de cigarette de ma poche et en allume une. Je la coince entre mes lèvres tout en changeant de musique. Je me rends au coin fumeur clandestin, un peu à l'écart des regards des surveillants.
J'expire la fumée et balade mon regard vers les petits joyaux du Westminster. Des "prodiges'' selon mon père. Je me demande encore ce que je fais ici. Mon père a joué de son statut pour me faire entrer afin que je puisse selon lui "intégrer une université décente". Je suis perçue par les élèves comme une traite, quelqu'un qui n'a pas mérité sa place. Au début de ma première on me l'a d'ailleurs fait payer jusqu'au jour où j'ai montré les dents.
Noah, un gars de terminal, vient à ma rencontre. J'enlève un écouteur à sa vue. Il s'adosse au mur à côté de moi et m'arrache ma clope des doigts pour en tirer une taffe. Je râle et la lui reprends. Il me souffle sa fumée au visage. Je la balaye d'un geste de la main.
—Qu'est-ce-que tu me veux Noah ?
Il ajuste les manches de sa veste en cuir en s'approchant de moi, le sourire charmeur aux lèvres. C'est le genre de mec qui a beaucoup pour lui : cheveux bruns, yeux gris perçant, corps sculpté comme un dieu, mais rien dans la cervelle.
Comme quoi, on ne peut pas tout avoir.
J'ai commencé à le fréquenter pendant les dernières vacances : après nous être croisés dans plusieurs soirées de lycéens, nous avons brièvement fait connaissance. Mais cette liaison n'a pas duré : j'ai pris mes distances après avoir appris qu'il était particulièrement proche de Will Dangrey, le monstre du lycée, et celui d'ailleurs qui a participé à nourrir la haine des élèves à mon égard.
—Je me disais qu'on pourrait se voir pour finir ce qu'on a pas fini la dernière fois...
Il pose une main sur ma hanche en relevant le regard vers le mien. Il me joue son petit numéro de charme.
Quel crétin.
—Tu parles de la fois où je t'ai expédié de chez moi car tu t'étais incrusté ? je relève, sans perdre mon air glacial.
—Ne mens pas Madelynn... Je sais que tu meurs d'envie de ça.
Il remonte sa main vers ma poitrine en se penchant vers moi. C'est vraiment un porc, tout comme ses fréquentations. Sans rien faire, je crache un nouveau nuage grisâtre. Il commence à trop se rapprocher. Je pose alors ma main sur son torse et le repousse d'un coup sec. Il paraît surpris et me regarde avec des yeux écarquillés.
Quoi ? Tu ne t'es jamais pris de vent ? M'enfin, il y a un début à tout !
J'écrase ma cigarette et m'avance vers lui.
—Désolé mais j'ai entendu dire que tu avais quelques soucis... L'impuissance à ton âge, ça doit être compliqué à gérer, pense à consulter ! dis-je assez fort pour que les lycéens autour de nous entendent.
Ici, les murs ont des oreilles.
Sur ce le je dépasse et repars vers le lycée.
—T'es vraiment qu'une salope Madelynn !
Je souris et prends un chewing-gum avant de lever un majeur en l'air pour l'individu derrière moi.
Une vraie pétasse.