Arrivés au manoir des Montbruns, Célia fut rapidement entourée par les adultes qui, dans un mélange de frustration et de désespoir, lui posèrent une avalanche de questions.
« Pourquoi es-tu seule ? Où est Alice ? demanda M. Vauclair, la voix tremblante d'émotion. Qu’est-il arrivé ? Pourquoi n’as-tu pas pu ramener Alice avec toi ? »
Mme Vauclair agrippa le bras de Célia avec une force surprenante, ses ongles s’enfonçant légèrement dans le tissu de sa robe.
« Parle, Célia ! Dis-nous où est Alice ! »
Sa voix, d’ordinaire posée, trahissait une panique qu’elle peinait à contenir. Célia, les larmes dévalant ses joues, tenta de répondre, mais ses mots se mélangeaient, confus.
« Je… je ne sais pas… ils ont dit qu’ils avaient… d’autres plans pour elle. »
La phrase s’éteignit presque dans un murmure, et son visage se crispa de douleur, la panique montant en elle.
« Arrêtez, ordonna son père d'une voix ferme, mais pleine de douleur. Laissez-la respirer. Elle a besoin de se reposer. Nous en saurons plus plus tard. »
Le médecin de la famille arriva rapidement, et on demanda à Célia de se reposer et d’être examinée. La jeune fille, encore sous le choc de l’expérience, se laissa tomber sur un fauteuil, secouée par des sanglots incontrôlables.
« Elle a eu un choc énorme, expliqua le médecin, tout en s’approchant de Célia. Je vais lui administrer un calmant et veiller à ce qu’elle soit bien prise en charge. »
Célia, toujours secouée, se laissa examiner sans protester. Le médecin lui administra un calmant, et bientôt, elle se sentit plus apaisée, bien que ses pensées restaient noyées sous la peur et les larmes. Chaque mot qu’elle prononcerait serait pesé, scruté, et pourrait potentiellement faire échouer tout ce qui avait été soigneusement orchestré.
Pendant un instant, une ombre de culpabilité traversa l’esprit de Célia. Était-ce vraiment la meilleure solution ? Mais elle chassa aussitôt cette pensée. Il était trop tard pour reculer.
Dans la chambre de Célia, les adultes s’agitaient, parlant à voix basse. M. Vauclair, les traits tirés par l’inquiétude, s’éclipsa un instant pour confier un ordre discret à un domestique. À l’intérieur, l’atmosphère devenait de plus en plus lourde, alors que les regards des autres Vauclair, des Montbruns et des Falkner se tournaient vers Célia. Ils attendaient une réponse, une explication qui pourrait enfin lever le voile sur ce mystère.
« Nous devons rester calmes, dit M. Montbrun d’une voix rauque. Nous ne ferons rien de précipité. Célia a vécu l’enfer, elle a besoin de temps. »
Il se tourna vers sa fille, dont les yeux étaient maintenant clos, et lui murmura doucement :
« Tout ira bien, mon trésor. Nous allons retrouver Alice. »
Mais au fond, Célia savait qu'Alice n'était pas prête à revenir. Non, elle n'était pas perdue. C'était simplement que la liberté, dans son esprit, avait déjà un prix, un prix qu'ils devraient tous payer, même s’ils n’étaient pas encore prêts à le comprendre.
Et pour Alice, la libération arriverait bientôt, de manière bien plus… contrôlée.
Alors que les Vauclair et les Falkner se préparaient à partir pour retrouver Alice, M. Montbrun resta aux côtés de sa fille. Il ne tenta pas de les en dissuader, leur assurant que si quelque chose revenait dans la mémoire de sa fille, il les en informerait. Cependant, il s'enquit de la raison de l'implication des Falkner dans la recherche de la jeune Alice. Le jeune fils Falkner répondit clairement :
« Elle est ma fiancée, il est normal que nous la cherchions aussi. »
Une fois que les Falkner et les Vauclair furent partis, Célia confirma à son père que le plan se déroulait comme prévu et qu'Alice se portait bien.
Mme Vauclair fit appeler son assistant pour recevoir son rapport.
« Avez-vous découvert quelque chose ? » lui demanda-t-elle.
« Eh bien, quelques éléments, mais au final, rien de concret qui puisse nous mener à Alice, » répondit-il.
« Donnez-moi les détails de ce que vous avez trouvé, » insista-t-elle.
L’assistant prit une profonde inspiration avant de poursuivre :
« Le lieu où la rançon a été déposée semble coïncider avec un ancien manoir isolé à la lisière de la forêt, à une vingtaine de kilomètres de là. Il est abandonné depuis des années, mais des rumeurs circulent sur des activités suspectes dans cette région. Cela pourrait être un endroit où Alice est retenue, peut-être en attendant de recevoir une nouvelle somme. »
L’endroit avait quelque chose d’oppressant. Une bâtisse aux fenêtres brisées, aux murs noircis par le temps. Certains domestiques racontaient même que des silhouettes y avaient été aperçues les nuits de pleine lune…
Il hésita avant de continuer :
« Ce que nous avons également découvert, c’est que l’information concernant les fiançailles d’Alice avec le fils Falkner aurait fuité dans certains cercles de la haute société. Cela a provoqué un véritable tumulte parmi plusieurs familles influentes, qui ne pouvaient pas supporter l’idée de cette union. Il est possible que des ennemis des Falkner ou des rivaux des Vauclair aient voulu profiter de cette situation pour faire pression sur la famille. »
Mme Vauclair, d'un geste imperceptible, signala à son conseiller qu'il pouvait disposer. Il s'inclina respectueusement avant de quitter la pièce. À peine le temps de se lever qu'une porte s'ouvrit et M. Vauclair entra dans le bureau.
Mme Vauclair se tourna vers lui, un regard empreint de gravité.
« Comment allons-nous faire maintenant qu'Alice a disparu ? » demanda-t-elle d'une voix ferme. « Comment retrouver le prestige et l'influence que notre famille avait autrefois ? »
Ses yeux cherchaient des réponses dans ceux de son mari, mais c'était la froideur de ses paroles qui prédominait.
M. Vauclair, visiblement agité, fixa sa femme un instant, puis détourna les yeux, son visage marquant une lassitude évidente. Il respira profondément avant de répondre d'un ton sec :
« Toujours la même chose, n'est-ce pas ? »
Il s’approcha lentement, posant brutalement une main sur le bureau.
« Notre fille passe avant tout. »
Son regard brûlait d’une rage contenue, et pour la première fois depuis des années, Mme Vauclair sentit un frisson d’incertitude parcourir son échine.
Un dégoût visible envahit les traits de M. Vauclair. Il s’arrêta brusquement et fixa sa femme d'un regard empli de reproche.
« C’en est assez, » dit-il, sa voix tranchante. « À partir de maintenant, toutes les décisions concernant Emma seront prises sans vous. Vos ambitions ne doivent en aucun cas mettre en péril notre fille ! »
Un silence lourd s’installa, alors que Mme Vauclair, surprise, chercha à répondre, mais aucun mot ne sembla lui venir.