Madelynn
La fin des cours retentit. Les élèves, certains plus pressés que d'autres, désertent la salle de cours de biologie. J'enfile ma veste et sors à mon tour. Je ne compte pas sur mon père pour me ramener : il doit apparemment 'terminer certaines affaires avec la secrétaire'. Je n'ai pas cherché à savoir si c'était vrai ou non. Je marche vers le portail où les élèves s'agglutinent. Je joue des coudes pour passer. Dès que je suis éloignée de la foule, j'allume une cigarette et crache la fumée sous les regards désapprobateurs de certains élèves et même des rares parents venus chercher leurs enfants avec des voitures plus chères les unes que les autres.
Tu parles d'une élite. Ce sont tous des fils et filles à-papa. Enfin je suis bien ici à cause de mon père, donc je ne peux pas le leur reprocher.
Je termine ma cigarette et commence à me diriger vers un arrêt de bus lorsque des cris fusent de l'autre côté de la rue. Je me retourne.
C'est pas vrai...
Sur l'autre bord de la route, juste devant le lycée, un attroupement se crée et je ne connais que trop bien ce genre de choses : un lynchage.
Je pourrais m'en aller, je devrais même rentrer chez moi, ou peut-être appeler la police. Des adultes doivent bien avoir réagi ? Alors que je m'interroge, mes jambes se dirigent déjà vers l'attroupement. Évidemment que personne ne réagit, ils ont tous trop peur d'être mal vu pour oser agir. Dans ce genre de cas, les parents préfèrent éloigner leurs précieux mômes de la violence plutôt que d'intervenir.
Bande de lâches...
Je balance mon sac sur mon épaule et pousse les gens pour atteindre le centre.
Will, bien sûr, se tient devant une personne au sol. Je pousse un juron quand je me rends compte que la personne au sol est Taylor.
C'était pourtant évident qu'il allait se venger publiquement de cet affront.
Je me gifle mentalement de ne pas y avoir penser, mais j'avais aussi pensé que mon père le renverrait chez lui. Je passe la main dans mes cheveux en réfléchissant. Aller chercher quelqu'un ? M'interposer malgré le risque que mon père soit fou de rage ?
Minute... Depuis quand j'en ai quelque chose à faire ce qu'il pense ou ressent ? Peut-être depuis qu'il me prive d'argent de poche, effectivement.
Will ne s'arrête pas, et ses chiens l'encouragent. Il envoie un coup de pied dans le ventre du garçon déjà à terre, presque rouler en boule. Taylor essaye de se relever mais un des acolytes de Will le repousse vers le sol. J'ai la boule au ventre.
Ça me rappelle des souvenirs.
—Bouffe la crasse sale chien d'Européen !
—Taylor ! crie la voix de Lisa que je reconnaitrais entre mille tant elle m'insupporte.
Will rigole en voyant son adversaire cracher la poussière qu'il a avalée en tombant. Il s'accroupit et prend le col de Taylor pour le relever. Il titube et se remet difficilement sur ses jambes. Le colosse s'apprête à envoyer un crochet du droit dans le visage de sa victime.
Merde.
C'est ma main qui rentre en collision avec son visage avant. Il lâche Taylor qui retombe sur les genoux. Je me mets devant lui. Ça suffit. Je ne le laisserai pas continuer. Personne ne semble décider à réagir, alors à moi de le faire.
Lisa se fait retenir à l'écart malgré ses élans pour s'interposer. Je doute que l'un de ces imbéciles d'élèves devant moi n'ait la présence d'esprit d'arrêter avant que ça n'aille trop loin. Je fléchis mes genoux et me débarrasse de mon sac que je jette derrière moi. Je n'ai aucune chance en rapport de force, je ne peux compter que sur mes acquis des cours de boxe et ma rapidité.
—Reste derrière moi le nouveau, dis-je à Taylor sans attendre de réponse.
Will se tient la mâchoire avec un regard mauvais. Derrière lui, je vois Noah me lancer un rictus. Il s'attend à ce que je me fasse défoncer. Lui qui prônait l'égalité des genres lors de nos conversations passées.
La susceptibilité des hommes est visiblement plus grande que leur connerie.
—Encore sur mon chemin Parker... Ça va faire une très mauvaise pub à ton père, tu sais ? commence-t-il en s'avançant vers moi.
Son air suffisant me donne envie de vomir et de lui en coller une deuxième. Ce qui risque par ailleurs de ne pas tarder.
—Ce qui ferait une bonne pub c'est que tu dégages loin d'ici Will, je réplique avec un ton glacial. Tu n'as visiblement rien dans le crâne, ce mec ne t'a rien fait.
Il rit franchement et se tourne vers la foule. Il veut vraiment fournir un spectacle pour montrer à tous qu'il est le plus fort.
En même temps entre moi et lui... Il n'y pas vraiment de débat.
Ma haine prend le dessus sur le nœud de peur dans mon ventre et mon sang devient bouillant.
—Il n'a qu'à se défendre ! Pourquoi tu le défends ? C'est ton père qui t'a demandé de le faire ? Tu es vraiment une bonne petite chienne ! s'exclame le blond aux deux neurones, hilare.
—Et au lit aussi ! s'exclame Noah à l'arrière plan.
Je serre les dents. Il veut faire croire qu'on a couché ensemble ? Quel abruti. Peu importe, je me reconcentre sur Will et canalise ma colère grandissante. Je ne dois pas frapper la première.
—Je suis sûre que lâche comme tu es, tu l'as attaqué par derrière avec toute ta troupe ! Je m'interromps et ramène mon regard vers son acolyte, et Noah, tu veux vraiment que je révèle que tu ne sais pas bander à tout le lycée ? Oups ! dis-je haut et fort afin que tout le monde entende.
La foule rit et le concerné fulmine. Il commence à s'avancer vers moi lorsque Will l'interrompt :
—Laisse-moi faire. Ça fait trop longtemps qu'elle nous prend pour des cons. La petite princesse du proviseur de ce bahut va enfin payer ses dettes.
Je ne me suis jamais battue. Enfin, pas contre Will. Je n'ai jamais été assez stupide pour me mesurer à lui. Bon, j'ai peut-être quelques fois laissé ma main atterrir dans une joue ou deux pour des broutilles. Ça m'a valu pas mal de disputes avec mon géniteur et adoré proviseur.
Je rétorque, en prenant un air hautain :
—Tu oublies quelque chose, ici je ne suis pas une princesse. Je suis la fille qui a assez de couilles pour te dire droit dans les yeux que tu es le plus gros des cons. Et aussi que neuf centimètres, d'après tes conquêtes, c'est assez médiocre.
Il serre sa mâchoire, ses yeux clairs deviennent noirs.
Touché en plein dans sa virilité.
La foule rit encore, je remarque certains téléphones braqués sur nous. Will ne réfléchit pas plus (il en est incapable) et envoie son poing vers ma tête. Je l'esquive de peu et lui donne un coup de coude dans le ventre. Ça lui coupe le souffle mais il revient tout de suite à la charge. Cette fois-ci, il m'enfonce son poing directement dans l'épaule. La douleur m'assaille. J'envoie ma jambe dans son estomac pour le repousser, ce qui fonctionne et me laisse quelques secondes de répit.
Je ne tiendrai pas longtemps. Je dois trouver une échappatoire. Mais entourée par une foule de lycéens, je n'ai aucun moyen de m'en sortir.
Il tente de me faire un croche-patte. Je trébuche mais me rattrape sur mes pieds. Il envoie à nouveau son poing vers mon visage. Je l'esquive et fais un pas de côté pour me retrouver derrière lui. Je lui envoie un coup dans le dos qui ne lui fait pratiquement rien. Il se retourne et avance vers moi comme un prédateur. Je jette un regard derrière moi : Noah s'avance.
Je suis prise au piège.
Noah se précipite et m'attrape les bras pour m'immobiliser.
Non, non.
J'ai envie de hurler, de pleurer, de courir. L'angoisse me serre le ventre et les larmes de rage montent tandis que Will s'approche. Il se penche et passe une main sous mon menton pour relever ma tête vers la sienne.
—Il semblerait que tu aies perdu, chérie.
Je lui crache au visage. Il s'écarte d'un bond, dégoûté.
—Deux mecs contre une fille, tu es fier ? ris-je. C'est beau ça, tu n'es même pas foutu de te battre contre moi seul. Toujours besoin d'un de tes chiens-
—La ferme ! hurle-t-il en m'envoyant un uppercut dans le visage.
Je suis sonnée, ma vue se brouille. Un sifflement remplace les bruits extérieurs. Le choc m'a fait tourner la tête. Will se délecte de la situation. Il passe une main dans mes cheveux pour relever ma tête en tirant dessus.
—Tu-
—Attention !!! hurlent des lycéens.
Noah disparaît et Will aussi. Je me retrouve au sol. Le son d'un moteur me parvient. Je me lève sur mes poignets, crache un glaire de sang avant de lever la tête vers la voiture qui a dissipé la foule.
Je crois voir une fille à la chevelure blonde attrapé mon sac, mais ma vue ne se rétablit pas suffisamment pour que je sois sûre.
—Madelynn ça va ? me demande quelqu'un que je n'arrive pas à distinguer clairement.
La personne passe un bras sous mes aisselles et me porte jusqu'à la voiture. Je suis installée sur le siège passager et je reprends peu à peu conscience. Des cheveux s'agitent devant moi pour m'attacher.
—Bouges-toi on a pas le temps ! peste la voix de Lisa provenant du siège du conducteur.
La personne ferme la porte et monte de l'autre côté de la banquette. Soudain je comprends : Taylor tente de m'attacher depuis la place d'à côté alors que Lisa fait une marche arrière. Nous déguerpissons du parking de l'établissement dans le vrombissement du véhicule.